« L’usage pour les femmes de se découvrir la poitrine quand elles demandent grâce se retrouve dans la littérature de l’Irlande avec le même caractère provoquant qu’au siège de Gergovie. »[1]
Ce geste fut et reste interprété de différentes manières. On peut cependant y lire un acte magique visant à changer le cours des choses. Le fait de se dénuder pour faire face au danger se retrouve dans des actes plus contemporains comme je l’expose dans mon livre sur la femme celte :
« Vertu paratonnerre des femmes encore en usage en Serbie : « Par temps d’orage, une femme nue accrochée à la barrière de sa maison, expose son sexe à la fureur du ciel et la foudre s’éloigne. »[2]
Dénuder sa poitrine devant l’ennemi pourrait être issu de la même magie que montrer son sexe à l’orage, celle d’éloigner l’orage symbolique que représente la guerre.
Nous retrouvons ce geste dans la mythologie grecque avec la Baubo qui en soulevant ses jupes redonne le sourire à Demeter alors qu’elle est plongée dans le chagrin le plus profond. Tout aussi bien dans le dévoilement d’Isis qui « relève haut sa robe pour dévoiler son triangle pubien »[3] que dans les poses des Sheela Na Gig qui ornent certaines églises d’Irlande.
Je n’arrive pas à imaginer une tribu de Gauloises sagement alignées, ouvrant simplement leur corsage, mais plutôt une troupe de femmes en furie, vociférant, offrant au regard de l’ennemi, seins … et fessiers. Nous ne sommes pas en pays pudibond et la nudité ne semble pas plus poser de problème que celui du genre, il n’est qu’à regarder la danseuse nue trouvée à Neuvy en Sullias.
D’autre part il existe un autre exemple de ces deux gestes magiques dans une des traditions les plus anciennes et toujours vivante. Il s’agit de la mythologie japonaise et de ses mythes inclus dans le Kojiki. Le schéma est tellement similaire au sujet qui nous interpelle que je ne résiste pas à vous en raconter l’histoire.
Susanoo, le frère de la déesse soleil Amaterasu avait réduit en miette les allées sillonnant les champs de riz qu’elle cultivait. Il avait comblé chacun des canaux d’irrigation, et enfin, jonché de merde le palais où elle avait coutume de partager la Grande Nourriture. Elle ne s’inquiétait pas de ce saccage et trouvait des excuses à ce frère un peu trop turbulent.
Plus tard alors qu’Elle veillait dans l’atelier sacré à la confection des vêtements augustes des Dieux, il perça un trou dans le toit de l’atelier et y laissa tomber l’un de ses célestes chevaux tachetés que l’on nomme étalons – pies. Il l’avait écorché de la queue à la gueule, ce qui effraya tant la Déesse occupée à tisser calmement, qu’elle s’empala, vagin en avant, sur les broches de son métier.
Terrifiée par ce spectacle, par cette horreur, Amaterasu se réfugia dans la caverne du Ciel et referma derrière elle la porte qu’elle condamna en s’y calfeutrant. Mais alors sans soleil, Plaine du Haut du Ciel ainsi que les provinces centrale de Plaines de Roseaux furent plongées dans les ténèbres noires.
La nuit éternelle triompha.
Les 800 dieux se réunirent affolés et constituèrent une assemblée au milieu de la Rivière Tranquille. Ils demandèrent à Sa Majesté Vieille du Fer Rigidifié de fabriquer un miroir.
Une fois que celui-ci fut réalisé, Uzume déesse de l’aube commença une contorsion particulière en se liant à un arbre qu’elle utilisa comme une corde. Puis posant une caisse de résonnance devant la porte en pierre derrière laquelle résidait Amaterasu donna des coups de pieds jusqu’à ce que les sons résonnent, et faisant tout cela comme si elle était possédée – exhiba sa poitrine, tira sur ses tétons et abaissa sa jupe si bien que son sexe apparu. Plaine du Haut du Ciel ainsi que les provinces centrale de Plaines de Roseaux se mirent à trembler et les Dieux furent pris d’un même rire.
Ce fut l’évènement qui rendit Amaterasu curieuse de ce qui se passait au – dehors (elle voulut savoir pourquoi ils riaient) et déclenchait le processus qui permettrait de la faire sortir de sa caverne pour inonder, à nouveau, le ciel de sa Lumineuse présence, mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce dernier évènement dans d’autres études.
Ce qui m’interpelle ici c’est le rôle d’Uzume. Comme sa comparse mythique Baubo, comme ces femmes qui se dénudent quand la situation est dangereuse, extrême, le chagrin trop profond ou la mort trop proche, elle déclenche un tremblement et provoque le rire qui va sauver la situation.
Nous pourrions y voir le rôle du rire salvateur, quelque chose comme « bon un peu d’humour, ne nous prenons pas tant au sérieux ! Rigolons un bon coup et passons à autre chose », sauf que la sexualité du féminin est une chose sérieuse et que le problème en présence est toujours lui aussi très sérieux. Rien de « rigolo » mais du rire qui est un tremblement. Rien de libidineux : son geste n’est pas une invitation sexuelle, il n’est pas suivi d’accouplement et nous devons le lire de façon symbolique. Ces actes divins débouchent toujours sur un « quelque chose a changé », quelque chose qui était mortifère et qui soudain peut prendre une nouvelle tournure. Demeter retrouve le sourire, Amaterasu va s’intéresser à ce qui se passe dehors …
Il ne s’agit pas d’un simple détournement maternel par l’exposition des seins ou sensuel
par celui du sexe, mais d’un acte magique qui prend ses sources dans leur exposition sous une forme provoquante, d’une grande force – et de genre féminin ! Ne s’agit-il pas de mettre en œuvre la pulsion de vie première, ce frémissement électrique, ce bouillonnement qu’éveille l’instinct de vie primitif dans le cerveau reptilien qui veille encore en chacun de nous ? C’est un geste qui dénoue les tensions, relâche la pression qui bloque une situation. L’acte est de l’ordre d’un cri « vivre » ! Désirer vivre. Le symbole est celui de ressentir en soi, de provoquer le tremblement qui met la vie en marche. Il y a un peu d’Uzume ou de Baubo lorsque nous nous sentons émoustillés. Le réveil de l’instinct vital ….
Nos femens ne le savent sans doute pas, mais l’exposition de leur poitrine renvoit l’écho de ce cri, ce geste qui par effet de « sympathie » éveille l’archétype ou lui répond : « vivre » à tout prix. C’est peut-être le premier geste que fit la Grande Déesse, comme cette toile de Gustav Courbet qui offre aux regards interrogateurs sa motte foisonnante, « L’Origine du monde ». C’est oser le bouillonnement premier de la vie devant les menaces de mort et d’engloutissement … Faire face à nos ombres les plus sombres par le frémissement archaïque, oui ça fait du bien et donne une pulsion vers un autre « quelque chose » vivifié …
[1] D’Arbois de Jubainville cité in Jean Paul Picot, Dictionnaire Historique de la Gaule, La Différence, 2002 ; p 308
[2] Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, P 64
[3] Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel, 2012, p 82
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