Les sombres ailes du destin, d’Ananké à Morrigu en passant par Anakin Skywalker

anakeA tourner autour des déesses célestes, solaires, lumineuses, à séjourner dans notre béatitude pour le bien, le bon, le beau, le clair, nous pourrions en oublier l’autre face de Son visage, la sombre parenté de son essence, la Noire, ou non, car La Noire est La Nuit, là je veux parler de l’invisible et fatale Ananké. Nous ne parlons pas souvent de cette Dame aux sombres ailes et pourtant elle tient une place capitale, dans la mythologie, dans la psyché, dans l’histoire de notre vie et celle du monde.

Dans la mythologie grecque, Ananké est la personnification de la destinée. Pour les Romains elle est Necessitas, c’est-à-dire qu’elle elle est « nécessité », la nécessité inaltérable et la fatalité. Déesse primordiale, elle marque le début du cosmos, avec Chronos. Ce dieu ne doit pas être confondu avec Cronos. Il est le Temps et pour les pythagoriciens et les orphistes représenté comme un énorme serpent qui formait une sorte d‘anneau étranglant la terre. Le temps et la nécessité forme une zyzygie, une paire archétypale en interrelation. Ananké est la mère d’Adrcronus.serpentastée « de qui on ne peut échapper » et des 3 Moires « les destins », Lachésis, Cloto et Atropos, avec qui la toile de la destinée devient irréversible.

Le schéma est clair : fatalité, prise au piège, destinée, obligation de passage. En grec ancien l’origine du nom d’Ananké,  Ἀνάγκη / Anágkē , serait fondé sur trois consonnes hnk. Dont les rattachements proposés sont les suivants :

Egypte ancienne hnk étroit et hng gorge, enek entourer embraser étrangler,
Hébreu anak collier formé de chaînes,
Chaldéen hanakin faire poser sur le cou des prisonniers

2uZUdcS1Est – ce une surprise de le retrouver dans le nom d’Anakin Skywalker le célèbre Dark Vador dans la guerre des étoiles, lui dont le moins que l’on puisse dire fut « étranglé », « englouti » par sa destinée ?

Le mot est à retrouver dans angine, anxiété, angoisse. La nécessité serait le lien physique de servitude oppressive envers un pouvoir auquel on ne peut échapper. Il est d’ailleurs très intéressant de noter le lien symbolique très fort avec la sensation d’étouffement lors de crise d’angoisse, d’oppression dans l’anxiété et les sensations d’étranglement, la gorge serrée, parmi les symptômes « soignés » par le venin de serpent Lachesis en homéopathie.

Dans les mythes – et dans les rêves – l’encerclement, les attaches, les liens, les anneaux, les cordes, les collets, les fuseaux, les nœuds, les guirlandes, les rênes, les couronnes mortuaires, les jougs sont des manières de parler d’Ananké et il n’y a aucun moyen de s’en sortir, elle lie notre âme à un destin spécifique et – inéluctable. Aucune prière ou sacrifice ne sauront la convaincre :

« Elle seule est une déesse
Sans autel ou image devant lesquels prier
Elle ignore tout sacrifice »

Euripide –  Alceste

(Le rêve peut-être très proche du mythe. Je me souviens d’un rêve où Athéna veillait devant son temple, recouverte de toute son armure. Sur le côté il y avait une source, mais descendant du ciel tombait un nuage noir, plongeant vers elle … N’était ce pas la rencontre d’Ananké et d’Athéna ?)

Le caractère implacable de la destinée, de la nécessité, est identifiable dans la mesure où le mythe nous dit qu’il est inutile de parler avec la Nécessité (Euripide), elle est en opposition totale avec le discours persuasif. Il n’est pas possible de venir à bout de cette implacable même avec le plus raisonnable des discours. Pour Aristote la nécessité est considérée comme quelque chose qu’on ne peut persuader car elle est contraire au mouvement qui s’accorde avec la raison et le raisonnement. La Nécessité n’est pas raisonnable !

Izanami_deadEn quelque sorte elle est la Grande Dame des enfers, et telle Perséphone (elle aussi rattachée aux enfers) elle est celle qui amène la destruction. Son impact est si grand qu’elle agit de concert avec la force, la vaillance, la valeur ou la violence. Ces qualités sont spécifiquement celles de la déesse Bia, d’ailleurs selon Pausanias, la ville de Corinthe abritait un temple dédié aux deux Déesses et l’accès en était interdit. L’amplification sur ce thème laisse apparaitre l’importance de ce mystère et cette interdiction. En effet il se retrouve souvent. Nous avons par exemple la déesse Izanami (Japon), qui morte après la blessure reçue lors de la naissance d’un de ses rejetons se retrouve en enfer. Son époux tente de la retrouver mais, lorsqu’il la retrouve sous la terre, elle lui dit de ne surtout pas la regarder. Ce qu’il fit, découvrant un être monstrueux, horrible, grouillant de vers. Et c’est la transgression de cet interdit qui provoque sa course, sa fuite et … la naissance des Kamis (dont Amaterasu-o-mi-kami et Susanno-o mikoto). D’autres exemples abondent. Chez les Celtes la déesse Macha détient un secret que son mari ne doit pas divulguer, interdit une nouvelle fois transgressé provoquant la course mortelle de la déesse et les calamités chez les Ulates. A contrario c’est tant que le secret de la disparition de son fils n’est pas divulgué que la déesse galloises Rhianon doit porter le « joug », comme un cheval. Et nous ne pouvons oublier Mélusine qui ne doit pas être regardée dans son bain sous réserve des désastres qui s’en suivent. Ainsi donc cette Energie divine, (elle est partie intégrante du mythe) possède un secret, porte un interdit et aucune force ne saurait l’empêcher, le destin se déroule, le joug est posé. C’est tout aussi identifiable dans le caractère de la grande Morrigu d’Irlande, elle qui peut se transformer à volonté en serpent qui enserre, elle qui dérange, provoque et réclame sans cesse son dû. A la lecture de ces mythes il ressort que pour que la vie s’agisse, s’active et se mette en route il est nécessaire de passer d’abord par cet étranglement, comme un enfant en train de naitre passe par l’enserrement du col de l’utérus de sa mère. En vérité cette activité anxiogène est une activité créatrice, qui intervient dans la naissance de la vie et d’après Platon dans la création même de l’univers : elle est nécessaire à la Vie.

A la voir à l’action dans les processus d’anxiété, d’angoisse et de dépression nous pouvons alors regarder ces phénomènes sous un nouvel angle, non plus comme des erreurs de la nature, mais comme des processus vitaux nous invitant à « passer à travers », nous transformer, nous métamorphoser pour « naitre » autrement.

Nous l’avons vu et nous le savons, la raison ne peut rien contre cette énergie et faire entendre raison à nos déprimes n’avancent pas à grand – chose. Cependant le mythe d’Oreste nous donne une clé majeure quant à la possibilité de dialoguer avec cette obscure nécessité. En effet, une déesse parvient à modifier, à desserrer l’étreinte : Athéna. Athéna détient le « verbe » qui délie, elle ouvre une voie, par la parole elle offre aux forces furieuses de la Nécessité, une position à l’intérieur de l’ordre divin, elle offre un sanctuaire, une grotte, un autel où leurs pouvoirs peuvent être honorés tout en restant étrangers (ainsi nommé dans le texte antique). Alors seulement les formes seront imaginées et nommées, la réconciliation survient.  La parole devient un hymne curatif, et hymne signifie « chant en l’honneur d’un dieu », un fil tissé. Ce chant a le pouvoir de pousser les éléments les plus sombres à se manifester et à trouver une place. Pour nous cela signifie que le verbe qui « charme », non celui qui « ordonne » peut seul faire un lien avec l’obscur dessein. C’est le verbe féminin : le logos hystericos, qui concilie. athena05Par ses mots Athéna tisse et file, pose la magie du chant, caractéristique majeure du féminin en action, et permet à Ananké de réduire son étranglement, lui reconnaît un nom et une place dans le panthéon des Archétypes. Nous ne faisons rien de plus lorsque nous pratiquons la maïeutique de l’âme, quand nous accompagnons la souffrance ou la douleur de la psyché, avec le silence du respect et l’expression des mots reformulant leurs Images. Il ne s’agit pas de la raison pure, ni de l’ordre donné, comme le ferait un logos spermaticos, mais d’un verbe inspiré, reconnaissant, qui permet alors l’acceptation du droit et du pouvoir secret de cette Déesse, la repoussant par là même dans sa grotte, l’esprit apaisé.

http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/intro.htm#platon

  1. Shreckenberg, Ananké, Helf 36, Beck, 1964
  2. Hillman, Le Polythéisme de l’âme, Mercure de France, 1982

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