Klimt et son or posé, Klimt et la sensualité, la femme, la technique parfaite, la Sécession … voilà tout un ensemble de données que nous pouvons aisément lire au sujet de son œuvre. Klimt et son époque, Klimt et Freud, voilà tout autant de croisements dont les analyses sont facilement accessibles. Pourtant, lorsque l’on se trouve face à face avec l’œuvre de Klimt c’est bien autre chose qui se révèle et qui fait jour. Tout d’abord on ne trouve pas trace de freudisme ! Rien sur la femme frustrée de ne pas avoir de pénis ou sur le mythe d’Œdipe … Cette tentative de compréhension se rétracte et se dégonfle. D’ailleurs pourquoi chercher à appréhender Klimt avec l’intellect ? Lui qui fuyait les mots avait –il une approche cérébrale de ses peintures ? L’autre manière de regarder Klimt se laisse deviner dans les abondantes photos que nous avons de son travail, mais se révèle en puissance dès que l’on approche le trait réel. Klimt et l’érotisme, la sensualité, Klimt et le sexe, Klimt et la femme !
Oui, mais La Femme. La femme dans sa réalité, détachée des carcans historiques. On y trouve les traces mythologiques incarnées et actualisées à travers un ici et maintenant. En quelque sorte on se trouve devant l’expression la plus vivante non pas de la femme, mais du féminin dans toute son originale et éternelle réalité, je dirais même l’Archétype agissant tel que peut l’avoir exposé Jung – pas Freud. Voilà des femmes qui ne sont ni offertes, ni complémentaires, elles se suffisent à elles-mêmes. Les nudités sont vivantes sans être vulgaires ou sublimées, elles peuvent y apparaître vieilles, jeunes, osseuses, grasses … mais toujours magiques et mouvantes, de l’ombre à la lumière, du magique au concret. Le féminin s’y trouve à la fois incarné et transcendé, quotidien et éternel. Les fonctions du féminin y apparaissent les unes après les autres, forces de la lumière et de la magie, forces de l’ombre et de la mort.
Prenons le temps de regarder l’œuvre dans sa globalité et le cheminement se dévoile. Des peintures aux dessins, tout s’enchaîne dans un féminin qui va de l’obscure angoisse de la mort telle que pouvait la porter les Déesses antiques de la nuit , les accompagnatrices de la mort (Morrigane), à la lumière la plus vive, dorée des déesses lumineuses et rayonnantes (Brigid, Amaterasu) . Les femmes se tournent sur elle-même dans une autosuffisance magnifique (masturbation ou fécondation lumineuse de Danaé). Si elles sont mères c’est dans la rondeur d’un ventre (l’espoir 1), cycle sans faille (Les 3 âges de la femme). Leur douceur est une force, leur beauté un visage à double face. Il y aurait forte étude à faire sur chacune des productions pour finir sur les dernières œuvres, apaisées, qui dévoilent dans leur agencement comme l’éclosion d’une réalisation du féminin tout simplement épanoui. On y lit le féminin agissant dans ses opposés les plus flagrants pour avancer vers une synthèse qui ressemble fort à un cheminement vers l’individuation. Le masculin n’est pas absent, il « tourne autour, se présente à certaines croisées, comme un chevalier sur la route (La frise Beethoven), un amant (le baiser) dans une danse de vie et de mort (enfant, vieillard), ou bien parfois comme celui qui souffle à l’oreille, tel un Animus (Adam et Eve).
Au-delà d’une étude méthodique il sourd de l’ensemble une manne vivifiante de ce qu’est le Féminin dans sa réalité. Il s’ensuit que chaque être posé devant le tracé, les couleurs, peut sentir rejaillir en lui – même l’effluve de ce féminin. Toucher, et remuer en soi cette part de psyché est une expérience majeure. Si j’ai intitulé ce texte « femmes qui courent avec Klimt » , pour faire écho à « Femmes qui courent avec les loups » de Clarissa PInkola Estes, ce n’est pas juste par effet de style, mais parce que voir du Klimt a le même effet que lire un conte ancestral porteur des réalités psychiques, révélateur de ce qu’est ce féminin intérieur. Non pas simplement l’extirper pour lui poser des mots, mais le réveiller dans toute sa réalité vivante, réveiller les dieux en soi, réenchanter le monde. Ce n’est pas peu dire ! Klimt n’apparait pas comme un libidineux personnage, obsédé par la vulve, mais comme une âme fascinée par un mystère qui livre un peu de sa figure. Pour un homme c’est la merveille découverte de ce que peut être la part féminine de son âme, cette magicienne Anima. En tant que femme c’est une énergie farouche qui se réveille et fait que d’un coup on peut sentir la force de notre réalité intrinsèque. En fait Klimt nous ouvre la porte de la renaissance.
Klimt et la Secession à la Pinacothèque 2 jusqu’au 21 juin.