L’arbre d’Odin, d’Osiris, de Lleu et le Sakaki sacré du Japon

ACH002534715.0.580x580 « Parce qu’il rassemble les quatre éléments – l’eau dans sa sève, la terre par ses racines, l’air par ses feuilles et le feu par le frottement de son écorce – l’arbre a très tôt été l’objet de la vénération populaire.1 » Ainsi est présenté l’arbre dans L’Univers des guérisseurs traditionnels, de Dominique Camus, bien que j’imagine que le lien au feu tient plus au fait qu’il attirait la foudre en des temps où les paratonnerres n’étaient pas très nombreux et au fait qu’il « sert » à faire le feu dans les mêmes temps. Cet ouvrage est très intéressant, il nous montre combien l’arbre et les foulards, rubans et textes qui y sont accrochés sont importants dans la tradition populaire de l’Europe traditionnelle. Il m’est arrivé plusieurs fois de « tomber » sur des loques de vêtements accrochés aux branches d’un arbre perdu en plein milieu d’une forêt et de me demander comment ces oripeaux avait bien pu arriver là. Maintenant je sais, je connais le lien entre l’offrande, l’arbre et la guérison – ou le sort jeté !

A ce stade nous pourrions penser à une vieille superstition, une croyance populaire si enracinée dans l’âme des êtres qu’elle survécut aux interdits de l’Eglise chrétienne. En réalité ce qui n’est pas de l’ordre de la superstition et vient de très loin dans les coutumes des hommes c’est le lien qu’ils virent entre l’arbre, la souffrance, la métamorphose, la renaissance. Pour explorer plus avant ce thème mythologique nous pouvons nous tourner tant vers Odin dans les mythes nordiques, que vers Osiris l’égyptien, Lleu Law Gyffes le gallois et tout autant sur le rôle de l’arbre et des offrandes qui lui furent faites dans la mythologie japonaise.Dendera-Osiris-et-Isis

Le thème est celui d’un dieu, d’une déesse, d’une âme en souffrance, enfermée, pendue, accrochée à l’arbre. La mort rode et l’arbre est l’endroit de la possible incubation. S’ensuit un rite précis, offrandes, paroles sacrées qui va engendrer la renaissance.

Dans la mythologie égyptienne lorsque Osiris enfermé dans un coffre se trouve échoué dans les racines d’un immense tamaris, le roi du Pays de Byblos en Phénicie, le trouvant si beau, en fit faire une colonne pour son palais. Voici l’être blessé, mort, enclos au sein du bois. Mais la grande Isis, à force d’errance, le trouve et « chaque nuit, prenant l’apparence d’une hirondelle, elle vole autour de la colonne qui enferme son bien –aimé et lance des cris déchirants 2. » Elle finit par emporter le coffre « libérant ainsi son époux de son long exil 3. »

Dans la mythologie nordique Odin restera accroché, pendu par les pieds, à son frêne Ygddrasil, neuf nuits pleines. Il en fit le poème suivant que l’on peut lire encore aujourd’hui :

Je sais que je pendis
A l’arbre battu des vents
Neuf nuits pleines,
Navré d’une lance
Et donné à Odin
Moi-même à moi-même donné,
– A cet arbre
Dont nul ne saitscreen480x480
D’où proviennent les racines.

Point de pain ne me remirent
Ni de coupes ;
Je scrutai en dessous,
Je ramassai les runes,
Hurlant, les ramassais, De là, retombais.

Neuf chants suprêmes

J’appris du fils renommé
De Bölthorn, père de Bestla,
Et je pus boire
Du précieux hydromel
Puisé dans Odredir.
Alors je me mis à germer
Et à savoir,
A croître et à prospérer,
– De parole à parole
La parole me menait,
D’acte en acte
L’acte me menait 4.

b3e7d323dc52a1de8debfbd6107f2db3Chez les Celtes c’est Lleu Law Gyffes qui sous forme d’aigle, se réfugia agonisant dans son chêne. Gwydion partit à la recherche de son neveu, suivit la truie d’un paysan qui se nourrissait des vers tombés de la chair en putréfaction du héros. Arrivé sous le chêne il se mit à chanter. Au premier Englyn 5, l’oiseau blessé qui se trouvait au faîte de l’arbre, descendit à mi –hauteur de l’arbre. Au deuxième Englyn il descendit sur les branches les plus basses. Au troisième Enlgyn : « l’aigle tomba alors sur les genoux de son oncle et celui-ci le frappa de sa baguette magique pour lui redonner sa forme humaine. Il était d’un aspect misérable, il n’avait plus que la peau sur les os. Il fallut un an pour que Llew retrouve une parfaite santé 5. »

L’énergie prisonnière et mourante ne peut seule se sortir de ce pas, il est besoin d’un acte magique et ce geste est toujours entaché de même nature, une nature féminine. Dans le mythe d’Osiris c’est très clair dans la mesure où c’est l’intervention magique d’Isis qui va modifier son destin. Mais Isis n’agit de prime abord que sous forme d’oiseau ce qui est en parfaite corrélation avec les chants et les Englyns qui apparaissent dans la version galloise , ou la poésie d’Odin– un esprit magique. En effet, ces chants particuliers ne sont pas des chants d’un logos masculin qui ordonne et pointe du doigt, « Le logos masculin est un logos qui affirme » 7. Il s’agit d’un logos hystéricos, comme l’appelle Pierre Solié : « Le Logos Hystéricos va justement beaucoup plus loin, il est beaucoup plus près du mystère 8. » En quelque sorte, le verbe féminin est plus proche de la vaticination, de l’incantation et de la transe que de la rhétorique et renvoie à la poésie antique : « Platon a comparé le délire de la Pythie, « le plus beau des arts », à l’inspiration poétique due aux muses et aux transports amoureux d’Aphrodite (Grimal, Mythologie, p. 41). Déjà, en Mésopotamie antique, on confondait poésie et vaticination.

Dans la légende galloise un autre détail confirme cette intervention du féminin. Au troisième Englyn, l’oncle reçoit son neveu dans son giron. Il est dit sur ses genoux, mais il est dit aussi giron, giron qui fait référence au ventre qui couve et enfante. Le druide use de son pouvoir féminin pour redonner vie au moribond et je ne peux une fois de plus que faire référence au conte relaté par Clarissa Pinkola Estes dans Femmes qui courent avec les loups 9, d’une vieille femme qui par son chant redonne vie à un loup mort. Sans oublier que c’est le symbole de la grande déesse – la truie – qui mène l’oncle auprès de son neveu et se nourrit des putréfactions de la chair moribonde, comme les grandes déesses antiques étaient douées de ce pouvoir d’engloutir (la mort) pour régurgiter (la vie).

Les mythes nous transmettent alors la réalité spirituelle (et psychique) du besoin de l’énergie féminine pour accéder à la renaissance.

On note, sans équivoque, la situation d’abandon total et de paix tranquille (de foi ?) qui accompagne la posture douloureuse. Ni Odin, ni Osiris, ni Lleu ne se débattent, ils se laissent en quelque sorte couver et c’est un rite de chant et d’offrande – d’amour – qui délie le sort. Isis comme Gwyddyon agissent avec douceur et amour, ils ne combattent pas une nuit, toute de bois soit-elle, pour en libérer le prisonnier, mais ils chantent ou poussent le cri d’une hirondelle.tamagushi1

Le rôle de l’arbre et des offrandes est tout aussi identifiable dans le mythe japonais de La Caverne céleste. La déesse Amaterasu s’est réfugiée dans une grotte après avoir été blessée par un de ses frères et elle ne veut plus en sortir, ce qui plonge le monde dans l’obscurité et la stérilité. Afin de la faire sortir les Kamis 11 organisent un ensemble de gestes rituels dont celui de préparer un arbre Sakaki (arbre toujours vert) et dont le sens veut dire à la fois « montée » et « splendeur, gloire, prospérité. » Ils attachent des joyaux sur les branches supérieures, le miroir sacré sur les branches du milieu et en bas de soyeuses étoffes blanches et bleues. Alors un Kami récite les Noritos, c’est-à-dire : « prononcer les paroles puissantes rituelles 12 » dont « la valeur magique […] est en rapport direct avec le koto-dama, la science de la puissance spirituelle du verbe 13. »

Ici il ne s’agit pas de faire renaître à partir d’un arbre, mais de faire sortir une déesse d’une grotte, cependant le rôle du bois est aussi manifestLES ARBRES VENERES (2)e dans sa puissance magique et opérationnelle. La caractéristique des trois niveaux n’est pas sans rappeler la descente en trois étape de notre héros gallois, comme les Noritos ne sont pas sans rappeler la poésie d’Odin, les cris d’Isis et les Englyns de Gwyddyon.

Voilà un Archétype manifesté à travers différents mythes, qui eux – même ont engendré différentes pratiques depuis la nuit des temps. Chaque époque et chaque culture a donné forme à cette aspiration de manifestation et nous pouvons lire ainsi les rubans accrochés aux arbres des peuples animistes, comme les offrandes accrochées sur les Tamagushis 14 japonais. Nous pouvons aussi y penser lorsque nous décorons nos arbres de Noël mais tout aussi bien lorsque nous nous sentons brulés, saignants, blessés ….. à poser les tissages sur les trois étages de nos souffrances, et faire silence afin d’entendre le Chant magique de l’âme ……

1) Dominique Camus, L’Univers des guérisseurs traditionnels, Ouest France, 2010, p 97.
2) Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel,2012, p 36.
3) Ibid
4) Hávamál, poème didactique de l’Edda poétique
5) Poésie celtique
6) Pierre Yves Lambert, Les Quatre branches du Mabinogi, Gallimard, 1993.
7) Michel Cazenave, « Entretien », Revue Phréatique n° 72.
8) Ibid
9) Clarissa Pinkola Estès, Femmes qui courent avec les loups, Le Livre de Poche, 1995.
10) J. M. Martin, Le Shintoïsme ancien, Jean Maisonneuvre, 1988.
11) Dieux et déesses japonais
12) J. M. Martin, Le Shintoïsme ancien, Jean Maisonneuvre, 1988
13) Ibid
14) Tamagushi veut dire brochette, brochettes sur lesquelles on embroche des joyaux, des présents, des offrandes. Le mot Tamagushi veut dire relier l’âme (entre le Kami et l’être humain et l’être humain et le Kami).

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