Chronique de l’oiseau à ressort
Haruki Murakami
10/18
J’ai pu lire dans différentes critiques la notion de roman psychologique, thriller, fantastique … mais cet ouvrage est bien plus que ça pour moi. Au début je l’ai trouvé long et je ne voyais pas du tout où l’auteur souhaitait nous emmener, puis je suis tombée dans le piège, enfin sous le charme.
Je ne dirais pas « voilà un roman comme je les aime » car il est bien plus qu’un roman, il est le reflet d’une véritable quête initiatique. Voilà en tous cas un « écrit » comme je les aime.
On peut le lire à différents niveaux de lecture. Comme une histoire mi fantastique, mi enquêtrice (le thrilleur psychologique !), c’est alors un long moment (951 pages !) de distraction, de rêve.
Il peut aussi être lu sous l’angle japonais. Je veux dire que je le trouve terriblement japonais. Comme le pays il offre à première vue la vie quotidienne moderne à l’occidentale, la foule et la solitude, le métro, le train, le travail, les pizzas vite mangées sur un angle de table …. Mais comme le Japon il draine aussi la part de mystère, de magie, de secrets (le chat et les gens qui disparaissent, le lien du présent tenu au passé, le calme de surface et la vie profonde de l’âme ….) En le lisant je pensais à ces voyantes installées dans leurs petites guitounes sur les trottoirs d’une ville au fait de la modernité, paradoxe et tissage de deux mondes à priori opposés . Je pensais à l’importance du chat dans la mythologie nipponne. Il est japonais dans la pensée du personnage principal qui loin de l’impulsivité d’un esprit occidental suit son destin avec application. Un héros occidental (Français tout au moins) aurait tapé du pied, râlé, se serait révolté, aurait voulu avec fastes et fracas imposer son point de vue. Oui en le lisant je retrouvais des sensations vécues en déambulant dans les rues de Fukuoka ou de Tokyo. Et j’ai aimé ça.
On peut le lire comme une véritable prouesse littéraire. Le style moderne de l’écriture tisse peu à peu un enchevêtrement de situations qui se croisent et prennent sens. L’auteur fait preuve d’une grande technique pour ne pas nous laisser perdre dans tous ces méandres. Il nous accroche et nous mène là où il veut. Des fils rouges et des rebondissements se chevauchent et nous tiennent en haleine, nous portent au rêve, titille notre propre intuition. J’ai aimé ça aussi.
Mais il y a plus que ça. Le lien tenu entre la réalité et un Autre monde y tient la part principale. Il s’agit d’un véritable roman d’initiation avec toutes les étapes nécessaires à ce fait : le lien tenu du temps, comme le passé rebondit sur le présent, lance ses tentacules insaisissables à travers les mots et les rencontres (jamais anodines si cette rencontre est masculine ou féminine), l’avancée de l’âme vers les ombres, la lente descente vers la nuit, la confrontation de la conscience avec les formes mouvantes de l’inconscient, des esprits. Il y à l’instant fatidique au plus profond de l’obscur de la rencontre avec la lumière qui change à jamais notre vie pour le pire, ou pour le meilleur. Le voyage le plus lointain au plus intime de soi, avec répercutions sur l’environnement et vice et versa. La force et la réalité du symbole, son impact et ses conséquences. Il y a aussi la confrontation avec la mort dans tout ce qu’elle a de terrible, rituelle, symbolique. Dans de précises descriptions historiques nous pouvons lire la portée « imaginale »1 des actes. Comment ne pas penser aux initiations chamaniques de démembrement, à l’acte sacrificiel en lisant les mises à mort décrites ? L’épisode du puits qui se répercute sur la vie du héros ? Ici comment ne pas penser à ces désirs d’isolements spirituels que mettent en œuvre les plus grands mystiques ? Comment ne pas faire un lien entre la confrontation de l’âme avec l’Ombre et le combat avec le dragon dans les dernières étapes franchies ? Comment ne pas penser à Tristan et Iseult ?
L’auteur réussit avec talent à nous exprimer des réalités de la vie quotidienne contemporaine, mais aussi les réalités de ce qui nous échappe encore. De fait il réussit à écrire sur la réalité dans sa plus grande essence, le visible et l’invisible. Les synchronicités, les relations causales et acausales saupoudrent l’ouvrage avec comme avancée l’histoire et ce que cela engendre dans la vie dite « réelle » et celle dite « irréelle ».
La plupart de nos grands auteurs ont su écrire à travers quelques histoires de vie la dimension psychologique de personnages choisis, la vie particulière d’une société à un instant T, la sensibilité qui s’y rattache, la beauté, la laideur. Murakami va plus loin, il y rajoute la dimension magique, mystique, spirituelle. Et le grand exploit c’est que c’est le lecteur qui choisit de le lire sous cet angle ou pas. Si j’ai aimé ? …. Voilà un ouvrage qui rejoint la liste de mes préférences !
1 Pierre Solié