Si des psychanalystes s’allongeaient sur notre divan pour nous parler en sincérité de leur vision de la sexualité et des rapports hommes femmes, que nous diraient-ils ? Sophie Robert a rencontré 18 psychanalystes freudiens et lacaniens orthodoxes pour décortiquer avec eux la théorie sexuelle, en leur demandant d’assumer la dimension politiquement très incorrecte de leurs théories. Ils se sont prêtés au jeu avec une gourmandise visible. Le résultat est stupéfiant : La femme n’existe pas / la femme c’est un trou / il n’y a que du masculin dans l’inconscient / il n’y a pas de rapport sexuel possible entre un homme et une femme / les homosexuels sont des psychotiques qui s’ignorent / les enfants ont des pulsions sexuelles / seule la perversion permet le rapport sexuel / l’inceste paternel ça ne fait pas tellement de dégâts, ça rend juste les filles un peu débiles. Ces psychanalystes sont pourtant des références dans leur domaine. Ces hommes et ces femmes sont également enseignants formateurs dans les UFR de psychologie et les cursus de psychiatrie. Beaucoup interviennent dans des instituts médico-sociaux accueillant des enfants différents. Quelles sont les conséquences de cette vision de la sexualité sur les patients(e)s victimes d’abus sexuels ?
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« L’enfant lorsqu’il découvre le sexe de sa mère, il voit un trou ! » Voilà la première phrase que nous pouvons entendre dans la bande annonce du documentaire Le phallus et le néant de Sophie Robert présenté ci-dessus. Je me demande quel enfant, peut-être excepté dans une famille particulièrement perverse et malade, découvre de cette manière le sexe de sa mère ? Lui écarte-t-il les jambes pour regarder ce qui s’y trouve ? et même s’il le faisait, verrait-il « un trou » ? Il me semble qu’il faut un regard d’’homme, ayant pénétré le trou, sans y mettre un minimum d’âme, pour voir le sexe d’une femme limité à un trou. Le sexe d’une femme tant que l’on n’y a pas mis au moins les doigts n’est pas un trou, mais au premier regard une fente, qui plus est poilue si elle est adulte. C’est au mieux ce que pourrait découvrir un enfant et encore il faudrait que la dame lui expose grandement son entrecuisse. Pour voir le trou il faudrait en plus qu’elle écarte les grandes lèvres… Qu’elle mère offre un tel paysage à son enfant ?
N’y a-t-il pas eu assez de psychanalystes, assez de spécialistes, pour faire évoluer et avancer les premières « doctrines » de Freud, filles de son temps et de sa propre condition pour nuancer tout cet ensemble de préceptes dépassés ? Certes Freud a « découvert » que la terre était ronde, mais il faut du temps et mettre à l’épreuve la découverte pour aller plus avant et réaliser peu à peu que nous seulement elle est ronde mais elle fait partie d’un système entier, dont Freud ne voyait pas toute la réalité et s’est trompé sur certains points clés. Cela ne remet pas en cause son travail et la porte entrouverte, mais en aucun cas ne doit en faire une vérité, une bonne fois pour toute.
Peut-être dois-je ne pas prendre cette phrase à la lettre, mais y lire une métaphore, une image ? De cette manière nous pouvons entendre la notion d’inceste, de retour dans le ventre de la mère, plus comme un désir inconscient de retrouver l’état fœtal et non un acte sexuel avec elle, une régression qui nous fait faire pipi au lit quand nous avons 10 ans… Mais même sous forme d’image le sexe de la mère n’est pas un trou, Ne serait- il pas plutôt un mystère, un mystère fantasmatique qui dépasse amplement le sexuel ?
Dans toute cette histoire où sont passés Charcot, Breuer, Rank, Gross, et Bleuler, Janet, Binet, Jung, Spielrein, Assagioli. Klein ? oui mais aussi et surtout Dolto ! Férensci1, Tomasella, Clavier, Dumas, mais aussi et surtout Miller2 ! Combien sont-ils à se pencher vraiment sur l’enfant, sans être de ces pères du XIXe siècle ? Combien sont-ils à se pencher sur le féminin sans être des héritiers actifs et direct d’une vision machiste du féminin ? Soit, nous ne pouvons ignorer l’héritage, mais la sagesse nous apprend que nous ne pouvons-nous contenter d’ânonner ce qu’ont dit nos pères sans confronter l’acquis au vivant. Combien d’enfants Freud a-t-il élevé, au quotidien ? Combien d’enfants a-t-il analysé ? Même Jung, dont les enfants devaient sans aucun doute être bercés plus par la nurse que par la mère ? Jung si célèbre pour ses groupies qu’a-t-il connu des femmes, vraiment ? Soit, ils ont des excuses, celles de leur époque, le temps et le lieu, mais c’est à nous de prendre de la distance et pousser plus loin l’observation et l’expérience.
J’ai mis trois fils au monde et je peux certifier qu’aucun d’eux n’a découvert le « trou » de mon sexe. Peut-être, si, le premier jour de leur vie en passant au travers, mais peut-on dire alors que l’enfant découvre le sexe de sa mère ? C’est sans aucun doute le jour où l’homme pénètre une femme pour la première fois qu’il prend conscience que, oui, en définitive sa mère est ainsi faite, mais ce n’est pas qu’un trou, c’est aussi une chair, et il découvre aussi, et surtout, qu’il est le fruit d’un désir. Le fruit d’un désir amoureux serait encore mieux… Il est sûr que tant que l’homme réduira le sexe de la femme à un « trou », l’objet qu’elle représente ne proposera pas à l’enfant d’y voir un alter égo, un partenaire avec qui partager le plaisir, la jouissance et la joie, l’amour. Si l’enfant imagine le sexe de sa mère comme un trou ce ne peut-être qu’à travers le regard de ses pères. Si sur certains points mes cheveux se hérissent en lisant Sans père, sans paroles de Didier Dumas, je dois reconnaître que sur d’autres son analyse est pertinente qui veut réhabiliter le rôle des pères et leurs responsabilités en particulier par le biais de leurs paroles (et de leur présence), alors si les psychanalystes en rajoute une couche ! L’ouvrage de Dumas pêche par un côté machiste qui occulte le fait que si les femmes ont rejeté les hommes c’est parce qu’ils se comportaient plus comme des tortionnaires que comme des humains et encore moins des pères. Mais sur le rôle que peut jouer le père, quand il est sain et aimant, enceint dans son cœur, il ne se trompe pas, une femme aimée, respectée, dont le sexe ne se limite pas à un trou, portera et mettra au monde un enfant aimé, équilibré. Jamais dans ce cas-là le sexe de sa mère, ni de toutes les femmes, ne sera envisagé comme un « trou » !
1 Sandor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant
2 Alice Miller, L’Essentiel d’Alice Miller