J’ai lu, Dernières nouvelles de Jim Harrison

9782290155868Je fais avec Dernières nouvelles de Jim Harrison la même chose qu’avec les écrits de mes auteurs préférés, dont la production ne pourra plus se compléter, quand ils ne sont plus là pour écrire. Je  lis dans un moment choisi (et pas dans le train ou vite fait avant de m’endormir) : je m’installe proche d’une cheminée ou sous ma couverture, les chats sur mes genoux, ou dans le hamac si c’est l’été. Je me mets en condition d’être totalement à ce que je lis. Je me rends disponible, je m’abandonne. Paradoxalement c’est dans ces instants, isolée du monde, que je me sens vivante. Voilà des textes qui provoquent le frémissement de l’âme, la danse des émotions, le partage d’une certaine humanité, je me sens moins seule. C’est bien en ce sens que la littérature peut avoir un rôle majeur, dans l’éveil et la sauvegarde de l’humanité. Ils sont nombreux ceux et celles pour qui la littérature joue ce rôle, telle Maude Julien qui dans sa biographie Derrière la grille, nous dévoile la survie de son âme enfantine grâce à ses lectures. Projetant, sur les héros et héroïnes, les situations et les intrigues de nos propres affres, nous nous ouvrons à d’autres possibles et compassions – ou rejets.

Je ne projette pas dans les écrits d’Harrison un attrait pour l’alcool, la « bouffe », la chasse, la pêche, les jolies filles. Ce sont pourtant les grandes lignes qui sont généralement retenues de son œuvre. J’y puise autre chose, une autre nourriture et cette nourriture est particulièrement présente dans ce dernier ouvrage. Je veux parler d’une sensibilité extrême à la vie, à la nature soit, mais en particulier à la vie naturelle. Je veux parler de ces ressentis d’amour envers l’animal et le végétal. Je partage avec ses personnages l’émerveillement croisé d’une aube ou d’un crépuscule, d’un lien privilégié avec un chien, un lieu… Je veux parler aussi  et surtout du contraste frappant de cette beauté vivante avec ce qui est sans ambages l’absurdité de la vie. Chez Harrison, cette absurdité, loin de tomber du ciel comme un décret divin, est réellement ce qu’elle est, l’absurdité humaine, sa cruauté quotidienne, ordinaire, son idiotie. A travers le récit d’une vie, somme toute très normale, une vie que beaucoup aurait pu traverser, Catherine par exemple, l’héroïne de la première nouvelle, doit faire face à tout son héritage familial, les mensonges, l’alcoolisme,  cette cruauté que le contexte engendre. Une seule manipulation mensongère tient dans sa main le désastre de la vie maternelle. Un frère prenant sur lui la lourde charge du bouc émissaire… Il aurait suffi d’un autre choix, d’un autre mot, d’un peu d’amour, pour que tout soit différent…

De nombreux personnages portent et témoignent de cette lamentable irresponsabilité humaine que nous appliquons chaque jour dans nos choix, dans nos dires, dans nos êtres. Sans rentrer dans le détail des histoires (je vous laisse les lire) je peux dire que nous croisons ici des situations intérieures communes tout en ayant la possibilité d’en mesurer l’absurdité, les manques, les rendez-vous ratés de la vie, par la seule bêtise humaine. Pas de  dramaturgie éloquente, pas d’extrapolation extrême, les récits se déroulent et nous dévoilent à la fois les beautés reflétées intérieures sur la nature ambiante, et tout autant en filigrane, le drame quotidien.

« Comment pouvons-nous aider au mieux les populations indigènes ? » Ces mots figuraient sur la marquise de l’entrée du centre des congrès, et un rebelle indien avait écrit à la bombe en dessous : « en retournant en Europe ».

Dernières nouvelles – Le Chien – )

C’est pour cela que j’aime lire Harrison, que je m’y sens vivante, que je m’y sens humaine. J’y trouve mes propres écueils et mes propres transcendances, mes petites joies (je ne regarde plus les poulets de la même manière !) et mes sidérations devant l’incompréhensible absurdité des liens humaines quand ils se heurtent au contexte, aux croyances, aux habitudes. Ici sous le voile de la seule humanité se cache la cruauté, la peur, la colère, la faiblesse et aussi et surtout l’amour qui cherche son chemin, trouve mille interstices pour couler, vivre enfin… la vie quoi…

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