La vallée de l’âme !

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Photo Didier Verchère

À force de confrontation à notre monde intérieur, nous arrivons peu à peu, à donner le nom d’Ombre à nos obscurités les plus flagrantes, celles que l’on parvient avec force humilité à reconnaître. S’il est assez identifiable dans les rêves, il nous arrive aussi parfois de saisir le « Logos », ce fameux Logos maître du monde contemporain. Il arrive même de surprendre dans la trame d’un voyage onirique l’Image d’une dynamique d’un Soi qui semble inaccessible. Nous savons de quelques façons sentir frémir en soi l’Esprit qui souffle. Mais nous sommes vite désemparés devant ce flot d’émotions, de sentiments, d’humeurs, de désespoirs, de pleurs, et tout autant de joies, de tremblements, de surprises qui « vivent » quelque part et en même temps coulent dans notre sang sans être notre sang. Je parle de ces émotions qui font frissonner la peau, nous rendent plus légers ou plus lourds. Je parle de ces boules qui montent dans le cœur, des frissons de joie, des frissons de peurs … Où se trouvent « cela » ? Par évidence cela n’est pas que dans le corps, mais quelque part entre la matière et l’esprit. Jung, parce qu’il est homme, a clairement défini cette part de la psyché des hommes qu’il a nommé Anima, cette « Âme » féminine qui s’agit dans son inconscient avec ses humeurs, ses caprices, ses tendances au leurre, mais aussi ses sentiments, ses émotions  qui le bouleverse, le surprenne, prennent possession de lui ou l’inspirent telle les Muses des anciennes croyances. L’Anima, autre chose que l’Ombre et pourtant bien souvent main dans la main l’un de l’autre. Pour les femmes Jung a parlé d’Animus, cette part masculine de la psyché. Nous avons donc une Ombre, Animus et le Soi sans compter toutes les branches et ramifications qui s’y rattachent.

Mais quelle est cette partie en moi, à qui je parle depuis toujours comme une alter égo, qui me12662580_1115185048492905_9033997112179643468_n fait pleurer, souffrir, aimer, danser, rire, qui est comme intrinsèquement tissée à ma chair, comme une robe imprimée dans mon sang. Ce féminin, mis  à l’écart du monde depuis si longtemps est devenu très difficile à approcher dans le monde de la psyché. Pourtant il est là, présent à chaque instant, vivant à chacun de nos souffles. Ce que vous, les hommes, avez sous forme d’Anima, nous, femmes, appelons ça le Féminin en soi. Anima, très proche de la conscience des femmes et plongée dans les méandres de l’inconscient chez l’homme qui comme la décrit parfaitement James Hillman est cette  VALLÉE  au pied des pentes abruptes des MONTS de l’Esprit. L’Esprit dans notre monde « logotisé », nous connaissons, nous le guettons sans cesse, à force de centration, de méditation, de verbe et de silence. L’Âme est dénigrée, écartée, négligée.  Cette Âme « Érotique »  se complaît dans les méandres de sa nature, la chair, la peau, l’odeur, les courbes, les méandres, le chant, la poésie, le sentiment, l’émotion. Elle est chevillée à notre incarnation, aspire à s’émouvoir dans ce qui fait que nous nous sentons « vivants » parce que là nous expérimentons la vie. Je ne pourrais jamais aussi bien décrire la nature de l’âme que James Hillman dans son ouvrage La beauté de Psyché et je ne m’y aventurerai pas, mais ce que je souhaite écrire c’est la complète compréhension que j’ai de ses écrits si j’en projette les Images sur ma vie de femme, mon expérience de femme. Et tenter de l’écrire avec les mots de l’âme …

waterhouse_psyche-boiteÀ force de gravir la montagne nous nous sommes éloignés des vallées, nous nous retrouvons seuls sur les chemins de la quête d’un Autre que nous-même. Nous avons délaissé les rivières et les prairies, les marécages et les chemins creux du fond de la vallée. Nous ne marchons plus pieds nus sur la terre sacrée, nous avançons chaussés de bottes sur les pans des Monts. Nous voulons être acétiques, purs, blancs, transparents… vides.  La vie se trouve dans la vallée. La vie c’est faire frémir un chant, c’est ce que l’âme demande. La vie c’est extirper du noir la palette infinie des couleurs de l’aurore. Ne pas chercher un Autre, mais nous trouver nous – même passe par la vallée. C’est dans la vallée que nous verrons les marécages les plus sombres, la vallée de larmes, mais c’est dans la vallée que nous trouverons les fleurs les plus exquises, les odeurs les plus douces. Les vallées de l’Âme sont les chemins creux de notre incarnation. Si nous devions juste escalader les montagnes nous serions nés chamois, isards, aigles des montagnes. Nous sommes nés humains avec toute la panoplie qui nous blesse, nous alourdit, nous touche, nous émeut, nous fait frémir, nous fait trembler. Vivre c’est laisser émerger notre âme dans l’incarnation. Écouter son chant, tel une Image, un son, un goût, et le suivre sur les sentiers tortueux de son attente, c’est réaliser ce que l’on est soi-même, en laissant les branchages vieillis, comme des feuilles mortes, tomber sur le chemin, ramasser les fleurs fraîches et suaves qui éclosent à nos pleurs, nos chants, nos amours.  Vivre c’est oser explorer ces possibles,  sans frayeurs, totalement, de tout son être, profondément, sans butiner, sans folâtrer, en ouvrant grandement ses poumons et son cœur. Alors les pieds ancrés dans le sable des berges, debout, nous pouvons lever le regard et pointer aux sommets des monts qui lancent leurs cimes. C’est le pic le plus haut et le plus audacieux qui se mire, ici et maintenant, dans l’eau du lac, comme des épousailles. La montagne reflète sa longue pointe dressée dans l’eau de la vallée. C’est un reflet,  le reflet dans l’âme, le reflet qui jaillit par nos yeux.

 « Hillman sert l’âme essentiellement en préservant ses manifestations, l’une d’elle étant son désir de se comprendre elle-même. La psyché réclamant le logos[1] »

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Photo Didier Verchère

Voilà le Hierogamos, l’union du mont et de la vallée, du dieu et de la déesse, de l’Animus et de l’Anima, de l’Esprit et de l’Âme, Logos et Éros. Il ne nous reste plus qu’à marcher notre parole, poser par nos pied sur la terre, malaxer cette terre dans nos mains, par le souffle du vent et la caresse des étoiles, incarner cette union. Que Logos souffle le Verbe et fouille la Matière, que Logos pénètre avec infiniment d’amour et de douceur, de vigueur et de désir cette Terre frémissante. Que la sombre vallée de notre âme se trouve fécondée par le mont dressé et le noir devient vert, rouge, bleu, jaune. La vallée geint, pleure, implore, rêve, imagine, contient en son sein tous les possibles, les promesses, toutes les graines et toutes les racines.  Il suffit d’un vouloir, d’un geste, d’un mot, d’un baiser …

Et Hillman de nous donner les clés du langage de l’âme, ces aspirations à la beauté (non esthétique mais sacrée) ces mots poèmes, ses Images vivantes, son besoin d’eau et de lumière, sa présence immanente en nous et autour de nous, à chaque instant, dans chaque larme, dans chaque rire, dans chaque courbe des collines.

« La beauté de Psyché », James Hillman, Le Jour éditeur.

[1] Introduction de Thomas Moore, James Hillman, La beauté de Psyché, Le Jour éditeur, 1993, p 244

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