Les Reines, les Impératrices, les Femmes Pharaons, les femmes ayant tenus le pouvoir entre leurs mains, ne sont pas nombreuses et sont souvent connues et mémorisées par l’Histoire pour leurs frasques sexuelles, sanglantes et cruelles. Elles séduisent, manipulent, tuent, massacrent dans l’enceinte du palais pour des jeux de pouvoirs. Cléopâtre l’ensorceleuse, Marie I la Sanglante, Wu Zetian la diabolique, l’âme noire de Catherine de Médicis, Hatchepsout la transfuge… Le regard que nous portons sur ces Reines est-il réellement objectif, n’est-il pas entaché par la pensée dominante qu’une femme fait mauvais ménage avec le pouvoir et qu’elle ne peut le pratiquer que dans la bêtise, la sournoiserie et la cruauté la plus totale ? N’y a-t-il pas manipulation de l’histoire, parti pris ?
Cléopâtre est sans doute la femme de pouvoir la plus célèbre. Nous connaissons tous les séductions qu’elle mit en œuvre pour garder l’uraeus sur sa tête. Les livres, les films et même les bandes dessinées abondent en ce sens : Cléopâtre utilisait ses charmes pour parvenir à ses fins, garder la royale couronne. Dé César à Marc Antoine rien ne semble l’avoir arrêtée. Nous savons aussi, et Irène Frain en donne de nombreux détails dans son ouvrage L’Inimitable, qu’elle explorait les modes opératoires des poisons sur des cobayes humains[1]… Elle manipulait et allègrement donnait des ordres d’assassinat.
En réalité que savons-nous du cœur de Cléopâtre, de ses véritables amours, de ses désirs ? Pourquoi ne pouvons-nous imaginer, un instant, que son cœur a battu pour ces hommes ? Michel Cazenave nous la décrit amoureuse de César[2], mais c’est un roman et dans le titre de l’ouvrage elle est la « Putain » des Dieux… Même si nous pouvons être sûrs que dans l’esprit de l’auteur ce terme revendique une haute portée spirituelle, un mot finit par se soumettre au paradigme du temps.
D’autre part, devons-nous rabaisser la volonté de pouvoir à celui d’un pouvoir personnel ? En certains cas sans doute, mais pas chez Cléopâtre, Pharaon a bien trop de responsabilité pour n’être réduit qu’à un égo tout surdimensionné soit-il. Du pouvoir du « roi », et donc de la reine, dépend la grâce du pays, son équilibre (Maât), son indépendance. Cléopâtre, Théa Néôtera Philopatris, « Déesse nouvelle qui aime sa patrie » n’est-elle pas une digne reine d’Egypte qui tente par tous les moyens à sa portée, et de son temps, à garder l’Egypte dans cette autonomie à laquelle tous les Pharaons ont souscrit ? Il se peut, il semble certain, que ce n’est pas pour elle que se démène Cléopâtre, mais pour l’Egypte… De nombreux rois masculins ont pour ce genre de choses provoqué bien des guerres et pratiquer le mariage forcé avec les filles nubiles de leur dangereux voisins… Pour eux pas besoin de séduire, la loi est à leur service, tout pédophile soit-elle…
Le poison, les tueries ? Elles jonchent toutes ces époques troubles, que ce soit pour Cléopâtre ou Catherine de Médicis, elles ne sont pas les seules, les hommes, les puissants, les utilisent aussi, à tour de bras, ce n’est pas une particularité de femmes…
Lorsque j’étais enfant nous croyions mordicus que Charlemagne avait inventé l’école et construit un magnifique et brillant empire. Les chercheurs du siècle précédent avaient bel et bien tenté de minimiser les massacres de « païens » dont celui de 4500 Saxons à Verden sous prétexte « d’erreur de manuscrit ».
Lorsque les hommes ordonnent la violence, ils sont de magnifiques conquérants, lorsque les femmes font la guerre elles sont de terrifiantes viragos.
Pourtant à regarder l’Histoire d’un autre point de vue nous constatons que non seulement les femmes au pouvoir ont bien moins pratiqué la guerre, la violence et l’infamie et souvent qu’en réponse à l’attaque. Nous constatons aussi qu’elles ont aussi proposé des avancées sociales surprenantes.
Voyons quelques-unes de ces figures. Peu d’entre nous connaissent Boodicea, la grande reine des Icéniens, durant le Ier siècle, dans l’Angleterre actuelle. Tacite (Les Annales) raconte que vers 60 le roi Prasutagos légua son royaume à l’Empire romain en co-royauté avec ses deux filles L’Aigle impérial ne peut ni reconnaitre la royauté des filles, ni résister à la colonisation pure et simple du pays. Protestant, sa veuve fut battue sur la place publique et ses filles violées. La reine prit alors le chemin de la guerre, la tête des armées. Pour les Celtes, contrairement aux Romains, la femme royale et commandante n’est pas iconoclaste. A la tête de 120 000 Hommes elle marche sur Londinum et Verulamium. 70 000[3] personnes furent massacrées. D’après Dion Cassius les femmes romaines furent pendues nues, après leur avoir coupé les seins et les avoir cousus sur la bouche. Puis elles furent empalées pendant que les vainqueurs se livraient à des orgies sacrées dans leurs temples en plein air[4]. Témoignages de Romain envers la cruauté des vaincus, car la fin de l’histoire n’est pas clémente envers Boodicea, elle mourut peu de temps après, quand lors de la bataille de Watling Street, ses armées perdaient le combat. Tacite raconte qu’elle avala du poison et Dion Cassius, qu’elle mourut de maladie avant de pouvoir reprendre le combat. Les deux ne sont pas incompatibles. Reine guerrière, reine violente, Boodicea ne fait que répondre et se défendre avec les armes de son temps, elle ne fait rien de plus que ce que firent des milliers de rois et d’empereurs durant des millénaires.
D’autres grandes figures féminines nous sont connues et si leur ardeur guerrière ne figure pas à leur trophée royal, leur pacifisme est éloquent. Ainsi en est-il de la Grande Hatchepsout. Souveraine de la XVIIIe dynastie de l’Égypte antique. Son règne n’est pas exempt de guerres et de révoltes, en particulier en Nubie alors qu’elle est reine régente et où, semble-t-il elle ait elle-même participé au combat. Sans aucun doute la passation royale ne fut pas non plus un long fleuve tranquille. Mais lorsqu’elle devient « Pharaon », ce qui ressort magistralement de son règne se sont les constructions de temples et de statutaires parmi les plus spectaculaires et les incroyables échanges commerciaux qu’elle mit en œuvre. Dans son temple à Deir el-Bahari, les bas-reliefs du Château des Millions d’années illustrent une expédition envoyée au Pays de Pount, en l’an VIII/IX : « les navires étaient chargés très lourdement des merveilles (…) du pays divin (…) – de l’or, de l’ivoire, du bois d’ébène, des peaux de panthère, une panthère vivante, une girafe, des parfums et des huiles de sycomore… », mais surtout de l’encens, qui était abondamment utilisé dans les cérémonies du culte. Du Liban, ses caravanes rapportent le bois de cèdre nécessaire à la construction des bateaux ; une expédition vers le Sinaï permet d’exploiter les mines de cuivre et de turquoise. Et, ce que l’on retient le plus de cette Grande Dame se sont ses figurations de Pharaon, en « homme », lorsqu’elle se fait représenter en Homme, tel Pharaon, arme du temps, tout en se laissant signifier comme féminine dans les textes. Mais l’image est coriace, le masculin donne la légitimité… Qu’apprends-t-on de l’Egypte ancienne à l’école ? Les guerres de Rames II, les frasques de Cléopâtre et rien sur le commerce florissant d’Hatchepsout…
https://www.youtube.com/watch?v=_OqDm7UU9kk
Une autre femme, parmi d’autres, mérite que nous nous penchions sur la réalité de l’histoire. Il s’agit de l’Impératrice Wu Zetian. Wu Zetian vécu au premier siècle de notre ère et fut la seule impératrice régnante de toute l’histoire de Chine. En Chine comme en Europe il est de tradition de ne faire régner que les hommes, les femmes étant reléguée à la fonction d’épouse royale ou de mère régente. Mais Wu Zetian fit exception et fonda sa propre dynastie, la dynastie Zhou et sous le nom d’« empereur Shengshen » de 690 à 705, la seule monarque. Son règne est marqué par l’horreur, la cruauté, les assassinats (elle étouffa, parait-il, elle-même sa première fille) – ou comment survivre parmi les maîtres du palais quand on est une femme, arrivée comme simple concubine de bas – étage !
Il existe un document qui résume ses « douze propositions » dans lequel elle préconise qu’il faut harmoniser les relations entre belles-sœurs, organiser des funérailles publiques pour les femmes sans-abri, prendre soin des veuves, organiser des centres de soins pour femmes, des hospices pour vieilles femmes, des maisons pour les jeunes filles et des temples pour les nonnes vouées à la chasteté. Elle a augmenté à trois ans la période de deuil pour rendre hommage à la mort de la mère, pour la rendre égale à celle du père. Elle fit baisser les impôts pour encourager le travail agraire des hommes et la sériciculture des femmes, et a proscrit les corvées. Elle a aussi diminuer l’importance de l’armée, pour la garder seulement comme un moyen d’« éducation morale » pour le peuple. Elle favorisa une plus libre expression des critiques, dit-on dans le but de mieux repérer ses contestataires, mais qui se trouve dans la tête de Wu Zetian pour savoir si ce n’est pas simplement un appel à la liberté d’expression…
Nous sommes alors au premier siècle de notre ère, je le rappelle ! Ne pouvons-nous voir la lumière de cet esprit féminin ?
https://www.youtube.com/watch?v=tXRhhrHuOpo
Wu Zetian la diabolique ? Pas plus qu’une République romaine qui en 71 AEC crucifia 6 000 esclaves rebelles le long de la voie Appienne. Pas plus qu’un Napoléon semant la terreur dans toute l’Europe… Un Homme dans le même cas est un Grand Homme, une femme est Diabolique, et quand elle dédie son règne à la paix, aux bien-être et à la douceur de vivre, on ne retient d’elle que ses mascarades, ses histoires de cœur, ou bien, tout simplement comme certains égyptiens martelaient les stèles à oublier, nous ne les marquons pas dans nos livres d’histoire…
[1] Irène Frain, L’Inimitable, Poche, 1999.
[2] Michèle Cazenave, La Putain des Dieux, éditions du Rocher. 1994.
[3] 70 000 selon Tacite à 80 000 selon Dion Cassius.
[4] Philippe Borgeaud, La Mère des dieux: de Cybèle à la Vierge Marie, Éditions du Seuil, 1996.