De la folie démoniaque à la psychanalyse, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

Le-crepuscule-d-une-idoleSur la psychanalyse[1] les débats font rage. Faut-il être freudien, lacanien, jungien, que sais-je, de toutes écoles et tous les courants qui s’affrontent sans vergogne ? En lisant l’ouvrage de Michel Onfray Le Crépuscule d’une idole[2] je mesure, pour les avoir lus aussi, avant et souvent, tous les écueils de la conception de cette approche.

J’ai, pour ma part, tout à fait conscience des travers de certains de ces sbires, l’incestuel et la dépendance cocaïnomane de Freud, l’omnipotence et la misogynie de Jung, les excès de Lacan… À mes yeux cela n’enlève rien aux chemins qu’ils ont ouverts, aux pistes qu’ils ont tracées, aux questions et aux expériences qu’ils nous proposent. Car en premier lieu, il s’agit toujours d’une expérience et nous pouvons être surpris de tant de détracteurs qui n’ont jamais, je dis bien jamais, suivi eux-mêmes une analyse, quelle qu’elle soit. En quelque sorte ils parlent, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. En matière de psyché, en matière de vie, lire des livres suffit-il ?

Peu adepte de Freud je sais apprécier à leurs justes travaux des « freudiens »[3]. Non pas à leur simple lecture, mais à l’évolution de l’approche qu’il savent mettre en oeuvre, comparée à mon « expérience personnelle ».

Autre chose peut nous permettre d’être moins vindicatifs et plus objectifs, de regarder l’histoire avec un peu de distance et replacer la naissance de la psychanalyse dans son contexte. Nous y gagnerons d’y voir ce qu’elle a apporté et ce qu’elle a changé, envers et contre tout, pour tenter de mieux « servir » l’humanité.

Rien n’est jamais parfait mais, ici, tout semble se positionner dans une tentative d’évolution. Ainsi, si nous remontons aux premiers témoignages du traitement de la « folie », dans le sens large du terme, nous voyons qu’à l’aube des temps seul Hippocrate suggère une différenciation entre les troubles mentaux (phrénétis, manie, mélancolie et hystérie[4]) ) et la possession religieuse, voire démoniaque. Cette différenciation ne fera pas véritablement école puisque jusqu’au XVIIe siècle la folie et l’a-sociabilité sont traitées comme des possessions par le diable qui ne réclament comme traitement que l’exorcisme, voire le bûcher !4798146.image_

Au XVIe siècle certains s’opposent à ces chasses aux sorcières comme  les médecins Jean Wier et Juan Luis Vives, mais il faudra attendre les « Lumières » pour qu’un regard différent soit posé sur les affres de l’âme, sans risquer d’être brûlé à son tour. Peu à peu les choses vont changer – lentement.

fbcouv-70Jean Colombier, inspecteur général des hôpitaux, dépôts de mendicité et prisons, publie en 1785 : Instruction sur la manière de gouverner les insensés, et de travailler à leur guérison dans les asiles qui leur sont destinés. La question se pose enfin de la guérison et de l’incarcération dans des lieux autres que des prisons. Cependant ces lieux sont dirigés par des directeurs et André Gueslin de préciser dans D’ailleurs et de nulle part : « qui ont tout pouvoir d’autorité, de direction, d’administration, commerce, police, juridiction, correction et châtiment » Le décret royal ajoute : « Auront pour cet effet les directeurs : poteaux ; carcans, prisons et basses-fosses… »

Philippe Pinel qui travaille à l’hôpital Bicêtre ne supporte plus de voir les malades mentaux enchaînés et classifie les maladies mentales. Il affirme que les malades (et non plus les possédés) peuvent bénéficier d’un traitement « moral ».

enfant-cageCependant un siècle après la Révolution Jean-Étienne Esquirol  décrit encore ainsi les aliénés : « Je les ai vus nus, couverts de haillons, n’ayant que la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus. Je les ai vus grossièrement nourris, privés d’air pour respirer ; d’eau pour étancher leur soif et des choses les plus nécessaires à la vie. Je les ai vus livrés à de véritables geôliers, abandonnés à leur brutale surveillance. Je les ai vus dans des réduits étroits, sales, infects, sans air, sans lumière, enfermés dans des antres où l’on craindrait de renfermer des bêtes féroces, que le luxe des gouvernements entretient à grands frais dans les capitales[5]. »

Jusqu’au XIXe siècle les patients sont toujours internés à l’asile (et dans mon enfance c’était encore une manière de nous menacer si nous faisions les fous : nous irions à l’asile, c’était pire que la « pension »). Les traitements sont toujours tortionnaires : bains froids ou chauds prolongés, purgatifs et émétiques, les saignées, les irritants, le fauteuil rotatoire, le bain de surprise, les attachements, les isolements, les galvanisations et autres électrothérapies. Cité par Bernard de Fréminville dans La Raison du plus fort (traiter ou maltraiter les fous), le Dr Teilleux écrit : « L’électricité offre aussi l’avantage immense de pouvoir être employée comme agent de coercition. ».

Mais c’est durant ce XIXe que les plus grands changements s’amorcent, en particulier en Suisse ou le pédagogue Pestalozzi influence durablement les pratiques psychiatriques. Les asiles sont construits dans des lieux agréables et champêtres. En 1830, l’institut du Champ-de-l’Air, est ainsi décrit  « La plupart des dortoirs sont des chambres riantes et gaies, plafonnées et à parois glacées, peintes en jaune. Elles contiennent de un à quatre lits. Les malades ne les occupent guère pendant le jour, à moins d’être alités. Elles sont toujours aérées, et on y observe la plus grande propreté. On dirait, en visitant ces cellules, qu’elles appartiennent à des personnes dont on respecte les habitudes, qui tiennent à une bonne éducation[6]… » Ainsi en est-il du corps médical qui peu à peu change les conditions de détention des aliénés. Même le Burghölzli où travailla Jung, pratique les soins par les « bains » mais propose un accueil humain, définitivement différent..

Lorsque de 1857 à 1870 eurent lieu les étranges phénomènes de possessions ou d’hystérie de Morzine[7], les curés et les évêques président aux réflexions du problème mais les  psychiatres ont aussi leur mot à dire.

220px-Pr_Charcot_DSC09405C’est ici, dans ce contexte, que s’amorce un grand changement. Pour une fois les hystériques ne sont plus des possédées du diable, mais des malades. Qu’elle importance que Charcot ait payé ou pas des femmes pour jouer la comédie et valider ses thèses ? Il en ressort qu’à partir de ce jour nous nous posons des questions et sortons de l’ornière, cherchons des solutions autres que la violence…

C’est à partir de là que Freud et tous ceux qui suivront vont oser s’aventurer. Non l’inconscient n’est pas « découvert » par Freud[8] mais il sort de l’emprise dogmatique du religieux et des chercheurs-ses, maladroitement, certes, mais avec bienveillance, vont se pencher sur ses maux et ses mots. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, c’est bien en partie parce que certains-nes ont osé s’affranchir, avancer en tâtonnant vers l’inconscient, (et la chimie mais c’est une autre histoire) que nous ne risquons plus de nous retrouver enchaînés au fond d’une basse-fosse pour avoir un tantinet « déliré » et que nos « malades » sont pris en considération…

Psychanalyse

[1] J’entends, ici, psychanalyse tout aussi bien que psychologie analytique et toutes les « écoles » de la psyché

[2] Michel Onfray, Crépuscule d’une idole, Poche, 2011.

[3] Ferenczi, Dumas, Tomasella, Megglé…

[4] Nous avions tellement peu évolué en 2000 ans que les termes de mélancolie, d’hystérie et de manie étaient encore largement utilisés dans mon enfance.

[5] Michel Foucault, Histoire de la folie, Gallimard, 1972, p.59.

[6] Docteur Perret, De l’Hospice des aliénés du Canton de Vaud, 1830, p. 6.

[7] Jean-Christophe Richard, Les Possédées de Morzine, Auto-Edition, 2016.

[8] Yvon Brès, L’inconscient, Ellipses, 2010.

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