Nous savons, depuis les travaux de C. G. Jung que les mythes sont des Images archétypiques. En quelque sorte ils sont les rêves des peuples. Cependant ils sont aussi l’Imaginal de chaque être humain. De cette manière nous pouvons les suivre dans les grands mythes de l’humanité, la psyché collective et tout autant dans la psyché personnelle.
Ces schèmes archétypaux s’identifient dans les rêves si nous savons prendre suffisamment de recul et ne pas vouloir absolument « voir » les Images telles qu’elles sont représentées dans l’iconographie classique. En effet, la manifestation de l’Archétype prend la forme la plus parlante pour nous, moulée à notre temps et à la culture dans laquelle nous baignons, à moins qu’elle n’y trouve son image proche dans quel cas elle va puiser dans l’inconscient collectif l’image la plus juste. Les Dieux et les Déesses des Grecs ou des Égyptiens sont habillés comme des Grecs et des Égyptiens et même les mythes chrétiens nous montrent des Figures vêtues tels que le furent les peuples de leur temps. Il peut donc sembler surprenant que nos dieux actuels soient couvert d’une toge quand ils devraient porter jeans et pull-over. C’est bien ce qu’ils font souvent dans nos rêves. Baubo peut prendre les traits de la voisine, comme Lugh apparaître comme le mécanicien du coin. Ce sont leurs gestes et le schéma mythique dans lequel ils se meuvent qui nous laisse deviner le mythe, l’archétype sous-jacent.
Les Images que nous en avons ne sont pas les archétypes mais leur manifestation, qui elle, est mouvante. Ils sont de l’ordre de l’Imaginal que nous ne devons pas confondre avec l’imaginaire. L’imaginaire est cette douce (ou violente) rêverie issue de notre imagination, induite pas nos peurs ou nos désirs. L’imaginaire peut être à l’Imaginal ce que la sensiblerie est à la sensibilité. L’imaginaire comme la sensiblerie sont les vivacités de l’âme rattachées à l’ombre et n’ont pas leur souche aux archétypes, ils flottent. L’Imaginal est, par contre, ce que nous pouvons voir de notre âme entière, reliée à la souche archétypique, multiple. L’Imaginal ne se laisse pas contrôler, il nous propose ce qui émerge de l’âme et que nous croisons dans nos rêves ou peuvent venir à nous dans les rêves éveillés. Ils correspondent rarement à ce que nous attendons, espérons. Surgit des profondeurs de l’inconscient, ils sont par essence « inconscients » et ne peuvent pas répondre à ce que nous connaissons en conscience. Je peux très bien « désirer » telle ou telle Figure, ce n’est pas Elle qui va se manifester, ce qui va se manifester c’est ce que je dois rencontrer et que je ne connais pas encore.
Partir à la rencontre de ces Figures intérieures nous offre l’opportunité de rencontrer cette part de nous-même, qui s’agit en nous mais que nous ne connaissons pas.
Identifiant la Figure et le schème mythique nous prenons alors conscience de ce qui se projette dans notre vie, quel est le « drame » qui s’y joue. Par amplification, c’est-à-dire en parcourant les mythes de même nature, nous mettons des mots sur l’origine de la maladie et sur les manières dont nous pouvons « évoluer », libérer et « transcender ».
Jung a bien parlé de cette quête qui consiste à trouver quel est notre propre mythe, si tant est que nous n’ayons qu’un seul mythe à porter. James Hillman a été bien plus loin en qualifiant l’âme de polythéiste et en identifiant, parmi les nombreux cas qu’il a traité, que chaque archétype possède aussi sa part pathologique, porte en lui sa propre maladie, que nous seuls sommes en mesure de guérir.
Ainsi ce n’est pas en inventant notre histoire avec toutes les forces de notre intellect, que nous trouverons les clés de notre délivrance, mais en observant les Images, en les accueillant comme notre réalité, en les rattachant à la grande danse des archétypes, comme le dirait Marie Louise von Franz, que nous pouvons guérir.
Ne nous trompons pas, ce n’est pas parce que nous avons l’impression d’aller bien et de porter le divin en soi que nous n’avons rien à guérir. Nous ne pouvons d’un côté avancer que nous allons très bien que nous avons réglé tous nos problèmes intérieurs, et de l’autre affirmer que nous sommes tous liés, interconnectés. Interconnectés hors du temps et de l’espace, et la physique quantique approuve, cela veut dire que nous portons en nous, quelque part, les souffrances et les maladies du monde, du Cosmos. Interconnectés, cela veut dire que nous portons notre histoire familiale avec toutes ses joies mais aussi ses blessures, ses secrets, l’histoire de notre peuple et l’histoire entière de l’humanité. C’est en ce sens que nous pouvons espérer changer le monde, en nous changeant nous-même, en proposant la rédemption au cœur de notre âme pour que le suc gavé de notre joie inonde les radicelles qui nous lient indéfiniment à l’Âme du Monde.
(L’Âme du Monde, Manon Rousseau)