Ce jour-là je pénétrais pour la première fois de ma vie dans un temple Shinto, jinja, dans la ville de Fukuoka, région de Kyūshū, Japon.
Ce temple est assez petit, il ne ressemble pas aux grands temples médiatisés que nous pouvons voir sur les plaquettes touristiques. Comme de nombreux temples il est niché entre les immeubles les plus modernes de notre époque et répond par là même à au paradoxe que représente le Japon, l’architecture et le bruit le plus contemporain jouxtant les zones enclavées de pratiques les plus anciennes, et cela sans aucune sévérité. Mais celui-ci est petit, j’allais dire simple ; il ne s’expose pas à la vue des passants, il faut « tomber dessus ». Je trouvais donc son torii ouvrant sur l’avenue telle une invitation à passer « quelque part », ailleurs, un espace au-delà.

Et c’est bien le rôle de ces portes que de nous faire traverser les espaces-temps. En quelque sorte nous passons du profane au sacré. Le chemin n’est pas sans parole, d’abord il faut passer le pont. Ce petit pont qui enjambe un frêle ruisseau regorgeant de ces carpes énormes, blanches et rouges. Je restais un instant à les regarder, tendais ma main. Les voilà qui s’approchent, sans doute habituées à la présence humaine. Passant le pont il me semblait avancer plus profondément dans un autre monde. En effet à mesure que j’avançais le bruit de la ville devenait plus lointain, il se produisait comme une intériorisation, un recentrage sur moi-même. Alors que les murs alentours portaient leurs ombres brunes sur l’espace religieux, je me trouvais dans un silence étrange et une perspective nouvelle. Sur la droite le temizuya (ou chōzuya ). L’eau y coule doucement dans une cuve de pierre et je me pliais aux gestes séculaires : avec la louche de bois me laver la main gauche, puis la main droite, enfin la bouche, pour finir par laisser couler l’eau le long du manche. L’eau est si douce, si fraîche, si doucement chantante, que cette application à l‘ablution se répercute sur notre âme et nous nous trouvons encore un peu plus projeté dans un au-delà.
Un autre torri et me voilà devant le temple en lui-même, le shaden. Encore une fois je me plie aux coutumes du lieu. Je sonne la cloche, je salue deux fois, je frappe des mains deux fois et je fais ma prière qui en réalité est si courte qu’elle « n’est qu’un » plongeon au centre de mon être. Elle va chercher le plus lointain de mon essence humaine. C’est à cet instant-là, les mains jointes sur ma poitrine que je pris conscience du centre du temple, face à face avec moi – même. Là, inaccessible, car cet endroit du temple je ne peux y aller, mais rayonnant et dirigeant vers moi sa lueur mouvante, je vis le miroir. Ce miroir fait partie des insignes des grands prêtres du Yamato primitif (et sont encore les trois symboles distinctifs de la famille impériale), le miroir de bronze, symbole de la déesse – Soleil Amaterasu, le long sabre de fer et le magatama, objet de forme incurvée, représentant une griffe d’ours. Percutant sur mon âme d’européenne, cela vivifia l’image claire d’un conte du Graal où se côtoient le tailloir, la lance et la coupe que Perceval vit dans le château du roi pécheur. Mais plus encore, le reflet chatoyant du miroir inondant le cœur du temple et renvoyant dans un jeu perpétuel l’écho de son essence, constella mon âme et laissa apparaitre, le sens, le symbole du Soi. Alors le cheminement, l’entrée dans le temps prirent le sens d’un chemin initiatique, de passage de pont, de purification, d’humilité, de silence et de contemplation. Je compris pourquoi la prière en ce lieu peut être si furtive, et si rapide quand elle claque comme un rayon de soleil et d’un seul coup frappe, inonde, le cœur de l’âme humaine où les paroles deviennent inutiles. De fait, il n’y a rien d’autre que Soi avec soi – même dans un jeu de miroir, pas de morale, pas de dogmes, pas de sentences, ces Images venues du fin fond des âges gardent et préservent l’unique fil, le lien, l’harmonie possible entre le profane de notre moi quotidien et le caractère sacré du Soi.

Ignorante des mots japonais qui dédiait ce lieu, je ne sais quel Dieu, Déesse, quel Kami préside à cet endroit, mais je repartais silencieuse, paisible et sereine. Je repartais ressourcée, en quelque sorte « recentrée ». La danse des Archétypes virevoltait joyeuse en sein de ma psyché et la source solaire d’un Féminin lumineux, lovée au creux d’une grotte sacrée irradiait de toute sa beauté.
Du rêve et de la poésie 🙂
Merci
Adepte du Zen je trouve que les japonnais maîtrisent tout à fait l’art du silence intérieur…