Le regard de Colette

illustration-colette-un-ecrivain-pour-le-temps_1-1547116486J’aime profondément les œuvres de Colette.

Non, en vérité, j’adore les œuvres de Colette, car je les lis avec une sorte de dévotion, d’approche du sacré. Ce qui coule sur le papier est une langue de feu, fluide comme un ruisseau émergeant d’une âme vers l’océan. J’aime tellement lire Colette que, volontairement, je n’ai pas tout lu, je m’en réserve quelques goulées, pour les temps à venir. Je garde de la place dans ma vie pour ces desserts délicieux. Ces moments-là, où je m’autorise, je suis tout à ce que je fais, je lis et je me nourris, et je m’extasie. Les mots de Colette sentent l’humus, le vent. Ils ont le goût de la terre et le bruissement des feuillages. Ils reflètent avec justesse le tremblement de l’être. Je ne pense pas quand je lis Colette, je frémis.

« Elle repoussait en arrière la grande capeline de paille rousse, qui tombait sur son dos, retenue à son cou par un ruban de taffetas marron, et elle renversait la tête pour offrir au ciel son intrépide regard gris, son visage couleur de pomme d’automne. Sa voix frappait-elle l’oiseau de la girouette, la bondrée planante, la dernière feuille du noyer, ou la lucarne qui avalait, au petit matin, les chouettes ?… Ô surprise, ô certitude… D’une nue à gauche une voix de prophète enrhumé versait un  : “Non, madame Colê…ê…tte !” [1] »

beaf0d2a39fff7d78c011399fd7910a4--paris-film-real-peopleColette c’est aussi la danseuse dénudée, l’amoureuse de Missy, celle du jeune Bertrand, nous savons tout cela. Colette soumise, Colette libérée, Colette bisexuelle, Colette sans tabous… Je n’ai pas encore vu le film qui vient de paraître sur les écrans, j’attends, un peu. Peur de la déception ? Attente d’une délectation ? A voir…

Mais tout a été dit sur Colette et son style. Comme tout a été dit sur la femme, son parcours, son esprit libre, sa vision précise des affres humaines quotidiennes.

Je n’ai, en quelque sorte, rien à rajouter.

Colette est La grande écrivaine ! La femme, la vagabonde errante, sise au profond de son âme. Colette propose l’acceptation de nos sensations et de nos sentiments, l’acceptation de vivre. Elle nous permet d’oser comprendre que les petites choses, les couleurs et les gestes, les petites récompenses d’une attente de l’aube, les petites cruautés ordinaires forment un écho troublant à ce qui nous anime.

«  Tu as tenu cela dans tes mains, au-dessus du vide, et tu as ouvert les mains… Tu es un monstre… Je ne veux pas vivre avec un monstre[2]… »

3067457895_1_3_T4IUBLOWLorsque j’écris des lignes, sagement penchée sur un pupitre et que mes chats se sont lovés sur mes genoux, sur le bois de la table, je pense à Colette. Je sens ce mouvement d’intériorisation qu’accentue la présence des chats. Je sens que ce n’est pas de mon cerveau que jaillissent les mots, mais d’un profond de l’être, d’un lieu indescriptible dont je suis le vecteur que Colette a bien mieux que tout autre connecté à ses doigts. Il ne s’agit pas de « faire comme », de singer, imiter, ni même s’inspirer. En lisant, en écrivant il s’agit de se connecter. Même sans le talent le mouvement vital de l’être tend à s’éveiller. Colette c’est cette capacité d’émerveillement devant la manifestation de la beauté ou la capacité d’horreur devant le petit geste qui cache la souffrance et nous pouvons la suivre car cet élan est l’élan de la vie.

gbb00797La force et la beauté de Colette résident en ses écrits, c’est là que la réalité de son être jaillit et se dévoile. Si nous regardons avec attention ses photos, son visage est tout autre. L’angle de son regard, tel un renard perdu, les douceurs de ses joues, creusent un regard triste. Tellement triste, toujours ! Et c’est là que Colette me touche le plus. Le regard d’une femme qui sait et qui sent, qui vibre mais qui se trouve enclose dans un monde aveugle et sourd. Le lac immense de son regard est un lac de nostalgie, de chagrin indicible, d’amour mélancolique. Le petit front têtu et sûr de lui de son enfance laisse rapidement place à un regard voilé d’une ombre en pleurs. Quelques phrases s’agrainent et laissent paraître le mal d’amour.

« Choisir, être choisi, aimer : tout de suite après viennent le souci, le péril de perdre, la crainte de semer le regret.[3] »

51299045_3653067391376860_3703628446270750720_nJ’aime Colette, car elle ne triche pas, ne joue pas la savante. Elle dit voilà ce que je sens, ce que je ressens, voilà ce que je vis : Colette est totalement, royalement, humaine. Une femme ancrée à ses racines humaines. La beauté de son œuvre, contrairement à une flagornerie, tient au fait de n’avoir pas occulté la souffrance de l’âme, de son âme et d’y avoir adjoint la source d’émerveillement dont elle était capable, de les avoir offertes au monde.

[1] Sido

[2] La Chatte

[3] Le Fanal bleu

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