Nous pouvons décider, un beau jour, de tout changer. Après un livre sur le sujet, une conférence, un film, un échange avec une amie qui a fait « le » stage, nous pouvons nous lever et dire : « voilà, à partir de maintenant, je suis cette femme libre, légère comme une plume au vent, joyeuse comme une cascade au flan de la montagne ». A partir de demain, « je hurle avec les loups, je danse à chaque crépuscule et je chante aux bancs sableux des sirènes ». Oui nous pouvons le faire, dès le premier lundi changer de garde-robe, choisir celles moirées qui flottent à l’air des saisons, les écharpes douces et câlines, les bottes plates et souples… Nous pouvons aussi vider nos placards des fioles sulfureuses et retrouver le chemin naturel des cueillettes, manger la laitue plutôt que le croque-monsieur… Oser dire, oser faire… Tout autant nous pouvons lancer nos gestes avec plus d’amplitude, nos rires plus cristallins, nos regards plus sûrs. Nous allons faire l’effort de ressembler à une image plus en accord avec l’aspiration de notre âme sensible.
Il s’agit de nourrir notre essence, de la farder sans fards, de la fortifier. Il s’agit de quitter des lignes et des angles qui nous sont imposés par un temps que nous n’avons pas choisi mais qui est le nôtre.
Dès la semaine prochaine nous allons prendre l’habitude des cours de Yoga, des allers-retours à la piscine, des ballades en forêts, du temps pour nous, du temps pour soi, qui ne ressemble pas aux obligations léguées par notre héritage : carcans, devoirs, ne pas faire de bruit avec son corps, ne pas montrer ses jambes…
La joie de vivre est à l’orée du chemin, la réconciliation avec l’Esprit des Femmes se révèle et s’expose.
Nous portons nos regards et nos attentions studieuses à l’ici et maintenant pour un demain qui chante.
Des vieilles et des ancêtres nous gardons les images sages et sauvages. Celle qui file au coin du feu, celle qui cueille chaque levée du jour, la racine, la fleur, celle qui danse amoureuse, celle qui donne la vie entourée de clameur… Nous tissons un pays de femmes fidèles à notre rêve et nous avançons avec la certitude du bon et du joli chemin.
Sans nous en rendre compte nous remplaçons les diktats du corset, du « soi-belle et tais-toi », du pute ou soumise par une autre prison : celles qui n’arrivent pas à chanter au réveil, à tourner leurs jupes en arc en ciel de soie, ne sont pas à la hauteur, ne sont pas sur le chemin, ne sont pas « éveillées ». Il n’est qu’à suivre sur les fils des réseaux sociaux les « moi je fais comme ci » et « moi je fais comme ça » et toujours aussi bien que les autres, si ce n’est mieux. Les autres se taisent égarées et honteuses.

Mais chacune a sa route, son chemin et il est rarement exempt d’épines et de larmes. Plus que ça, derrière nos rires tapageurs l’ombre nous surveille et nous guette. L’ombre, cette partie recluse qui se cache de nous tout en posant les pièges (à loup) sous nos sandales de vie. L’incontournable confrontation à l’ombre, dont Jung a tant fait le schéma, nous concerne nous aussi mesdames. Dans cette ombre se trouve les regards, les croyances mortifères de notre société, mais quid de l’âme du monde dans laquelle se love tous les chagrins, tout le sang, tous les sexes excisés, les peaux brulées : ce que l’on fait à une femme on le fait à toutes les femmes. L’intrication quantique, ce phénomène mis en évidence par Einstein et Schrödinger dans les années 30, ne fait pas l’économie de nos êtres, affectant un système par l’autre et ce quelle que soit la distance les séparant, même à des années-lumière. Ainsi si nos joies et nos danses peuvent, sans équivoque, toucher l’âme des femmes du monde, les larmes et les sanglots, les cris et les douleurs vivent en nous tout autant, quelque part…

Un autre fil de l’ombre nous guette. Les études menées par Brian Dias et Kerry Ressler sur l’héritage épigénétique démontrent l’impact du monde émotionnel sur notre ADN, que nous offrons en héritage à notre descendance. Les travaux d’Anne Ancelin Schützenberger[1] nous ont apporté un réel éclairage sur le transgénérationnel, et l’épigénétique le confirme, nous avons des « valises ».
Au regard de l’histoire, quelle femme aujourd’hui n’a pas dans sa lignée de femmes, sur 4 ou 5 générations, au moins une femme ayant été maltraitée, agressée, violentée ? Nous portons toute en nous leurs peurs et leurs souffrances…
Alors oui je veux danser comme une femme libre, je veux chanter, sentir les fleurs de l’aube, taper du pied, lancer mes rubans au vent en étendard de joie. Mais je le veux vraiment sans plus avoir au fond de moi le cri de mes ancêtres. Je veux d’abord rassurer l’enfant, consoler la veuve, guérir la victime, libérer la prisonnière, apaiser la recluse, de mon amour puissant. C’est vers elle que je me tourne d’abord, pour que ses pleurs se fanent et laissent place à mon rire, à ma tendresse et ma joie. Danser oui, mais ensemble, chanter oui, mais en chœur..
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Blog Ombres d’Hoffmann :
http://ombrehoffmann.canalblog.com/archives/2012/09/06/25048401.html
[1] Aïe mes aïeux