On raconte qu’une nymphe du nom de Liriope, fut violée par le dieu fleuve Céphise. Elle en conçut un fils. Lorsque l’enfant fut né il se révéla d’une beauté qui dépassait tout ce que l’on avait pu voir jusque-là. Elle alla questionner Tirésias le devin aveugle, qui lui-même avait trois filles, Manto, Historia et Daphné. Elle lui demanda si son enfant allait atteindre un âge avancé. Le devin lu répondit qu’il le pourrait tant qu’il ne se connaitrait pas.
L’enfant grandit et « Sa beauté était si grande que toutes les filles rêvaient de lui appartenir, mais il n’en regardait aucune[1]. »
Pendant ce temps-là dans l’Olympe Zeuz tendait de séduire quelques nymphes et Hera, très jalouse, cherchait à savoir sur laquelle son volage de dieu mari avait jeté son dévolu. Alors qu’elle parlait avec les nymphes, l’une d’entre elle prénommée Écho fit digression avec son bavardage. Ses comparses se retirèrent et Hera ne fut plus en mesure d’espionner leurs secrets. Elle en éprouva une vive colère et s’en prit à Écho. « Elle la condamna à ne plus pouvoir se servir de sa langue que pour répéter ce qui lui était dit ; “Tu auras toujours le dernier mot, mais jamais plus tu ne parleras la première[2]”. »
Ce fut un châtiment cruel pour Écho, car elle était éperdument amoureuse de Narcisse et ne pourra le lui dire. Elle se mit à le suivre partout, sans jamais pouvoir lui parler. Un jour, cependant, alors qu’il appelait ses compagnons, il dit « L’un de vous est-il ici ? » et Écho répondit « Ici – ici ! ». Comme il ne savait pas que c’était elle qui répondait, il dit « Viens ». Elle répondit encore « Viens ! » et cet écho enchantait Écho car il évoquait ce qu’elle rêvait secrètement de pouvoir lui dire. Elle sortit de la pénombre des bois et lui tendit les bras. Mais Narcisse qui ne connaissait pas l’amour « se détourna d’elle avec dégoût : « pas cela, je mourrai avant que je te donne pouvoir sur moi » et s’enfuit. Écho, effondrée répéta « je te donne pouvoir sur moi ! » Détruite, elle s’enfuit dans une grotte et ne se consola jamais. Il ne reste d’elle que l’écho de sa voix. Narcisse de son côté, se moquait toujours de l’amour. Nemésis la grande déesse de la juste colère, ne pouvant plus supporter tant d’affront à l’amour fit que Narcisse parvint sur le bord d’un point d’eau, un lac disent certains, une fontaine disent les autres. Il y aperçut son image et tomba amoureux de lui – même, à tel point qu’il ne pouvait plus détacher son regard de la forme dans le reflet. « Je brule d’amour pour moi – même – et cependant, comment pourrais – je approcher cette beauté que je vois se refléter dans l’eau ? Mais je ne peux m’en éloigner. Seule la mort m’en délivrera. » et il en fut ainsi. Perpétuellement penché sur l’eau limpide, ne se lassant pas de regarder sa propre ressemblance, il languit et dépérit. On dit que lorsque l’ombre de la mort de Narcisse traversa la rivière qui encercle le monde des morts, elle se pencha par-dessus le bord de la barque pour entrevoir une dernière fois son reflet dans l’eau. Une fleur naquit de la mort du bel adolescent[3]. »
[1] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 108.
[2] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 108.
[3] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 110.
Ce qui parait être un détail de l’histoire est en réalité l’élément déclencheur du drame. Narcisse est le fils de la nymphe Liriope, violée par le dieu fleuve Céphise, or de nombreux mythes dramatiques commencent par une blessure du féminin. C’est son oubli, sa désacralisation, son non-respect, sa blessure qui engendre la malédiction du monde. La tentative est flagrante dans celui d’Apollon et Daphné, pour se protéger des agressions d’Apollon Daphné ne vit pas Féminin, mais Laurier, c’est une regression. Il en est ainsi de Vénus dans le conte d’Éros et de Psyché, Elle n’est plus honorée comme Elle devrait l’être. Les humains la délaisse, délaisse la part divine du féminin pour se tourner vers un féminin désacr
alisé. Ce n’est plus pour Vénus mais pour Psyché qu’ils rendent le culte, qu’ils portaient la main droite à la bouche, en croisant l’index avec le pouce, absolument dans la forme l’adoration sacramentelle du culte de Venus elle-même. À tel point que les sacrifices s’arrêtent, les temples se dégradent, l’herbe croît dans les sanctuaires. Plus de cérémonies, plus de guirlandes aux statues : une cendre froide déshonore les autels désormais vides d’offrandes. C’est à la jeune fille que s’adressent les prières, c’est sous ses traits mortels qu’une divinité puissante est adorée.
De l’autre côté du monde, la déesse japonaise, Amaterasu, est destituée par Suzanno, son frère. Celui – ci ayant hérité de son père le royaume de la terre est jaloux de sa sœur qui a hérité du ciel. Il détruit ses rizières, casse ses métiers à tisser, « chie » sur son trône et lui « balance » par le toit un cheval éventré, qui en tombant sur la Dame, la blesse entre les jambes. Le féminin est évincé de toutes ces prérogatives et blessé dans sa fonction créative même, le monde devient stérile.
Un autre mythe très célèbre dans les pays celtes nous parle aussi du féminin outragé, engendrant une colère de la déesse, puis des désastres. Il s’agit du conte gallois de
Blodeuwedd[1] : le roi Math doit garder ses pieds sans le giron d’une vierge. Or celle – ci est violée par ses neveux. Elle ne peut donc plus remplir ce rôle. Il fait appel à sa propre sœur la déesse Arianrhod qui dit être vierge (et nous pouvons la croire). Cependant le druide l’oblige à sauter sur sa baguette magique et ce geste, par son symbole, est l’image d’un viol, « Ce viol, conquête sexuelle/guerrière étant l’acte symbolique de désacralisation du féminin[2]. »
Cette blessure d’origine engendre les conséquences funestes et contamine tout et tous. Un fait, un vécu extérieur, comme intérieur se transmet et s’hérite, nous ne sommes plus innocents de l’impact de l’inconscient collectif et transgénérationnel. Dans son ouvrage Aïe mes aïeux[3] Anne Ancelin Schutzenberger expose de nombreux cas d’observation de l’héritage psychologique et psychique des traumatismes. Quant au professeur Marcus Pembrey[4], il démontre l’effet des traumatismes sur le génome, via l’épigénétique. Ses études sur des personnes ayant vécu des stress majeurs, comme des militaires, des enfants exposés à des situations dramatiques, des victimes de catastrophes naturelles, ou de guerres comparées à des personnes ne les ayant pas vécu, attestent que des modifications épigénétiques affectent le fonctionnement des gènes sans passer par des modifications de leur séquence ADN et auraient pour cible certains gènes impliqués entre autres dans la gestion du stress, la réactivité aux évènements ou la régulation des émotions : Le Mal est en marche.
Que se passe-t-il pour le féminin dans ce cas sur le plan psychique, sur le plan spirituel, divin ? « Le principe féminin, sous la forme de la Princesse, la Bien-Aimée, réduite à l’état de portrait et reléguée au cabinet noir, se venge en se tournant contre la fonction transcendante, le processus de passage à la conscience, le développement vers l’individuation, et cela est pire que si elle s’attaquait directement au conscient[5]. » La déesse devient « méchante ».
Le mot méchant vient de l’ancien français mescheance, du verbe échoir et indique une « mauvaise chute ». Cela nous éclaire un peu plus sur la « méchanceté » des déesses, qui blessées, agressées deviennent de « méchantes sorcières », car elles ont fait une mauvaise chute. La chute du féminin est un thème omniprésent en mythologie. Nous avons vu que Venus dans Psyché et Eros est méchante car elle n’est plus vénérée comme Elle le devrait. Nous avons vu qu’Arianrhod, violée ne peut pas reconnaître ses fils, spoliée par le masculin. Dans d’autres mythes, les déesses sont souvent délaissées, dès le début le dieu aimé se fourvoie à courir le guilledou. Elles ne sont pas aimées, c’est le contexte dans lequel se produit la chute. Dans La Courtise d’Étaine[6], Fuamach la femme de Midir, n’est pas assise sur le trône, elle n’est pas regardée dans sa légitime beauté, elle en devient jalouse et « méchante ». C’est elle qui provoquera la chute d’Étaine, la transformant en mouche (chute de fonction). D’un coup de baguette magique, cet instrument phallique, animus, est bien l’outil préféré des mères « méchantes » qui, n’expérimentant pas la joie et la plénitude d’être femme, se vengent sur leurs enfants par des mots destructeurs et réducteurs.
Dans le mythe de Narcisse la situation est la même, Liriope est violée, puis Zeus, au lieu de partager l’amour avec Héra, folâtre. Héra en est jalouse, méchante et cherche à se venger, « car ce qui est délaissé se venge[7]. » Ici commence le drame, « Ce qui reste ignoré et ne devrait pas l’être, nous trouble, puis nous torture et enfin nous agite[8]. »
Quoiqu’il en soit, si comme Alice Miller[9] nous pouvons mettre une histoire sur l’enfance des névrosés, y compris des plus terrifiants[10], ou comme Gregory Bateson[11] sur l’enfance des schizophrènes, il en va de même sur l’enfance des pervers narcissique et de leurs victimes. Dans cette histoire la mère, ou la figure, qui sert de fonction maternelle, joue un rôle majeur. L’enfant est « chosifié » : « Assez souvent, le pervers destructeur fut un enfant adulé par la mère, avec un père peu présent. Cet “enfant-roi” n’a toutefois jamais été reconnu en tant que personne. Au contraire, il a été victime d’investissements narcissiques importants – trop importants – de la part d’un parent abusif[12]. » Les choses nous appartiennent, comme les objets, nous pouvons les investir de toutes nos projections, les faire « nôtres », les investir, cela veut dire les « prendre », nous avons le pouvoir sur elles, de les chérir ou de les brûler. Peut-il en être de même avec les êtres humains sans rentrer dans un schéma « incestuel » ? Saverio Tomasella en citant Paul-Claude Racamier parle ainsi de l’incestuel : « l’inceste ne se borne pas à la pratique génitale, il a des équivalents : “L’incestuel sera ce qui, dans la vie psychique individuelle et familiale, porte l’empreinte de l’inceste sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitale”[13]. » Il précise que « La mère et son enfant sont “ligaturés” par une séduction qui n’en finit pas : “Ensemble nous formons, à tous égards, un être unique, inimitable, insurmontable et parfait[14]”. » L’autre, l’enfant, n’a pas son mot à dire, son individualité à proposer, à développer, il sera ce que l’on projette sur lui, il est investi de l’adulte, envoûté, pénétré « les manipulateurs ont une relation malsaine et pathologique avec leur parent du sexe opposé[15] ». Ne réussissant pas, ne pouvant pas s’en dépêtrer, porteur de la projection narcissique de l’autre, l’enfant n’intègre qu’un mode de relation au monde, la séduction : « La séduction est leur première arme[16]. » et la destruction : Narcisse est beau et tout le monde l’aime … en vain ….
Ainsi, ce personnage tant séducteur, si beau, possède deux visages, « Le manipulateur est avant tout une personne qui a deux visages : un très sympathique pour l’extérieur et un autre, maussade et cruel, que seule sa victime connaît[17]. » Il est incapable d’aimer, pour lui l’autre n’existe pas en tant que personne, n’est pas respectable en tant que personne bien que « respecter l’autre, c’est le considérer en tant qu’être humain et reconnaître la souffrance qu’on lui inflige[18] ». Il est comme la Reine dans le conte de Blanche Neige
, «prisonnière d’elle-même par son reflet, elle est vouée à la répétition solitaire de son identité malade, elle se débat en vain dans un enfermement tautologique, comme si chez elle le moi fasciné par sa propre image, ne pouvait entrer en relation ni avec les profondeurs et les émotions et sentiments qui en jaillissent ni avec la nature[19]. » Dissociés de leur propre nature, ils sont prisonniers d’une image, leur image surinvestie par l’Imago parentale qui dit « tu dois être le plus beau, le plus grand, le plus fort, le plus « tout » car tu es « mon » enfant ! Cette posture ne permet pas le lien d’Éros, l’aller à la rencontre de l’autre, le lien d’amour, cet amour qui « constitue un facteur réellement déterminant dans la destinée et la vie de l’individu du fait que, à nulle autre force pareil, il délivre les vivants de leur limitation au seul égo[20] », c’est une relation de « pouvoir » .
Écho est vivante, elle parle avec les autres nymphes. Cette vie jaillissante s’exprime par le verbe car « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes[21]. » Ce féminin naissant, représente un grand danger pour Narcisse sous le point de vue d’une déesse en colère, il pourrait lui donner une nouvelle naissance, un autre possible, une possible sortie de la bulle narcissique, l’amour pourrait naitre et alors Narcisse pourrait renaitre : « La mère donne naissance ; l’amoureuse fait renaître[22]. » Cela est inconcevable pour le féminin en colère, dont la violence psychique destructrice, diabolique dénie « la fonction élémentaire, matricielle, archaïque, de solidarité avec son vis-à-vis humain[23]. » Hera ne permet plus à Écho de vivre, mais elle ne la tue pas, elle l’atteint dans une fonction primordiale de son humanité. Pour elle « Ce lieu producteur du langage, où s’élabore notre “Vérité singulière”, est le premier visé et atteint par celui qui nous administre le Mal. La démarche destructrice du pervers vise à casser ce dispositif à produire du sens. Il déclenche ainsi chez sa victime une perte de confiance dans la trouvaille verbale, une méfiance vis – à – vis d’une énonciation spontanée, une “désolation” de la parole par atteinte destructrice du lieu où elle s’organise[24]. »
La nymphe se trouve dans l’état de tout être ayant subi un traumatisme, celui dont la vie a été fauchée en cours de route, d’un seul coup ou peu à peu, dont il ne reste qu’un fil et se sent démuni. Elle n’est pas en possession de tous ses moyens il manque une partie d’elle – même, comme si seule une partie de son cerveau ne fonctionnait plus. Jill Bolte Taylor relate de son expérience d’AVC durant lequel une partie de son cerveau ne fonctionnait pas : « Mon hémisphère gauche me considère comme un individu fragile qui risque fatalement, à un moment ou un autre, de perdre la vie[25]. »
Ne répéter que ce que l’on nous dit, c’est être un reflet, un mouton, une sorte d’esclave, nous ôte toute authenticité, toute réalité en tant qu’être humain unique tandis que ce que nous « parlons » fait de nous des êtres vivants et uniques, « on pourrait ajouter, en évoquant la terminologie lacanienne, “ je ne suis pas où je pense”, ni où les autres me pensent, mais “je suis où je parle[26]”. » D’une certaine manière, il ne reste à Écho qu’un filet de voix, un souffle de vie qui cherche à se faire entendre et reconnaître, il ne lui reste que les mots pour le dire, pour tenter de le dire, « le besoin de reconnaissance est si fort que l’être sera tenté de troquer son cœur contre un discours[27]. » Dans l’état où elle se trouve, seule la parole pourrait la délivrer, la parole entendue, « ce que la victime demande à l’autre, ce n’est pas d’être “bien vue”, mais “bien entendue”[28]. » Écho n’est plus qu’un écho de l’autre, elle n’a plus accès à son âme, à son être, ce lieu « assez profond dans l’âme où il faut choisir entre l’amant et le frère, ou, en langage psychologique, entre un animus positif et objectif à qui il faut se conjoindre, et un animus négatif familial [29]. » Elle n’est pas en mesure de différencier une zyzygie. La vie n’est pas « morte » (qui lui permettrait de renaître), elle est pétrifiée, le Mal est en marche.
Les cycles de la nature nous apprennent que la mort fait partie de la vie, par conséquent la mort n’est pas le Mal, le Mal est « lié au refus ou à l’oubli de l’humanisation[30]. », la pétrification, l’enfermement, la vie palpitante privée d’espace, de liberté, de vis-à-vis, « Ce sont ces capacités à penser, à vivre sans horreur, à se souvenir sans détresse, à rêver et imaginer la vie, à agir, à être porté vers autrui et à éprouver des sentiments qui sont détruits ou longuement sidérés, pétrifiés33. » Le Mal appartient aux grands criminels et aux tyrans sanguinaires, aux horreurs totalitaires à qui « correspondent notamment à l’idée que les autres sont superflus[31] ». Il est une déshumanisation, lorsque l’on ne reconnait pas l’humain dans l’autre, que l’on ne l’y respecte pas, lorsque l’autre, en face, est devenu une « chose ». Mais il est tout autant quotidien, individuel, et correspond à « une addition de gestes mécaniques, de petites lâchetés, d’inconsciences diverses[32] » propagé « par ceux qui se contentent de fonctionner, et parfois du mieux possible avec une bonne conscience, y compris malheureusement de temps en temps au service de buts démentiels[33]. » Le Mal ne devient une entité globale et générale que par son accumulation de Mal individuel, il se propage.
Cependant « Il y a, dans la vie psychique, dans la réalité psychique, des lois, des schémas, il y a une nature qu’on ne transgresse pas plus qu’on ne transgresse la nature physique[34]. » Némésis, en grec ancien Νέμεσις est à la fois un concept et la déesse
grecque de la juste colère et de la rétribution céleste. Elle est parfois assimilée à la vengeance et à l’équilibre. Le nom de Némésis dérive du verbe grec νέμειν (némeïn), signifiant « répartir équitablement, distribuer ce qui est dû ». Elle est en particulier la fille de Nyx (la nuit) ou fille née sans père d’Ananké, Necessitas, déesse du destin, née en parthénogénèse. Comme il existe le Logos spermaticos et le Logos hystéricos, il se trouve une justice masculine et une justice féminine. La justice masculine est celle que nous connaissons bien, celle des hommes, mais « si l’on en croit les données mythologiques, il existe un autre principe féminin de justice, de vengeance et de châtiment. Je comparerai ce processus au caractère vindicatif de la nature : si, pendant des années, une personne mange à la hâte et sans même prendre le temps de s’asseoir, elle sera punie par des désordres d’estomac. Cela n’a rien à faire avec une législation quelconque, c’est une conséquence naturelle : un comportement incorrect entraîne le malheur et la maladie. La vengeance et la punition ne dépendent donc pas seulement des décisions humaines, mais aussi des conséquences naturelles. Cela est également vrai sur le plan psychologique. Une attitude fausse (pas nécessairement immorale, mais en désaccord avec la nature) est punie par la malchance et la névrose. Bien qu’aucune loi éthique n’ait été enfreinte. Dans la plupart des mythologies primitives, il existe une figure féminine divine de la nature analogue aux déesses grecques Némésis, la vengeance, ou Thémis, la Justice[35]. » Dans le conte d’Éros et de Psyché, Vénus est à la fois la méchante sorcière et la déesse qui réclame justice.
Avec Narcisse c’est Nemesis qui réclame son dû. Le fils chosifié, beauté suprême du maternel, projection fatale, distordue, perverse, s’aime au lieu d’aimer l’autre. Némésis lui lance un sort, il va se contempler, éprouver l’amour, aller à la rencontre de lui – même, comme chacun de nous peut se retourner vers son âme, aller à la rencontre de soi –même, se confronter avec l’inconscient, « ça voir » et marcher vers l’individuation, mourir à soi – même. C’est encore un détail qui nous éclaire sur la réalité de la fin de l’histoire, Narcisse éprouve et comprend, enfin, la douleur que peuvent ressentir les « autres ». Il ne peut donc que mourir, mourir à lui-même, mourir à ce qu’il était, c’est un mécanisme de métanoïa, ou d’énantiodromie, de retournement.
En définitive l’histoire se termine bien. Elle se termine sur l’éclosion d’une fleur ! « Les fleurs ne sont pas toujours considérées comme les innocentes messagères du printemps : elles sont en effet parfois assimilées au désir de la chair et de l’érotisme en général. […] De façon quasi universelle, la fleur symbolise de toute façon la joie de vivre, celle qui éclate à la fin de l’hiver et qui chante la victoire (ne fut-elle que provisoire) de la vie sur la mort[36]. » Ainsi la fleur est exactement le contraire de Narcisse qui est incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui. Narcisse, ne connait d’Éros que son propre reflet. La fleur, elle, propose une renaissance de l’âme, dans le principe d’Eros, l’amour de l’autre. La fleur offre sa couleur, sa forme, son odeur à autrui, en une célébration de joie. Narcisse, cette perversion du narcissisme, renaît en âme vivante. Cela voudrait –il dire que les êtres atteints de cette distorsion sont capables de « changer » ? Cette lyse n’est semble t-il visible que dans le mythe.
[1] Mabinogi : Math fils de Mathonwy
[2] Françoise Gange, Avant les dieux, la mère universelle, Alphée, 2006, p 115.
[3] Anne Ancelin Schutzenberger, Aïe mes aïeux, DDB, 1993.
[4] Marcus Edred Pembrey est un généticien britannique, professeur émérite de pédiatrie génétique à l’UCL Great Ormond Street Institute of Child Health and Visiting Professor of Paediatric Genetics, de l’université de Bristol. Il a participé en 2005 au programme télévisuel « The Ghost in Your Genes »
[5] Marie Louise von Franz, L’ombre et le mal dans les contes de fées, La Fontaine de pierre, 1980, p 182.
[6] Sylvie Verchère Merle, Le Féminin solaire, Editions du Cygne, 2014.
[7] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 1838.
[8] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 2038-2039.
[9] Alice Miller, L’essentiel d’Alice Miller, Flammarion, 2011.
[10] Alice Miller a étudié l’enfance d’Hitler
[11] Gregory Bateson est un anthropologue, psychologue, épistémologue américain. Il s’est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi aux fondements de la connaissance des phénomènes humains. Il est à l’origine de l’école de Palo Alto. Bateson a en particulier introduit une réflexion systémique qui ne veut pas étudier la maladie de manière isolée, mais pose la question des interactions avec l’environnement. C’est notamment le cas observé par son étude, d’identifier le mécanisme de la double contrainte appliquée au domaine de la schizophrénie
[12] Hélène Gest-Drouard, Valérie Guélot, Le décodeur des pervers narcissiques, First Éditions Kindle, 2016, Emplacements 247 – 249.
[13] Saverio Tomasella, La Perversion, Eyrolles Kindle, 2010, emplacement 836-841.
[14] Saverio Tomasella, La Perversion, Eyrolles Kindle, 2010, emplacement 846-848.
[15] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 277.
[16] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 210.
[17] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 192 – 193.
[18] Hélène Gest-Drouard, Valérie Guélot, Le décodeur des pervers narcissiques, First Éditions Kindle, 2016, Emplacement 135.
[19] Bernard Lempert, Désamour, du Seuil, 1994, p 39.
[20] Marie Louise von Franz, Reflets de l’âme, Entrelacs, 2011, p 183.
[21] Évangile selon Jean, chapitre 1
[22] Bernard Lempert, Le tueur sur un canapé jaune, Seuil, Kindle, emplacement 4564.
[23] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 56.
[24] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 39.
[25] Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau, Lattès, Kindle, 2008, p 206.
[26] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 38.
[27] Bernard Lempert, Désamour, du Seuil, 1994, p 124.
[28] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 48.
[29] Michel Cazenave, La subversion de l’âme, Seghers, 1961, p 64.
[30] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 746-747.
[31] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 749-751.
[32] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 239-240.
[33] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 234-235.
[34] Élie Georges Humbert, La dimension d’aimer : six conférences 1983-85, Cahiers jungiens de psychanalyse Kindle, emplacement 717-718.
[35] Marie Louise von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 77.
[36] Encyclopédie des Symboles, Livre de poche, 1989, P 265.