Le terme Archétype est rentré dans le langage courant et nous sommes nombreux à l’utiliser car, à ce jour, aucun autre ne réussit à mieux évoquer ce que l’on veut exprimer. Nous identifions les manifestations archétypales dans des schémas de vie, tel des instincts psychiques et les rattachons sans trop de difficulté aux mythologies, aux dieux dans les mythologies. C’est plus difficile de les identifier dans les rêves. Jung fut un des premiers à évoquer ces figures numineuses traversant nos rêves. Le premier exemple qu’il donne est celui du rêve d’une femme laissant apparaître le Dieu Père archaïque, qui la berçait. C’est à partir de cet exemple qu’il commença à les observer avec plus d’attention.
Ils sont présents, et très vivants dès que le conscient laisse un peu de place. Les apercevoir dans les rêves n’est pas toujours facile pour deux raisons.
La première, si je nous compare aux mondes de l’antiquité qui vivait « avec », est que nous sommes incultes en ce qui concerne la mythologie. Cette inconscience de l’agissement du mythe en soi serait d’après Jung à l’origine de certaines névroses : « Parmi les maladies dits névrotiques d’aujourd’hui, un bon nombre, à des époques plus anciennes, ne seraient pas devenus névrosés, c’est-à-dire n’auraient pas été dissociés en eux-mêmes, s’ils avaient vécu en des temps et dans un milieu où l’homme était encore relié par le mythe au monde des ancêtres et par conséquent à la nature vécue et non pas seulement vue du dehors ; la désunion avec eux-mêmes leur aurait été épargnée. » (Jung, Ma vie, P 170). En ces temps chaque acte, chaque manifestation en soi, étaient reliés à une énergie spirituelle que le mythe décrivait, offrant ainsi un sens possible. Pour nous qui ne savons aborder les mythes qu’avec l’intellect, il ne suffit pas de connaitre toutes les aventures des dieux de l’Olympe, il est nécessaire de pouvoir croiser les schémas avec d’autres sources mythologiques, et c’est ce que Jung appela l’amplification. C’est ce croisement qui donnera des clés de lectures ou mieux encore fera écho en soi. Nous devons nous débrouiller avec ce que nous savons et tenter d’en saisir toute la quintessence, nous qui ne voyons plus dans le monde du mythe nous devons faire l’effort de repartir à leur rencontre. Et la difficulté tient aussi au fait qu’il ne nous reste pratiquement jamais un mythe entier dans tout son contexte et ses circonvolutions, nous avons des bribes, des bouts, des tranches là où l’ensemble porte lui aussi un sens.
La deuxième raison c’est que contrairement à ce que nous attendons, la figure archétypale n’apparaît pas souvent exactement telle qu’elle est représentée dans les mythes anciens, la statutaire et l’iconographie. La figure elle – même, les objets, les gestes et les actes sont souvent comme actualisés à notre époque (et c’est bien le propre de l’archétype de se réactualiser). Là où nous pourrions attendre de voir une Déesse ailée, brillante de mille feux peut se présenter une jolie personne couverte d’ampoules électriques. La manifestation peut prendre de multiples formes et c’est sans aucun doute une des raisons pour lesquelles à l’origine les Dieux n’ont pas de forme définie, elle peut changer, comme elle change suivant la culture où elle s’exprime, le lieu, l’époque.
Cela dit, il arrive qu’une figure mythologique apparaisse dans le rêve avec ses attributs, même si nous ne les connaissons pas et c’est bien ce qui est troublant, et valide les thèses jungiennes. Par exemple, il y a plus de 10 ans je rêvais que je regardais au ras du sol (le dessus était dans la brume) et je voyais des pieds dans des sandalettes en cuir (comme celles des Romains) qui couraient paniqués dans tous les sens car des piliers de pierres fracassés leur tombaient dessus. Effrayée à mon tour, j’ai levé mon regard au-dessus des nuages. Je vis un grand personnage, c’était un homme avec une barbe. Il avait sur la tête quelque chose qui ressemblait aux grands peignes que portaient les espagnoles sous leur mantille, et, il mange une tartine de confiture… C’est ainsi que je vis mon rêve avec un barbu coiffé comme une femme espagnole … Jusqu’à ce qu’un ami spécialiste de la mythologie grecque et égyptienne me dise interloqué : « mais c’est Sérapis ! et ce que tu as vu c’est la destruction de son temple en 391 qui marque un tournant important dans le passage de l’ère païenne à l’ère chrétienne. Alors j’ai cherché les images de ce dieu et plus de détails sur cet épisode de l’histoire avant de pouvoir faire les rapprochements avec ma propre histoire intérieure. Je ne connaissais pas ce dieu auparavant, mais il était bien là, vivant, de l’autre côté, clairement reconnaissable. Un autre exemple de figure mythologique aisément identifiable : « … devant moi passe une femme, jolie, souriante, d’ailleurs elle me regarde avec un grand sourire. Elle est assise sur un cheval. Je ne vois pas ses vêtements, je suis
captivée par son sourire … ». La rêveuse peu portée sur la mythologie ne connaissait pas Epona, mais moi je la connais bien et je l’ai tout de suite reconnue dans cette « femme assise » (pas à cheval, l’expression est différente) sur un cheval. Le cheval n’est pas actualisé, il n’est pas remplacé par une moto ou une voiture comme c’est souvent le cas dans nos rêves de rêveurs du XXIe siècle.
Car le plus souvent la figure se « moule » dans des formes qui sont celles de notre quotidien. Voici deux exemples qui sauront mieux que des explications vous exprimer ce que je veux dire.
Rêve 1 :
« Je marche sur une route avec une amie, et nous allons acheter des cigarettes. En chemin elle me dit, “ j’ai envie de faire pipi ”, elle s’arrête sur le côté gauche de la route, lève ses jupes et debout, face à moi me montre son sexe… ». Comme la figure s’est glissée sous les traits d‘une amie, il est très difficile de lire la figure mythique sous son geste, et pourtant c’est exactement ce que fit Baubo la grecque ou Uzumé la japonaise, soulever sa jupe et montrer son sexe.
Rêve 2 :
« Je vois un serpent vert, il me fait très peur, il est gros et menaçant. Mais la minette de la maison arrive et “ croque” la tête du serpent, je peux entendre le bruit, c’est horrible. Les dents du chat perforent le crâne. Le serpent va se coucher…. » . Qui ne connait pas dans la mythologie égyptienne le combat de Bastet et Apophis, ni aucun des mythes qui s’en rapproche, ne peut pas lire ce rêve sous l’angle archétypal. De prime abord ce que l’on y voit c’est le chat de la maison et un méchant serpent. C’est en ce sens qu’il est très important, comme le rappelle Jung sans cesse, de regarder le rêve comme quelque chose d’extérieur, y revenir, tourner autour, sans le juger, sans l’interpréter d’emblée, laisser monter les images qu’il propose et qu’il évoque. Cette approche est tout aussi bien préconisée par James Hillman qui devant un serpent noir, observera tout ce qui le concerne sans y poser d’emblée des associations subjectives.
Il y a donc des Images qui hantent les mythes et les rêves, mais si nous nous contentons de les observer et les lister comme on compile un savoir, nous ne serions qu’instruits. Ce qui nous intéresse c’est de laisser se faire l’écho en soi, de donner la parole à cet Autre en soi, c’est de lâcher prise avec cette énergie qui vit à travers nous et avec nous. La psychologie Archétypale propose ce regard vers le mythe dans sa manifestation personnelle et sa mise en œuvre. Jung, déjà, posait la question de savoir « quel est mon propre mythe ? », ce mythe qui peut changer en cours de vie. Par le rêve nous pouvons approcher celui ou ceux qui se meuvent à travers notre âme, par la connaissance du mythe qui se manifeste nous pouvons approcher la métanoïa attendue et dont nous ne sommes pas forcément conscients sans le secours du mythe, sans le secours de ceux qui l’ont rêvé, imaginé, avant. Je veux dire, par exemple, que le rêve de Bastet et Apophis déclencha une grande délivrance lorsque la rêveuse prit conscience de son existence dans une des mythologies les plus vieilles du monde. Il démontrait qu’à l’époque l’âme humaine était déjà confrontée à ce genre d’affres. La rêveuse exprima le sentiment de se sentir moins seule et ressentit son appartenance à la grande famille des humains. Depuis l’antiquité, la nuit des temps, en transmettantt le mythe, les âmes les plus anciennes offraient ce message, en quelque sorte un message de com – passion. Mais ce ne fut pas tout, l’histoire que dévoile le mythe permit à la rêveuse d’apaiser son angoisse devant le « sens » de ce rêve qui lui échappait. En connaissant « l’histoire », elle comprit que Le Chat de son âme avait mutilé, (rendu inoffensif) le grand Serpent des forces de l’obscur insondable, tel que le rapporte le mythe …
Je voudrais terminer sur un rêve qui ne se contente pas de voir une figure mythique traverser, mais déroule tout le schéma du mythe, du conte :
« Une femme vit dans un pays qui la malmène et d’ailleurs où toutes les femmes sont maltraitées. Son quotidien est morne et elle est toujours sur le qui-vive. Un prince (avec couronne en or !) vient lui dire qu’ils se connaissent et ont eu un enfant ensemble. Mais l’enfant a disparu (et le prince aussi d’ailleurs). Une main découpe délicatement le manteau accroché sur le dos de sa mère. Celle – ci se laisse faire car elle sait que cela aidera sa fille … Un groupe d’hommes poursuivent la femme du rêve. Elle sait ce qu’ils veulent et tente de les fuir. Ils la suivent à travers les rues sombres et même dans la forêt où elle se réfugie. C’est le moment que choisit le Prince à la couronne d’or pour « l’aspirer » dans une autre dimension, autre dimension dans laquelle il lui dit qu’il vient de la sortir du coma et qu’elle vivait dans un monde imaginaire. La vraie vie c’était maintenant, avec lui. »
Sans entrer dans le détails il n’est pas difficile de reconnaître la trame mythologique de Rhiannon la Galloise dont le fils disparut et qui dut subir le joug, avant d’être libérée une fois le secret révélé (la vérité révélée) ou encore plus proche de nous, la Belle au bois dormant ou Blanche Neige « sorties du coma » par le Prince Charmant …..
Faites de beaux rêves 😉
Jung – toute l’oeuvre
James Hillman : Le polythéisme de l’âme, Pan et le cauchemar.