Le visage d’Animus

Anima_Animus-e1419334357930Animus, comme Anima sont des Figures intérieures totalement inconscientes. La psychosynthèse nome Subpersonnalités  ces figures intérieures, comme des personnages vivant en nous, agissant parfois, souvent, à notre place, à l’insu de notre plein gré, normal puisqu’elles sont inconscientes. Nous pouvons concevoir que nous ne sommes pas les mêmes personnes avec les collègues de travail, les amis, la famille, parfois même nous sommes des personnes tellement différentes que l’un de ces protagonistes ne peut imaginer ce que nous sommes dans un autre contexte. Tel responsable d’entreprise, connu pour sa rectitude, son exigence et son autorité peut être sous le toit familial un tout petit enfant obéissant, silencieux, d’accord pour tout. Nous ne choisissons pas d’être comme ci ou comme ça, se sont les différentes facettes de notre personnalité qui s’expriment pour nous. La psychosynthèse nous apprend à en identifier les plus importantes, à nous désidentifier ensuite. Nous ne sommes pas que cela et d’ailleurs serions-nous cela ou bien est-ce un héritage de notre enfance, de notre culture, de nos croyances, de notre éducation ? A prendre de la distance avec ces Subpersonnalités nous finissons par nous retrouver au Centre d’un regard sur les parties de notre être dont nous devenons enfin le « chef d’orchestre », celui qui donne le La, sans plus être manipulé, possédé par ces Figures intérieures.

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En psychosynthèse nous avons l’habitude, pour mieux les distancier et les observer de leur donner des noms : le Juge, la pleureuse, la pauvre petite fille, la chieuse, le dictateur, le Sage, la Sorcière, moi j’en ai une que j’appelle « la connasse » …. A nous d’identifier l’instant où ils vont nous mettre en situation impossible ou nous aider à naviguer dans les méandres vitaux, sans jamais cesser de garder la possible distance qui nous garantit la liberté. Je peux choisir l’instant où je fais « ma connasse » quant elle ne portera préjudice ni à l’un, ni à l’autre et surtout pas à moi-même.

En psychologie analytique, Jung a identifié certaines de ces figures, communes à l’ensemble humain : la Persona, l’Ombre, Anima et Animus. Cela n’est pas contradictoire avec la Psychosynthèse mais bien plutôt complémentaire dans la mesure où l’Ombre si elle est commune à tous, comme nous avons tous deux pieds et deux mains, ne sera jamais tout à fait la même pour tous. Certains porteront l’Ombre cruelle, d’autres soumise, comme certains chaussent du 38 et d’autres du 45…

Iage Bog millyet.com.trCombiner ces deux approches est très pratique pour mieux appréhender cette figure majeure et particulière qu’est Animus et qui pose beaucoup de questions. Pour faire simple disons qu’Animus est une instance masculine inconsciente, vivante et autonome dans la psyché. Eloignée de la conscience, entachée de l’Ombre, proche de l’inconscient collectif nous ne pouvons pas la saisir en conscience directement, nous devons comprendre le langage de l’âme et dialoguer avec pour prendre le contact. Jung décrit ces Figures réellement comme des entités, comme des êtres intérieurs, différents de ce que notre conscience peut imaginer. Et c’est un fait que par sa nature inconsciente nous ne pouvons le rencontrer d’un seul élan de volonté ou de désir. Entrer en dialogue avec cet Autre monde est aussi compliqué et demande autant d’apprentissage et de codes que de rentrer en contact avec des étrangers, de langues, de mœurs. Encore faut-il aller à sa rencontre et quand il s’agit d’aller à la rencontre de Soi-même, seul le miroir nous montre le chemin. Le miroir, le reflet, ce renvoi, cette projection dont Marie Louise von Franz a même fait le titre d’un de ses plus grands ouvrages : Reflets de l’âme. Ce miroir qui abonde dans les contes et les mythes. Dans ce miroir nous pourrons « voir » bien sûr ce que nous savons déjà de la Persona, celle que nous montrons alentour, mais aussi les ombres et les lumières invisibles au premier abord.Reflet miroir

Le meilleur moyen d’aller à la rencontre d’Animus est d’observer les introjections que nous avons faites, comment elles se manifestent en projection. En termes plus clair : à quoi ressemble, qui est vraiment le père, le verbe de la mère ? Quels sont les points communs entre les hommes de notre vie ? Comment désirons-nous ? Comment actons-nous ? Comment nous jugeons-nous ? Comment jugeons-nous ?

A quoi ressemble les hommes dans nos rêves nocturnes ?

James Hillman présente la confrontation à la projection de l’Animus, une histoire d’amour, comme la clé première du chemin de l’évolution de soi-même. (Voir La Beauté de Psyché)

Il arrive un instant où nous nous trouvons confrontée à une sorte de demi-dieu, un héros, un démon, voire un psychopathe. De prise de conscience en dialogue, de compréhension en métamorphose, le chemin sera long jusqu’à la guérison qui de sa souffrance intérieure portera à la transformation vers le passeur, le Roi, le messager, le complice et l’amoureux….

Cet « animal », cet Animus, et Jung le décrit parfaitement bien dans sa force numineuse, est un Archétype relié à l’Âme du Monde. Cela veut dire que le voyage peut nous amener aux tréfonds de l’inconscient collectif là où toutes les femmes sont une, là où préside Animus collectif, et en particulier celui qui maltraite le féminin depuis plusieurs milliers d’années.

Ce que l’on fait à une femme, on le fait à toutes les femmes…

En prenant soin de Soi, en prenant le chemin qui mène vers Animus incarné de notre âme, c’est aussi vers un face à face avec Animus du Cosmos que nous nous dirigeons.

C’est assez simple, si depuis 2000 ans les femmes ont intégré qu’elles sont inférieures et faites pour souffrir, c’est un Animus mortifère qui préside à leurs naissances et souffle par le verbe maternel, la posture paternelle : « c’est ainsi que les choses sont ! » Il ne suffira pas de changer le verbe et la posture qui n’agissent que sur la conscience temporelle, et bien souvent satisfaite d’elle-même, il faut aussi se pencher en dedans, pour « com prendre », je ne peux pas dire pardonner, mais apaiser, oui certes entendre, consoler, apaiser.

Red Pill Logic

C’est parler aux fantômes, libérer les âmes encloses et prisonnières, ce sont les cryptes psychiques qui nous enlisent. Nous ne sommes jamais seuls, des lignées d’humanité nous accompagnent, nous nourrissent, nous inspirent, pour le meilleur ou pour le pire.

Lorsque la confrontation a eu lieu, la com-préhension double, l’acceptation réelle et l’amour véritable, c’est l’expansion de notre conscience qui éclaire un peu plus les ombres inconscientes, nous nous connaissons bien mieux et plus profondément, c’est le parcours, le chemin, ce que Jung comme Assagioli ont nommé l’Individuation, la conquête du Soi.

Jung

 

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Artémis

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Artémis d’Éphèse

En Grèce une déesse a développé une adaptation particulière au monde patriarcal qui la soutenait. Artémis, Ἄρτεμις / Ártemis, est la fille de Zeus et de Léto et la sœur jumelle d’Apollon. Pour Platon elle est ρτεμές / artémès, « intègre, sain et sauf ». Il est un fait qu’Artémis peut naître malgré la malédiction d’Héra, malgré le sort elle sera « saine et sauve ». Première à naître elle aidera sa mère à accoucher de son frère Apollon. En ce sens Artémis accompagne la naissance du masculin, d’un Animus qui est de même nature qu’elle-même, un frère jumeau.

D’autres ont rapproché son nom avec ἄρταμος / artamos, « boucher », Artémis est donc aussi « celle qui tue ou qui massacre ». La dichotomie de son nom parle du double profil : celle qui accompagne la vie et celle qui la prend. Voilà une des caractéristiques qui nous rapproche de la Grande Déesse des origines, comme l’écrit Marija Gimbutas « Celle qui donne la vie et celle qui donne la mort sont une même déité[1] » et nous allons voir comme la déesse donne la mort, non pas n’importe comment, ni à n’importe qui, mais dans une dynamique toute particulière, avec une grande force, dans une justice établie et divine, l’Ombre ancestrale de son aïeule.

Certaines versions disent que Zeus se désintéressa de Léto dès qu’il prit connaissance de sa grossesse et qu’elle se retrouva, en quelque sorte, bannie. Il est arrivé la même chose à Nout en Egypte. Ayant eu connaissance de la liaison qu’elle eut avec Geb le dieu de la terre, « Ré entra dans une grande colère et, lorsqu’il apprit qu’elle était enceinte, il lança contre elle une imprécation : il ne tolérerait pas qu’elle accouchât, ni dans les jours ni dans l’année qui suivraient. Or les jours passaient, le terme approchait, l’angoisse de Nout augmentait. Elle chercha où se cacher, mais ne trouva nul endroit où elle eût pu se réfugier et se soustraire, ainsi que sa progéniture attendue, à la vigilance implacable de Rê dont l’œil ne la quittait pas, relayé la nuit par celui tout aussi vigilant de la lune. C’est alors que Thot vint à son secours[2]. »

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Zeus et Héra

En Grèce, la version la plus courante est celle d’Héra en colère, « méchante », car jalouse et délaissée par son mari, qui va lancer la malédiction. Elle interdit à Léto d’accoucher sur terre ou sur mer ou encore elle demande à tous les dieux de ne pas l’accueillir. « Désespérée, elle erra, cherchant partout un refuge. Elle vit enfin une parcelle de terre qui flottait sur la mer ; ce fragment n’avait pas de fondation et dérivait de-ci de-là, au gré des vagues. C’était Délios, de toutes les îles la plus exposée au danger et, en outre, rocheuse et stérile. Mais lorsque Léto y mit le pied et demanda asile, l’îlot l’accueillit avec joie et, dans le même instant, quatre solides piliers surgirent du fond de la mer et la maintinrent à jamais fermement ancrée[3]. » Il est intéressant de voir que l’île n’est pas ancrée et stérile tant qu’aucune présence divine ne se pose sur son sol. De voir aussi comme elle est exposée au danger, tant que la Vie ne se propose pas, elle est comme un possible, un rêve, une promesse mais pourrait à chaque instant disparaître ou se dissoudre. Par contre, il suffit d’une

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Léto, Apollon et Artémis

déesse prête à enfanter pour que non seulement elle fasse son ancrage et que « quatre piliers la maintiennent. » Comme dans les rêves, chaque détail compte et l’ancrage se matérialise par un symbole de projet d’incarnation car enfin, c’est dans l’inconscient que se prépare la conscience. Il est même rajouté parfois que Poséidon pose une voûte liquide afin de soustraire la mère et ses enfants du regard des dieux et en particulier d’Héra. Une île au milieu de l’océan protégée par le dieu de la mer est sans conteste possible assimilable au symbole du Soi dans l’inconscient. L’image est très forte et suggère que, quoiqu’il arrive, le Soi peut toujours, dans le secret de l’inconscient, générer une nouvelle essence de l’être, un nouveau possible, y compris du féminin. Cela nous ramène à Thot qui vint au secours de Nout, Thot étant le Dieu-Lune, le maître de la nuit, de l’inconscient.

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Léta eut deux enfants, une fille et un garçon. Artémis, tout comme Isis avec son frère Osiris, est porté dans le sein de sa mère. Pour Isis, son frère est aussi son amant, son amour, pour Artémis son frère est son ami le plus sûr et le plus complice.

Sur le plan symbolique l’inceste divin exprime une union sacrée entre deux entités de même nature-sacrée, issus de la même source divine, le ventre de la Déesse. Apollon est le fils solaire des pères dominateurs. Lorsque le fils lunaire, tel Osiris ou Tristan, fait place au fils solaire, il perd ses prérogatives d’amant, mais reste un frère qui peut nous aimer, nous verrons qu’Artémis intègre l’Animus différemment des déesses et de leur fils/frère-amant. Artémis protège le féminin et toute son essence de ce monde hostile. Et son frère ne sera pas en reste pour l’accompagner dans ce périple. Nous ne devons pas oublier qu’Apollon est le dieu de la Vérité, de la conscience pure qui fait face et éclaire l’ombre. Nous oublions trop souvent qu’Apollon n’est pas le soleil, « précisons que le Dieu-soleil était Hélios[4] ». Cette vérité, cette lumière est « frère » de la déesse qui aida à sa naissance et qu’il protégera, aidera dans son combat pour la survie et la maintenance de son règne. De leurs combats et de leurs tueries nous retiendrons qu’ils protègent « la » mère et ce féminin archaïque, fécond, indépendant d’où le terme « virgo » affublé à Artémis sur lequel nous reviendrons.

dianeIl est dit qu’à peine nés ils tuèrent un dragon venu les attaquer tous trois, ce dragon des fonds de l’inconscient collectif, cherchant à engloutir la conscience à peine éclose. Ce dragon, Mère Archaïque, omniprésent dans de si nombreux mythes menace le royaume conscient. C’est le premier monstre que combat Tristan sur la terre d’Iseult. Cette libido énergie archaïque ayant le pouvoir d’un seul de ses appétits de dévorer ses enfants. Lorsqu’un possible sursaut de la conscience, qu’elle soit collective ou personnelle, émerge, elle est menacée par les vagues surgies des profondeurs. L’élan de vie s’effondre, se dissout, est englouti. Pourquoi la Mère première ne dévore pas ses enfants, mais les couvent, alors que la Mère ultérieure devient ce dragon malfaisant ? La réponse est induite dans le personnage même d’Artémis, le féminin, comme le serpent bienfaisant, peut devenir destructeur lorsqu’un danger se présente, la justice, la sagesse du féminin originel qui est capable de tuer d’un coup de dents, d’une morsure venimeuse, le germe d’un processus qui pourrait être mortifère. Dans ce cas l’attaque n’est pas « méchante » par nature, mais « juste ». Lorsque les chevaliers des contes mènent un combat contre le dragon primordial, ils gagnent toujours s’ils ont le cœur pur…

C’est frère et sœur, qu’Artémis et Apollon tuent les enfants de Niobé qui « ordonna aux Thébains de lui rendre un culte au détriment de celui de Léto : « Vous brûlerez de l’encens à Léto » leur dit-elle « qu’est-elle auprès de moi ? Elle n’a que deux enfants, Apollon et Artémis. J’en ai sept fois autant. Je suis Reine. Elle n’était qu’une errante sans foyer jusqu’à ce que la petite Délos, seule de toutes les cités de la terre à consentir à la recevoir. Je suis une muse puissante et grande-trop grande pour que quiconque, hommes ou dieu, puisse me faire du mal. Offrez-moi des sacrifices dans le temple de Léto, qui sera désormais le mien et non plus le sien. » Les mots insolents proférés par l’arrogante conscience du pouvoir étaient toujours entendus dans le ciel et toujours punis. Apollon et Artémis, l’archer divin et la divine chasseresse, glissèrent rapidement de l’Olympe jusqu’à Thèbes, et décochèrent leurs flèches avec un art mortel, ils tuèrent tous les fils et toutes les filles de Niobé[5]. » Niobé veut prendre la place de Léto par fierté, par jalousie, les enfants divins ne peuvent l’accepter. Chaque fois que le féminin est en danger, menacé de blessure, de viol et de désacralisation, un tabou est transgressé. Chaque fois l’agression est commandée par une méchante sorcière ou un Senex, un dieu pour qui l’amour a fait place au pouvoir.

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Temple d’Artémis

Il n’y a pas pour Artémis d’époux possible, dans son monde le masculin est unilatéral, patriarcal. Lorsque la conscience du temps présent n’offre pas au féminin un possible Animus fidèle à sa nature, il peut faire appel à ses ressources intérieures et archétypales, s’armer d’un Animus de la vérité, frère jumeau de sa naissance ou qui se manifeste dans son intériorité même : un arc et des flèches. Lorsqu’elle est cachée, reléguée dans l’ombre, elle peut encore briller de tous ses feux par son Esprit éclairé. C’est le feu antique, le soleil antique de sa manifestation qui glisse et œuvre à travers son essence. Artémis garde les traces du feu flamboyant de son origine et les feux gardés dans ses temples en étaient la preuve irréfutable.

C’est pourtant à son père Zeus, l’Animus hérité, qu’elle ira demander les armes qui seront siennes. À l’âge de trois ans, assise sur ses genoux, elle lui demande : de rester toujours vierge, et de porter assez de noms divers pour qu’Apollon ne puisse le lui disputer. Elle veut, comme son frère un arc et des flèches, tout en précisant que ce n’est pas à son père de lui donner, mais aux Cyclopes. Ce n’est donc pas de la conscience ambiante qu’elle aura ses armes défensives et guerrières, mais des strates les plus anciennes, plus archaïques, des strates prenant racine dans la psyché collective où la Grande Déesse règne en maîtresse. De son père elle obtiendra de pouvoir porter des flambeaux et de revêtir une tunique à franges qui ne lui descende que jusqu’aux genoux, pour ne point, l’embarrasser. Forte des puissances naturelles d’une Grande Déesse antique elle se pare d’attributs lui permettant d’être libre et mouvante, ayant la capacité de se défendre, de ne pas tomber dans la dépendance d’un patriarcat dominant. Pour renforcer son lien à l’origine première, elle s’assure d’être accompagnée de soixante filles de l’Océan, qui soient toutes à l’âge où l’on ne porte point encore de ceinture. Il n’y a pas, pour Artémis, de compagne entachée de suggestion, de malédiction, de « culture patriarcale », seulement des filles encore « sauvages » rodant dans l’inconscient.

Elle demande les montagnes sur lesquelles courent les forêts et les animaux sauvages. « Que toutes les montagnes soient les miennes », déclare-t-elle dans l’hymne de Callimaque de Cyrène. Elle s’y cache et s’y renforce, c’est Son Royaume, le royaume d’origine de la Grande Déesse des premiers millénaires. Elle erre aussi dans les agros, les terres en friches, incultes et peu fréquentées. Si elle ne demande qu’une ville, son père lui en offre trente, mais elle ne s’approchera qu’aux moments où les femmes, travaillées des douleurs aiguës de l’enfantement, l’appelleront à leur aide.

Pan lui donne les chiens de sa cour et elle capture quatre biches aux cornes d’or. En quelque sorte elle s’approprie ce qui lui revient, aidée du dieu le plus ancien, le plus obscur, le plus « naturel » qui soit, Pan, l’allié de toujours dont nous avons déjà parlé. Ici le féminin se relie à ses forces primitives, qui sont son essence, sa nature, la force instinctuelle et la con-naissance naturelle du monde. Elle nous guide sur le chemin qui est celui de notre nature, constamment entourée d’une troupe d’animaux sauvages, d’où son nom Ἡγημόνη / Hêgêmónê, « la Conductrice ». Pour ce faire nous voyons déjà avec Artémis que nous avons besoin de l’assistance d’un Animus sauvage mais généreux, confiant et sûr, qui lui donne accès à ce qu’Elle est, la maîtresse de la nature sauvage et des animaux, c’est-à-dire l’instinct. L’instinct n’est pas à prendre dans le seul sens moderne que nous lui donnons, ce n’est pas juste l’instinct animal, mais aussi l’intuition qui est un instinct psychique particulier. Ce n’est pas un hasard si le porte-parole « inspiré » d’Apollon était une femme, la Pythie de Delphes. C’est cette intuition, cet instinct naturel et sûr qui fait que Zeus ne peut pas lui refuser ce qui lui revient de droit, le monde sauvage et la protection des chemins et des ports, « Elle a sa place en bordure de mer, dans les zones côtières où entre terre et eau les limites sont indécises. » Artémis porte aussi le nom de Trivia, « celle qui éclaire la route aux carrefours de la vie », lumière de la conscience à l’heure des choix dont l’intuition et l’instinct ne sont pas les moindres conseillers !

Déesse des carrefours et des frontières, elle est par analogie déesse à la frontière entre le monde sauvage et le monde civilisé où la culture prévaut, elle est la déesse du « passage », de l’initiation. κουροτρόφος/kourotróphos[6] qui préside à l’initiation des petits d’hommes et d’animaux et les accompagne jusqu’au seuil de la vie adulte. Cette capacité de ressource aux mondes sauvages, d’intuition, d’instinct et de vie, corrobore la fonction de porteuse de vie associée à Artémis. Si elle aide à la naissance, relie à la source vitale et naturelle, Artémis est aussi guérisseuse. C’est elle qui guérit Enée, fils d’Aphrodite, blessé à la guerre de Troyes.

Ces qualités, ces capacités du féminin, Artémis en est la dépositaire, et elle va les défendre corps et âme. C’est pour cette intégrité, cette entière réalité sauvegardée qu’Artémis est dite « vierge ». Il ne s’agit pas de vierge dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui et qui est entaché d’une vision patriarcale d’appropriation du féminin par le masculin, d’une vision qui fait de la sexualité féminine une pulsion démonique, une propriété du mâle. Nous devons pour comprendre le sens premier du terme faire l’effort de sortir de nos paradigmes et prendre le temps de percevoir le monde sous un autre angle. Le féminin est vierge lorsqu’il ne porte pas d’enfant, que son ventre est en attente d’accueil (consentant). Mais plus encore ce féminin Vierge est l’héritage direct de la Grande Déesse qui est capable de se suffire à Elle-même ; qui, s’il peut, veut et aime, va à la rencontre du masculin, ne s’assujettit pas à lui mais lui propose un face à face. D’ailleurs si Artémis n’est pas épouse, elle a cependant des amours et des amants, et des enfants. Endymion, champion de la course à pied est un de ses amants. Ils eurent cinquante filles, les Amazones voilà qui, pour une vierge, fait beaucoup d’enfants. Orion, lui, devenu aveugle suite à quelques confrontations avec Oenopion qui demanda à Dionysos de le punir, s’enfuit en Crète où il devint « le chasseur » d’Artémis.

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Dionysos

Et nous avons vu comment cet homme sauvage, cet « Homme-Vert » est par nature et essence le compagnon originel de la Grande Déesse. Entre ces deux-là, il s’agit vraiment d’une histoire d’amour. Mais lorsqu’il délaisse sa bien-aimée pour une autre, et c’est Aurore qui sème le trouble entre Orion et Artémis, la Déesse n’hésite pas, elle décoche une flèche et tue. Il est dit d’autres fois qu’il aurait entraîné sa colère en la défiant à l’épreuve du disque où il aurait tenté de la violer, elle ou l’une de ses nymphes, Opis. Artémis ne prend pas de risque avec un Masculin qui peut à chaque instant se retourner contre elle. Et chaque fois que se présente un masculin renégat à sa cause, chaque fois que sa nature intrinsèque est malmenée, en danger, que la Nature est en danger, que les humains tuent « une de ses chères créatures sauvages[7] » elle n’hésite pas, elle donne la mort, comme le dragon des origines.

Au moindre irrespect, au moindre risque, elle frappe. Observée nue en train de se baigner dans un torrent par Actéon, elle le métamorphosa en cerf. Les chiens d’Actéon, ne le reconnaissant pas, se jetèrent sur lui, le déchirèrent, et le dévorèrent vivant sous le regard d’Artémis. Réponse brutale mais juste à la transgression du tabou, « laisser le féminin tranquille lorsqu’il se régénère et prend des forces », « ne violente pas ». Elle s’en prit à Héraclès qui captura une de ses biches aux cornes d’or  pour la ramener à son cousin Eurysthée. Agamemnon aussi, orgueilleux après la chasse d’un cerf tint ces mots : « Artémis, elle-même n’aurait pu le tuer de la sorte! ». Pour se venger de cet affront, elle immobilisa sa flotte qui se dirigeait alors à la guerre de Troie, et exigea le sacrifice de sa fille Iphigénie. Sur le bûcher, elle l’échangea au dernier moment par une biche, et en fit une prêtresse dédiée à son culte dans un sanctuaire en Crimée. Elle ne passe rien, le moindre oubli engendre son courroux. À Calydon, le roi Oenée oublia Artémis et son sacrifice lors d’un culte. Pour se venger, elle envoya un énorme sanglier dans le pays qui ravagea les terres et tua le bétail.  Otos et Éphialtès, les Aloades tentent de l’enlever et de la violer, elle leur donne la mort. Même ses nymphes ne sont pas épargnées, lorsque l’une d’elles est « souillée » ou risque de l’être, elle la chasse si elle a été séduite, comme lorsque l’une d’elles, séduite par Zeus, telle Callisto qui se retrouve enceinte, elle la chasse de sa suite ou comme Aréthuse qui, poursuivie par le dieu du fleuve Alphée, est transformée en nuage puis en fontaine. On ne rigole pas avec Artémis, on ne joue pas avec le Féminin et l’intégrité de sa personne. Elle intervient toujours lorsque le Féminin est « sali », forcé, désacralisé.

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Héraclès tuant le biche sacrée d’Artémis

à la moindre velléité de porter préjudice au Féminin « l’archère » iokhéairê, la déesse « à l’arc d’or », khrysêlakatos, tire et tue. Son arc agit tel un Animus épée de lumière, portant la vérité Cette vérité est déjà ce que représente Apollon, frère jumeau, Animus inconscient dans une psyché féminine en cours de régénération. Au départ, l’Animus est ce père qui renie la fonction créative du féminin. Puis, dans une psyché en cours de métamorphose, il devient le frère aimé Apollon. Comme le dit Jung, « dans un clair-obscur[8] », un complexe autonome personnifié (Apollon !) pour finir par devenir une fonction psychologique avec laquelle nous agissons de concert : « une manière de passerelle qui mène vers l’inconscient[9]. » Cette fonction sûre lui permet de détruire tout ce qui pourrait porter atteinte à son essence divine. Avec Artémis, le ver n’entrera pas dans le fruit. Chez Homère, l’arc se dit βιός/biós, qui se rapproche de βίος/bíos, « la vie ». Artémis est celle qui protège la Vie dans son cycle et pour ce faire n’hésite pas à donner la mort, à tout ce qui représente un danger de distorsion, de perversion, de destruction. Ce n’est pas un hasard non plus si Écho, une de ses suivantes, babillante et volubile tombe dans les filets destructeurs d’Héra dans le mythe de Narcisse, le grand modèle de la perversion « narcissique ». L’essence d’Artémis, représentée par Echo, est ciblée par le féminin mortifère, car Artémis apporte la justice de la vérité, la vérité sur le féminin sacré. Elle porte la lumière, elle guide et son nom est parfois « la radiante », le feu divin, elle possède le qualificatif de phōsphóros « qui apporte la lumière ». Cette lumière est un trait de l’esprit, un Animus, une conscience éclairée capable d’irradier. Florence Quentin le note à propos de l’Egypte « On pourrait d’ailleurs s’interroger sur le fait que, dans la symbolique égyptienne, c’est le féminin qui transmet, bien plus que son pénis manquant, son phallus (symbolique) au masculin, tout autant qu’elle lui transfuse l’esprit[10]. » D’ailleurs en Egypte aussi se trouve une déesse qui tue les démons de ses flèches, Neith

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[1] Marija Gimbutas, Le Langage de la déesse, éditions des Femmes, 2005, p. 336.

[2] Nadine Guilhou, Mythologie égyptienne, Poche Marabout, Kindle, 2005, emplacement 1307.

[3] Edith Hamilton, La Mythologie, Marabout, p. 384.

[4] Ibid. p. 32.

[5] Ibid. p. 311.

[6] Diodore de Sicile, V, 73.

[7] Edith Hamilton, La Mythologie, Marabout, p. 233.

[8] Carl Gustav Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient, Folio, 1964, p. 140.

[9] Ibid.

[10] Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel, Kindle, emplacement 424-426.

Le féminin lunaire, féminin du patriarcat ?

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La Femme dans la société celte, Le Féminin solaire dans la mythologie, Les Figures symboliques du Féminin et du Masculin, sont le fruit d’un travail de dizaines d’années, de travail intérieur (analyse jungienne et psychosynthèse), d’observation, d’études poussées de l’histoire, de la mythologie, des religions, des spiritualités, de voyages et d’expériences in situ. Le fruit de l’accompagnement aussi, de femmes et d’hommes dans le lent et difficile accouchement de leur âme. Ce travail m’a menée inexorablement à une réalité surprenante et bouleversante. Les anciens l’ont exprimé, sous les couches vibrantes archétypales se love un Féminin sacré, sa fécondité, sa joie et sa force. Notre féminin divin est aujourd’hui amputé d’une grande partie de son essence, il ne reste de lui que sa fonction maternelle et consolatrice. Mais avant il possédait une force et un rayonnement créateur indéniable. Les vielles déesses que sont, par exemple, Isis, Amaterasu, Sol, Aetensick etc. en portent encore grandement les attributs. Se trouver un instant devant le miroir flamboyant de la Dame japonaise, sur le parcours gravé des Femmes divines de l’Egypte ne laissent aucun doute. Puiser dans les chemins de Ninghursag, d’Ishtar, de Cybèle nous enseigne leur puissance, leur gloire, leur bienveillance, leur colère, leur flamboyance. Retrouver dans les mythes les aspects lumineux de Brigid, Iseult, Déméter, il n’y a plus d’hésitation possible, ce Féminin est solaire.

woman-happiness-sunrise-silhouette-40192Plonger en soi, jusqu’au plus profond de l’abîme, traverser les ombres et les calices, nous permet d’advenir à l’expérience lumineuse intérieure : un Soi solaire et Féminin. Lorsque qu’au bout de sa quête Lucius d’Apulée se confronte au plus profond de l’âme, c’est Isis lumineuse et colorée qui apparaît. Marie Louise von Franz[1] avance : Anima pour un homme, manifestation du Soi pour une femme.

pexels-photo-2011639Le caractère solaire pose question, à nous qui envisageons le féminin comme lunaire, la femme lune, ombre dansante des profondeurs de la nuit quand le masculin, l’homme, s’expose solaire et rayonnant. Les humeurs, les cycles féminins tendent à conforter cette vision et la belle Blodeuwedd, terminant sa course mythique sous la forme de chouette hululant sous la lune confirme cette idée.

Aller plus loin et plus profondément, nous voilà devant l’aspect d’un féminin qui sans paraître étrange dévoile une Figure particulière. Les traces les plus anciennes, les gravures les plus vieilles mais aussi les observations que l’on peut faire des pratiques ancestrales de peuples ayant moins que les autres subit le joug de l’envahisseur indo-iranien (le patriarcat) sont autant de preuves qu’avant le monothéisme fut un polythéisme et qu’avant le polythéisme fut un culte à une Grande Déesse et ses Consorts. Il suffit d’explorer avec minutie le rapport que fit Adrien Maisonneuve[2] sur les pratiques ancestrales non ariennes des Dravidiens, et de les comparer aux strates les plus anciennes des peuples les plus éloignés de la frange indo-iranienne (les Celtes, les Germains), pour qu’émerge cette figure divine, qui fleurit tout autant sur les plus anciens temples et dans les plus anciens cultes : un divin féminin  manifesté par la nature jaillissante et féconde.hathor et isis

Sous cet angle de lecture il apparaît alors que plus les mythes avancent et plus le féminin se met en repli, se lamente, se plaint, se love au creux des rochers et des criques, se cache, devient lunaire :  ce féminin lunaire apparaît comme le féminin du patriarcat. C’est sa manière à lui de survivre, de se nourrir encore aux souches maternelles du Grand Inconscient Maternel, la Nuit, la Serpente sacrée. Car, ce qui se dessine à la lecture de l’antique héritage c’est que le Féminin est à la fois nuit et serpent ET force vive, lumineuse essence, « éclairage du ciel », expression créative. La lune dans ces cultures archaïques est masculine, c’est elle qui féconde les femmes et perce la poche de leurs eaux, comme le mâle antique dont le rôle majeur est d’ordonner le monde par les cornes dressées de sa tête taureau, de sa tête bouc, de ses mains de Jardinier. Un Homme qui danse dans la nuit avancée, ouvre la voie et laisse épanouir ce féminin solaire dont la lumière, aujourd’hui nous manque tant.taureauxCY

[1] Marie Louise von Franz, L’Ane d’or.

[2] Adrien Maisonneuve, De l’arbre, de la pierre, du serpent et de la déesse-mère.

Séminaire : Les Archétypes féminins, le chemin guérisseur

Janvier 2020

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J’animerai un séminaire dans un petit village du Berry du vendredi 24 janvier 2020 au dimanche 26 janvier 2020

A travers des mini conférences, des soirées thématiques et créatives, des ateliers de méditation et d’exploration, identifier nos archétypes féminins mouvants intérieurs. A travers des analyses de mythes et des observations de rêves nous suivrons le chemin guérisseur de notre psyché.

Nombre de places limité à 10 personnes

Renseignements : cercleanimamundi ( @ ) gmail.com


 

Prévisionnel 2020 : Séminaire à Malte !

le pays de l ancienne déesse

 

D’Avalon à Philae

20181018_155422J’avais l’habitude de cheminer sur les sentiers perdus de ma terre natale, arpenter ses forêts, toucher ses arbres silencieux, tremper mes doigts, le bout des ongles, dans les sources cachées sous les fougères. J’avais hanté les pics des Pyrénées, observé les isards, cueilli la rosée dans l’ambre matinale.

J’avais sillonné les monts d’Arrée, aux aubes tricotées des araignées velues. J’avais aussi guetté la bascule du soir sur le sommet pentu de Bibracte endormie. J’étais en quelque sorte partie à la rencontre de la terre qui vit naître mes ancêtres et qui nourrit mon sang chaque jour. La Gaule chevelue est mon royaume. A piétiner sans cesse sur les routes de France j’étais parvenue à rejoindre le Centre, l’île que les anciens appelaient Avalon. En Avalon Arthur est endormi. En Avalon dansent les femmes, espace féerique où se joignent les mains de ceux qui sont partis. Avalon, île parmi les îles, où se dresse le château de Morgane, les filles ancestrales, ce qu’encore plus avant les humains prénommaient le Sid. Le Sid est le nom spécifique de l’Autre monde et il veut dire « paix ». Il est une colline, une butte, au-delà de la mer, à l’occident. Il est une île au milieu d’un lac, d’un fleuve, d’une étendue liquide. Pour y pénétrer il faut prendre la barque. C’est un pays merveilleux, Mag Meld (Plaine de plaisir), Mag Mor (Grande plaine) Tir na mBéo (terre des vivants), Tir na nOg (Terre des jeunes), Tir Tairngire (terre des promesses). Mais c’est avant tout Tir na mBaân, la terre des femmes, ces femmes du Sid, magiciennes, fées, éternelles, envoûtantes.

Sur les côtes bretonnes nous rêvons Avalon. Les sept îles devant Perros Guirec se prêtent au jeu, il suffit de laisser parler les images sur les barques qui nous y traînent.avalon barque

Parfois c’est sous la terre que se trouve le Sid, car après sa défaite le peuple des Thuatha dé Dannann s’y réfugia : les enfants de la Déesse se sont enclos au creux de son ventre.

Dans les profondeurs aussi nous rejoignons le Sid, comme dans ces grottes pariétales, grotte de Trois Frères, Lascaux, quand l’humain a préféré plonger dans les flancs de la terre, ou bien à Barnenez, Gavrinis, quand il a modelé de ses mains sans outils une grotte, un ventre obscur, invitant à la renaissance.

Le bout du chemin se trouve là, dans les bras des fées, des déesses, sur l’île sainte, au creux du ventre de la mère. Je m’y roulais sans cesse, comme un jeune chevreau dans l’herbe du printemps. Y puisant l’eau de vie je m’abreuvais à ses sources et dans un chant de joie j’y psalmodiais « maman » !

avalon ileJ’appris que tous les humains de la terre gardaient dans leur mémoire la plus ancienne des traces de ce lieu, cet espace tranquille, où comme des enfants nous pouvons rejaillir. Mais que pouvait bien être le lieu de renaissance dans un espace où ne coulent pas les sources parmi les herbes folles, les arbres centenaires, la fraîcheur de la nuit, les saisons aux quatre coins posées ? J’étais, je suis fille de l’Europe de l’ouest, j’aime les étés chauds et les hivers gelés, la douceur d’un printemps est aussi bienvenue que la froidure de neige d’un janvier finissant.

Vint octobre 2018. Il me fut proposé le voyage en Ėgypte. Un élan vivifiant souffla dans mon âme curieuse et c’est dans l’enthousiasme primitif d’un besoin de rencontre que j’acceptais de m’éloigner de mon Sid pour découvrir les longs passages étroits qui mènent à Kheret-NetjerRo-SétaouDouât ou Neferet Imentet

J’avais gardé de mon adolescence, l’image d’une Ėgypte grandiose, Ramsès II, Hatchepsout, Néfertiti, Cléopâtre et Marc Antoine… Occultant les Gaulois l’école de mes jeunes années nous parlait de l’Ėgypte ancienne, semant sans le savoir quelques graines d’éveil pour une civilisation lointaine et mystérieuse. La volupté, l’érotisme de l’Ėgypte n’avait d’égal que ses mystères, ces mystères qui fascinent, qui aimantent.

Et aujourd’hui toujours les mystères égyptiens posent sur nos fantasmes le voile d’un attrait. Que n’a-t-on dit de l’Ėgypte ? Que des extra-terrestres ont façonné la pierre d’un laser percutant. Que la magie des signes donne tous les pouvoirs…

Comme nos Dames Blanches les Figures égyptiennes semblent braver le temps et l’espace. Elles apparaissent aussi dans nos rêves nocturnes. Parfois je fus saisie d’une surprise extrême de croiser dans mes nuits des dieux de leur royaume, moi qui n’avais foulé ni leur sol, ni leur rêve, sans connaitre parfois le nom des visiteurs. Qu’allait-il advenir d’une rencontre diurne, d’une confrontation aux images gravées de ceux qui noctambules hantaient ma psyché ? Je partais donc curieuse, de mon saut de cabri, prête à tous les éveils, peut-être les écueils.

20181012_091336L’air épicé du soir embaumait le jardin où nous fumes arrivés. De la fenêtre de ma chambre j’écoutais la nuit. Louxor. Mais je regardais Thèbes, je revoyais en songe tout ce que j’avais lu des Reines et des Rois qui avaient gouverné ici et comme moi sentaient la douceur nectarine. Qu’avaient-ils pensé, dit, qu’avaient-ils senti dans la moiteur du soir ? Je ne pouvais pas mesurer la distance, les temps sont différents, aujourd’hui la Mosquée chante sa dernière plainte du jour et les calèches attendent encore si quelques touristes désirent les héler.

Mais c’était ici la ville sacrée, le centre de ce monde, là que les scribes assis comptaient jour après jour, que les bateaux partaient pour les pays d’où ramener l’encens, là que les médecins, les fermiers, les voyageurs traînaient leurs pieds dans la poussière. Les images des livres prenaient vie dans mon rêve… J’avais déjà rêvé ces humains ressurgis sur les chemins de terre de mes rives natales. Combien de pas sur cette pierre usée ? Combien de mains sur ce caillou dressé ? Au musée de Bibracte un anneau d’or avait surgi de son écrin pour me montrer la main qui l’avait portée. Anneau d’amour ? Quel secret, quelle émotion, quel sentiment avaient accompagné ce cercle ? Ici aussi le rêve cherchait, de son nez fouisseur, les effluves anciens des peuples de ces temps. Je m’endormais et ma nuit fut noire, sans image et sans songe…

IMG_0344Les temples se sont dressés devant moi ! allais-je oser pénétrer dans le saint des saints, dans ces espaces enclos que les profanes souillent ? Dans ces géants de pierres, ces forêts sculptées, allais-je me sentir petite, insignifiante, oppressée, soumise à une volonté divine, une volonté politique, une manipulation ?

Le pas posé sur le seuil, je contemplais de l’âme, non encore du regard, car je baissais les yeux à l’instant de « passer », le front courbé devant tant de beauté, devant tant de silence.

Alors, combien de mains, de pieds, de regards appliqués, de sueur et de fatigue pour élever ces temples ? Combien de réflexions, de calculs ? Combien d’amour ? Offrir ce que l’on a meilleur est un acte d’amour et je pouvais errer entre les troncs de pierre, d’où jaillissait les plus beaux savoir-faire de l’humanité.

Cet instant étrange de mon premier pas dans un premier temple faisait comme un écho que je connaissais bien. Ce que je ressentais c’est ce que j’avais ressenti à Stonehenge. Ces êtres d’un autre temps avaient usé leur corps, sué le sang, pour mettre en bonne place le message de l’au-delà, pour honorer les dieux, pour s’attirer leur grâce. Il fallait tant d’amour pour tant de courage. Mais plus que ça, ils avaient déplacé et façonné des pierres immenses pour les siècles des siècles, dans l’éternité, pour que chaque humain qui les croise les voit et que je les vois moi. Ils n’étaient pas partis dans l’oubli, sans nous laisser des traces, des livres grand ouverts. Ce que faisaient les mythes, transmettre d’âme à âme, la pierre le gravait.

Égrainés tout au long du grand fleuve sacré, les temples se déploient. Ils tissent. Poser sur le chemin des jalons de beauté, planter sur le sentier des bâtons de sagesse, des Images de joie, c’est le geste des bons parents. C’est comme dire « je t’aime », « je te donne mon âme ». Et ils nous l’ont donnée. Je me sens aimée quand les gestes anciens tracent encore sur ma route des fils vers le soleil, la lune et les étoiles.

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Des lunes et des soleils, des étoiles, les traces égyptiennes en proposent des milliers. Des béliers, des grenouilles, des serpents. Des vaches, des poissons, des chiens, des chats… Et puis voilà aussi, le dieu dressé, le grand dieu des mystères, Amon. Voilà la bien-aimée, Mout, et leurs plumes, tant figées dans la pierre, semblent bruisser, trembler au moindre coup de vent. Au fondement de la culture égyptienne se mouvait devant moi l’ancienne hierogamie, qui fait de Mout la mère et Amon le secret, et leur enfant lunaire, Konsout, éclaire aux carrefours les nuits obscures. C’est que puisant aux plus anciens mystères du monde Amon est ce secret et la lune est son fils. C’est que ramifiant ses racines aux confins de l’histoire humaine Amon porte les cornes du bélier. Je n’avais plus besoin des mots qui dansent dans la tête, de l’effort d’imager, ils étaient là, ils me disaient quoi dire :

A toi l’acclamation, ô Amon-Rê !
Le radieux, seigneur des devenirs, multiple d’aspects,
Les cœurs sont rassasiés de ton amour ! [1]

20181013_130337Tous les sanctuaires, tous les temples, proposent au monde entier un chemin, un parcours, qui traverse le fleuve et la forêt, de pierres ou végétale, vers le Centre, le Cœur. Le temple nous enivre, le temple nous apaise. Ici quelque chose tremble, quelque chose frémit. Il est une Figure que mon âme apeurée cache sous un linceul, mais les Figures ondulent et se glissent. Peu à peu s’anime en moi sa voluptueuse présence, Sa présence, toujours, partout, toujours glorieuse et rayonnante. Elle, sous toutes ses formes, Aneket, Héqet, Mout, Nout, Rénénoutet, Satis, Serket, Shou, Sekmeth, Neith, Hathor, Nephtis, Isis… Elle est là. Elle danse, elle protège et elle défend, elle nourrit et elle guide. Comment peut vivre un peuple qui honore La Femme ? Comment l’âme peut-elle agir quand dans son quotidien, quand sous ses yeux sans cesse, Elle se présente ? Plus de peur, plus de honte, de blessure, de limite, d’hésitation, de sujétion. Pas de sorcières, d’oiseaux de malheur : Elle est là rayonnante, lumineuse, forte et douce et juste, jusque dans ses colères.

Il n’y a pas que les Déesses, quelques reines ont su porter les deux couronnes et si l’histoire a tenté de leur ôter le sceptre, leur renommée flamboie. Mi reines, mi déesses, Néférousobek, Merytaton, Taousert, Cléopâtre et la grande Hatchepsout. Hatchepsout nous impose son temple merveilleux, sublime des sublimes, à Deir el-Bahari.  Avec la reine pas de guerre, des bateaux de commerce, pas de sang dans le rang des armées, une femme se dresse debout en Pharaon. Elle a marché ici et j’y pose mon pied.

 

IMG_0304Je n’attendais des tombes que le recueillement, le silence, la mémoire des morts, le voyage fut autre. A l’ombre d’Hatchepsout, ma divine marraine, dans la vallée des rois, Qurn veille, en gardien silencieux aux berceaux de ses morts. Les bouches béantes des tombeaux en attente, guettent nos pas fiévreux. Le petit roi est là dans son écrin. Lui, mort si jeune, a la chance de dormir dans son lit au lieu de reposer dans les couloirs stériles d’un musée où les lumières frigides éclairent des « objets ». Lui, il est tout petit, rangé dans son habit de mort et son âme est aimée. Envie de me taire, de le laisser tranquille. Il sera temps bientôt de soulever son voile[2].

Une autre tombe s’avance, la descente s’amorce, un seuil, deux seuils, vers le fond de la terre. « Tu as voulu venir ? alors tu vas descendre ! ».

A l’entrée, Elle est là et c’est la première fois que je la vois ainsi, pour de vrai. Isis est sur le mur. Je descends. Ses ailes de milan, d’hirondelle menue, me suivent, comme un souffle de vent. Je pleure, je crois que c’est ma mère qui respire sur moi. Au bas la cuve blanche, c’est un cocon vivant où j’aspire à dormir, où j’aspire à mourir…  Mais il faut remonter et le silence aidant les yeux mouillés on monte, car la vie nous appelle. Elles ouvraient le chemin, Isis et puis Nephtis, elles ouvriront la porte, vers le soleil.

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Le grand fleuve tranquille déroule son ruban bordé des émeraudes les plus pures. Plus loin l’ocre du sable veille au contraste plein. Le Nil est ici la vie, la IMG_0612force vivifiante qui enfante le monde. C’est clair, c’est précis, sans le Nil la terre n’est qu’un désert, un pays gast, un monde sans féminin. Les ancrages des temples sur ses rives dociles célèbrent sa vaillance et les hanches divines des femmes sur les murs ondulent leur bassin à ses rythmes fertiles. J’aurai voulu m’asseoir, là et ne plus bouger. Le ruban rouge de Neith accroché à mon bras j’aurai posé mon front sur les gravures fixes et le Soleil d’Hathor aurait posé sa main sur mon âme apaisée. Mais il fallait partir, courir même, une île m’attendait.

Il est des synchronicités. Il est aussi des archétypes qui se percutent dans les Images sises qu’ils projettent à nos vues. En arrivant, la barque attendait mon voyage mais dans les horizons d’îles parsemées, je ne pouvais pas voir Philae. Ce qui se profilait sous mes yeux ébahis est tellement Avalon que j’en perdais le nord, le temps et puis l’espace. Les granits émergeant des eaux évoquent d’autres paysages. Je me perds. Gavrinis, loin d’ici, IMG_1070propose ce voyage qui ici porte un nom, Isis.

Quand apparut l’îlot, son écrin de verdure pointait d’un au-delà, je me sentais chez moi. A mesure que mon corps parcourait l’esplanade, la cour, les allées, la forêt de plus en plus touffue de colonnes parlantes, mon cœur se mit à battre et mes yeux s’injecter.

Je ne suis plus qu’un œil qui danse sur la pierre.

Tout ça est trop vivant !

J’avance… et je me perds encore…

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Je suis perdue, vraiment. Je ne sais pas où se trouvent les autres. Sous le soleil doré, je fais le tour, je reviens, j’entre, j’entre au cœur. Je suis dans le Naos ombré, je ne veux plus partir, je ne veux plus sortir. Les parois dansent, la paix et la joie éclaboussent. C’est doux comme un bonbon de miel. Les murs se cambrent, les sistres se réveillent… Je suis seule égarée… où je devais aller…

Une ondine s’avance, enfin je la connais, sa jolie main prend la mienne :

« Vite, viens, au Mammisi[3], il n’y a personne ! »

Je suis, j’ai confiance. Nous voguons.

J’entre

20181017_121604Mais il n’y a pas « pas personne ». Elle est là, ma sœur d’âme, elle m’attend. J’entrevois son regard aux larmes qui se glissent, son silence profond. Il n’y a rien à dire, nous sommes deux, telles Isis et Nephtis qui nous guettent dans l’ombre. La voix, sa voix, de prêtresse qui garde, réveille les vieux mots, les prières anciennes. Et la magie opère, unies dans l’Utérus nous basculons. Mes mains, mon front se posent lentement sur le ventre d’Isis. Alors je pleure aussi. Je pleure pour les filles, je pleure pour les femmes, les battues, les brûlées, les violées, celles que l’on enferme de toiles ou de murs, je pleure pour le monde. J’ai 30 ans, j’ai 20 ans, j’ai 4 ans. Je pleure sur ma mère, les femmes de mon sang, je pleure sur ma vie. Je sais d’où c’est venu, je sais ce qui m’attend.

Dame du ciel, Celle au beau visage, aux sourcils fardés, à la gorge brillante … C’est toi qui fais éclater la création dans les cieux, toi qui emplis la terre de poudre d’or… Ton ventre qui enferme la perfection … Tes mains pleines de vie et de prospérité, qui donnent la vie à qui marche sur ton chemin…

Lorsque le soleil portera son regard sur nos yeux embués nous seront là dehors, sans mots, juste des pleurs, encore.

Au retour, et pour toujours me perdre, l’âme de Philae a sorti sur le fleuve un rameau de brouillard, comme pour Avalon. Je regarde incrédule ! Le Nil ne tisse pas de ces écharpes blanches : il est l’après-midi, il fait 38° ! Je demande : « c’est quoi ce truc ? » Le guide m’explique alors qu’un feu est allumé et que c’est sa fumée, blanche, qui dessine ces brumes…

J’ai reposé le pied sur la terre maternelle, et mon corps a frémi. Pouvant sentir l’humus de Séquane[4] alanguie, je me suis alanguie à mon tour. Dans mon cœur, une île irradiant à mon âme flotte encore et flottera toujours. J’ai compris. Il n’y a rien à dire, qu’être là simplement et dans le clair-obscur d’un soir sur la dérive écouter le murmure des Féminins vivants.

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Octobre 2018 © Sylvie Verchère Merle

A lire :

  • Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel
  • Florence Quentin, Vivante Egypte, DDB
  • Nadine Guilhou, Mythologie égyptienne, Poche Marabout
  • Christiane Desroches Noblecourt, La Reine mystérieuse, Hatshepsout, Pygmalion

 

[1] Extrait du papyrus hiératique 3049 de Berlin

[2] Toutankhamon, Exposition Paris mars 2019. Ouvrage à paraître Florence Quentin, février 2019.

[3] Maison de naissance

[4] Séquana est la déesse du fleuve Seine

Écho et Narcisse, le mythe de la perversion narcissique et de sa victime

EchoOn raconte qu’une nymphe du nom de Liriope, fut violée par le dieu fleuve Céphise. Elle en conçut un fils. Lorsque l’enfant fut né il se révéla d’une beauté qui dépassait tout ce que l’on avait pu voir jusque-là. Elle alla questionner Tirésias le devin aveugle, qui lui-même avait trois filles, Manto, Historia et Daphné. Elle lui demanda si son enfant allait atteindre un âge avancé. Le devin lu répondit qu’il le pourrait tant qu’il ne se connaitrait pas.

L’enfant grandit et « Sa beauté était si grande que toutes les filles rêvaient de lui appartenir, mais il n’en regardait aucune[1]. »

Pendant ce temps-là dans l’Olympe Zeuz tendait de séduire quelques nymphes et Hera, très jalouse, cherchait à savoir sur laquelle son volage de dieu mari avait jeté son dévolu. Alors qu’elle parlait avec les nymphes, l’une d’entre elle prénommée Écho fit digression avec son bavardage. Ses comparses se retirèrent et Hera ne fut plus en mesure d’espionner leurs secrets. Elle en éprouva une vive colère et s’en prit à Écho. « Elle la condamna à ne plus pouvoir se servir de sa langue que pour répéter ce qui lui était dit ; “Tu auras toujours le dernier mot, mais jamais plus tu ne parleras la première[2]”. »

Ce fut un châtiment cruel pour Écho, car elle était éperdument amoureuse de Narcisse et ne pourra le lui dire. Elle se mit à le suivre partout, sans jamais pouvoir lui parler. Un jour, cependant, alors qu’il appelait ses compagnons,  il dit « L’un de vous est-il ici ? » et Écho répondit « Ici – ici ! ». Comme il ne savait pas que c’était elle qui répondait, il dit « Viens ». Elle répondit encore « Viens ! » et cet écho enchantait Écho car il évoquait ce qu’elle rêvait secrètement de pouvoir lui dire. Elle sortit de la pénombre des bois et lui tendit les bras. Mais Narcisse qui ne connaissait pas l’amour « se détourna d’elle avec dégoût : « pas cela, je mourrai avant que je te donne pouvoir sur moi » et s’enfuit. Écho, effondrée répéta «  je te donne pouvoir sur moi ! » Détruite, elle s’enfuit dans une grotte et ne se consola jamais. Il ne reste d’elle que l’écho de sa voix. Narcisse de son côté, se moquait toujours de l’amour. Nemésis la grande déesse de la juste colère, ne pouvant plus supporter tant d’affront à l’amour fit que Narcisse parvint sur le bord d’un point d’eau, un lac disent certains, une fontaine disent les autres. Il y aperçut son image et tomba amoureux de lui – même, à tel point qu’il ne pouvait plus détacher son regard de la forme dans le reflet. «  Je brule d’amour  pour moi – même – et cependant, comment pourrais – je approcher cette beauté que je vois se refléter dans l’eau ? Mais je ne peux m’en éloigner. Seule la mort m’en délivrera. » et il en fut ainsi. Perpétuellement penché sur l’eau limpide, ne se lassant pas de regarder sa propre ressemblance, il languit et dépérit. On dit que lorsque l’ombre de la mort de Narcisse traversa la rivière qui encercle le monde des morts, elle se pencha par-dessus le bord de la barque pour entrevoir une dernière fois son reflet dans l’eau. Une fleur  naquit de la mort du bel adolescent[3]. »

[1] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 108.

[2] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 108.

[3] Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997, p 110.

Ce qui parait être un détail de l’histoire est en réalité l’élément déclencheur du drame. Narcisse est le fils de la nymphe Liriope, violée par le dieu fleuve Céphise, or de nombreux mythes dramatiques commencent par une blessure du féminin. C’est son oubli, sa désacralisation, son non-respect, sa blessure qui engendre la malédiction du monde. La tentative est flagrante dans celui d’Apollon et Daphné, pour se protéger des agressions d’Apollon Daphné ne vit pas Féminin, mais Laurier, c’est une regression. Il en est ainsi de Vénus dans le conte d’Éros et de Psyché, Elle n’est plus honorée comme Elle devrait l’être. Les humains la délaisse, délaisse la part divine du féminin pour se tourner vers un féminin désacrAppolon Daphnéalisé. Ce n’est plus pour Vénus mais pour Psyché qu’ils rendent le culte, qu’ils portaient la main droite à la bouche, en croisant l’index avec le pouce, absolument dans la forme l’adoration sacramentelle du culte de Venus elle-même. À tel point que les sacrifices s’arrêtent, les temples se dégradent, l’herbe croît dans les sanctuaires. Plus de cérémonies, plus de guirlandes aux statues : une cendre froide déshonore les autels désormais vides d’offrandes. C’est à la jeune fille que s’adressent les prières, c’est sous ses traits mortels qu’une divinité puissante est adorée.

De l’autre côté du monde, la déesse japonaise,  Amaterasu, est destituée par Suzanno, son frère. Celui – ci ayant hérité de son père le royaume de la terre est jaloux de sa sœur qui a hérité du ciel. Il détruit ses rizières, casse ses métiers à tisser, « chie » sur son trône et lui « balance » par le toit un cheval éventré, qui en tombant sur la Dame, la blesse entre les jambes. Le féminin est évincé de toutes ces prérogatives et blessé dans sa fonction créative même, le monde devient stérile.

Un autre mythe très célèbre dans les pays celtes nous parle aussi du féminin outragé, engendrant une colère de la déesse, puis des désastres. Il s’agit du conte gallois deblodeuwwedd Blodeuwedd[1] : le roi Math doit garder ses pieds sans le giron d’une vierge. Or celle – ci est violée par ses neveux. Elle ne peut donc plus remplir ce rôle. Il fait appel à sa propre sœur la déesse Arianrhod qui dit être vierge (et nous pouvons la croire). Cependant le druide l’oblige à sauter sur sa baguette magique et ce geste, par son symbole, est l’image d’un viol, « Ce viol, conquête sexuelle/guerrière étant l’acte symbolique de désacralisation du féminin[2]. »

Cette blessure d’origine engendre les conséquences funestes et contamine tout et tous. Un fait, un vécu extérieur, comme intérieur se transmet et s’hérite, nous ne sommes plus innocents de l’impact de l’inconscient collectif et transgénérationnel. Dans son ouvrage Aïe mes aïeux[3] Anne Ancelin Schutzenberger expose de nombreux cas d’observation de l’héritage psychologique et psychique des traumatismes. Quant au professeur Marcus Pembrey[4], il  démontre l’effet des traumatismes sur le génome, via l’épigénétique. Ses études sur des personnes ayant vécu des stress majeurs, comme des militaires, des enfants exposés à des situations dramatiques, des victimes de catastrophes naturelles, ou de guerres comparées à des personnes ne les ayant pas vécu, attestent que des modifications épigénétiques affectent le fonctionnement des gènes sans passer par des modifications de leur séquence ADN et auraient pour cible certains gènes impliqués entre autres dans la gestion du stress, la réactivité aux évènements ou la régulation des émotions : Le Mal est en marche.

Que se passe-t-il pour le féminin dans ce cas sur le plan psychique, sur le plan spirituel, divin ? « Le principe féminin, sous la forme de la Princesse, la Bien-Aimée, réduite à l’état de portrait et reléguée au cabinet noir, se venge en se tournant contre la fonction transcendante, le processus de passage  à la conscience, le développement vers l’individuation, et cela est pire que si elle s’attaquait directement au conscient[5]. » La déesse devient « méchante ».

mechante sorcièreLe mot méchant vient de l’ancien français mescheance, du verbe échoir et indique une « mauvaise chute ». Cela nous éclaire un peu plus sur la « méchanceté » des déesses, qui blessées, agressées deviennent de « méchantes sorcières », car elles ont fait une mauvaise chute. La chute du féminin est un thème omniprésent en mythologie. Nous avons vu que Venus dans Psyché et Eros est méchante car elle n’est plus vénérée comme Elle le devrait. Nous avons vu qu’Arianrhod, violée ne peut pas reconnaître ses fils, spoliée par le masculin. Dans d’autres mythes, les déesses sont souvent délaissées, dès le début le dieu aimé se fourvoie à courir le guilledou. Elles ne sont pas aimées, c’est le contexte dans lequel se produit la chute. Dans La Courtise d’Étaine[6], Fuamach la femme de Midir, n’est pas assise sur le trône, elle n’est pas regardée dans sa légitime beauté, elle en devient jalouse et « méchante ». C’est elle qui provoquera la chute d’Étaine, la transformant en mouche (chute de fonction). D’un coup de baguette magique, cet instrument phallique, animus, est bien l’outil préféré des mères « méchantes » qui, n’expérimentant pas la joie et la plénitude d’être femme, se vengent sur leurs enfants  par des mots destructeurs et réducteurs.

Dans le mythe de Narcisse la situation est la même, Liriope est violée, puis Zeus, au lieu de partager l’amour avec Héra, folâtre. Héra en est jalouse, méchante et cherche à se venger, « car ce qui est délaissé se venge[7]. » Ici commence le drame, « Ce qui reste ignoré et ne devrait pas l’être, nous trouble, puis nous torture et enfin nous agite[8]. »

Quoiqu’il en soit, si comme Alice Miller[9] nous pouvons mettre une histoire sur l’enfance des névrosés, y compris des plus terrifiants[10], ou comme Gregory Bateson[11] sur l’enfance des schizophrènes, il en va de même sur l’enfance des pervers narcissique et de leurs victimes. Dans cette histoire la mère, ou la figure, qui sert de fonction maternelle, joue un rôle majeur. L’enfant est « chosifié » : « Assez souvent, le pervers destructeur fut un enfant adulé par la mère, avec un père peu présent. Cet “enfant-roi” n’a toutefois jamais été reconnu en tant que personne. Au contraire, il a été victime d’investissements narcissiques importants – trop importants – de la part d’un parent abusif[12]. » Les choses nous appartiennent, comme les objets, nous pouvons les investir de toutes nos projections, les faire « nôtres », les investir, cela veut dire les « prendre », nous avons le pouvoir sur elles, de les chérir ou de les brûler. Peut-il en être de même avec les êtres humains sans rentrer dans un schéma « incestuel » ? Saverio Tomasella en citant Paul-Claude Racamier parle ainsi de l’incestuel : «  l’inceste ne se borne pas à la pratique génitale, il a des équivalents : “L’incestuel sera ce qui, dans la vie psychique individuelle et familiale, porte l’empreinte de l’inceste sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitale”[13]. » Il précise que « La mère et son enfant sont “ligaturés” par une séduction qui n’en finit pas : “Ensemble nous formons, à tous égards, un être unique, inimitable, insurmontable et parfait[14]”. » L’autre, l’enfant, n’a pas son mot à dire, son individualité à proposer, à développer, il sera ce que l’on projette sur lui, il est investi de l’adulte, envoûté, pénétré « les manipulateurs ont une relation malsaine et pathologique avec leur parent du sexe opposé[15] ». Ne réussissant  pas, ne pouvant pas s’en dépêtrer, porteur de la projection narcissique de l’autre, l’enfant n’intègre qu’un mode de relation au monde, la séduction : « La séduction est leur première arme[16]. » et la destruction : Narcisse est beau et tout le monde l’aime … en vain ….

Ainsi, ce personnage tant séducteur, si beau, possède deux visages, « Le manipulateur est avant tout une personne qui a deux visages : un très sympathique pour l’extérieur et un autre, maussade et cruel, que seule sa victime connaît[17]. » Il est incapable d’aimer, pour lui l’autre n’existe pas en tant que personne, n’est pas respectable en tant que personne bien que « respecter l’autre, c’est le considérer en tant qu’être humain et reconnaître la souffrance qu’on lui inflige[18] ». Il est comme la Reine dans le conte de Blanche Neigemechante reine BN,  «prisonnière d’elle-même par son reflet, elle est vouée à la répétition solitaire de son identité malade, elle se débat en vain dans un enfermement tautologique, comme si chez elle le moi fasciné par sa propre image, ne pouvait entrer en relation ni avec les profondeurs et les émotions et sentiments qui en jaillissent ni avec la nature[19]. »  Dissociés de leur propre nature, ils sont prisonniers d’une image, leur image surinvestie par l’Imago parentale qui dit « tu dois être le plus beau, le plus grand, le plus fort, le plus « tout » car tu es « mon » enfant ! Cette posture ne permet pas le lien d’Éros, l’aller à la rencontre de l’autre, le lien d’amour, cet amour qui « constitue un facteur réellement déterminant dans la destinée et la vie de l’individu du fait que, à nulle autre force pareil, il délivre les vivants de leur limitation au seul égo[20] », c’est une relation de « pouvoir » .

Echo - Copie (2)Écho est vivante, elle parle avec les autres nymphes.  Cette vie jaillissante s’exprime par le verbe car  « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes[21]. » Ce féminin naissant, représente un grand danger pour Narcisse sous le point de vue d’une déesse en colère, il pourrait lui donner une nouvelle naissance, un autre possible, une possible sortie de la bulle narcissique, l’amour pourrait naitre et alors Narcisse pourrait renaitre :  « La mère donne naissance ; l’amoureuse fait renaître[22]. » Cela est inconcevable pour le féminin en colère, dont la violence psychique destructrice, diabolique dénie « la fonction élémentaire, matricielle, archaïque, de solidarité avec son vis-à-vis humain[23]. » Hera ne permet plus à Écho de vivre, mais elle ne la tue pas, elle l’atteint dans une fonction primordiale de son humanité. Pour elle « Ce lieu producteur du langage, où s’élabore notre “Vérité singulière”, est le premier visé et atteint par celui qui nous administre le Mal. La démarche destructrice du pervers vise à casser ce dispositif à produire du sens. Il déclenche ainsi chez sa victime une perte de confiance dans la trouvaille verbale, une méfiance vis – à – vis d’une énonciation spontanée, une “désolation” de la parole par atteinte destructrice du lieu où elle s’organise[24]. »

La nymphe se trouve dans l’état de tout être ayant subi un traumatisme, celui dont la vie a été fauchée en cours de route, d’un seul coup ou peu à peu, dont il ne reste qu’un fil et se sent démuni. Elle n’est pas en possession de tous ses moyens il manque une partie d’elle – même, comme si seule une partie de son cerveau ne fonctionnait plus. Jill Bolte Taylor relate de son expérience d’AVC durant lequel une partie de son cerveau ne fonctionnait pas : « Mon hémisphère gauche me considère comme un individu fragile qui risque fatalement, à un moment ou un autre, de perdre la vie[25]. »

Ne répéter que ce que l’on nous dit, c’est être  un reflet, un mouton, une sorte d’esclave, nous ôte toute authenticité, toute réalité en tant qu’être humain unique tandis que ce que nous « parlons » fait de nous des êtres vivants et uniques,  « on pourrait ajouter, en évoquant la terminologie lacanienne, “ je ne suis pas où je pense”, ni où les autres me pensent, mais “je suis où je parle[26]”. » D’une certaine manière, il ne reste à Écho qu’un filet de voix, un souffle de vie qui cherche à se faire entendre et reconnaître, il ne lui reste que les mots pour le dire, pour tenter de le dire, « le besoin de reconnaissance est si fort que l’être sera tenté de troquer son cœur contre un discours[27]. » Dans l’état où elle se trouve, seule la parole pourrait la délivrer, la parole entendue,  « ce que la victime demande à l’autre, ce n’est pas d’être “bien vue”, mais “bien entendue”[28]. » Écho n’est plus qu’un écho de l’autre, elle n’a plus accès à son âme, à son être, ce lieu « assez profond dans l’âme où il faut choisir entre l’amant et le frère, ou, en langage psychologique, entre un animus positif et objectif à qui il faut se conjoindre, et un animus négatif familial [29]. » Elle n’est pas en mesure de différencier une zyzygie. La vie n’est pas « morte » (qui lui permettrait de renaître), elle est pétrifiée, le Mal est en marche.

Les cycles de la nature nous apprennent que la mort fait partie de la vie, par conséquent la mort n’est pas le Mal, le Mal est « lié au refus ou à l’oubli de l’humanisation[30]. », la pétrification, l’enfermement, la vie palpitante privée d’espace, de liberté, de vis-à-vis,  « Ce sont ces capacités à penser, à vivre sans horreur, à se souvenir sans détresse, à rêver et imaginer la vie, à agir, à être porté vers autrui et à éprouver des sentiments qui sont détruits ou longuement sidérés, pétrifiés33. » Le Mal appartient aux grands criminels et aux tyrans sanguinaires, aux horreurs totalitaires à qui « correspondent notamment à l’idée que les autres sont superflus[31] ». Il est une déshumanisation, lorsque l’on ne reconnait pas l’humain dans l’autre, que l’on ne l’y respecte pas, lorsque l’autre, en face, est devenu une  « chose ». Mais il est tout autant quotidien, individuel, et correspond à « une addition de gestes mécaniques, de petites lâchetés, d’inconsciences diverses[32] » propagé « par ceux qui se contentent de fonctionner, et parfois du mieux possible avec une bonne conscience, y compris malheureusement de temps en temps au service de buts démentiels[33]. » Le Mal ne devient une entité globale et générale que par son accumulation de Mal individuel, il se propage.

Cependant « Il y a, dans la vie psychique, dans la réalité psychique, des lois, des schémas, il y a une nature qu’on ne transgresse pas plus qu’on ne transgresse la nature physique[34]. » Némésis, en grec ancien Νέμεσις est à la fois un concept et la déessenemesis grecque de la juste colère et de la rétribution céleste. Elle est parfois assimilée à la vengeance et à l’équilibre. Le nom de Némésis dérive du verbe grec νέμειν (némeïn), signifiant « répartir équitablement, distribuer ce qui est dû ». Elle est en particulier la fille de Nyx (la nuit) ou fille née sans père d’Ananké, Necessitas, déesse du destin, née en parthénogénèse. Comme il existe le Logos spermaticos et le Logos hystéricos, il se trouve une justice masculine et une justice féminine. La justice masculine est celle que nous connaissons bien, celle des hommes, mais « si l’on en croit les données mythologiques, il existe un autre principe féminin de justice, de vengeance et de châtiment. Je comparerai ce processus au caractère vindicatif de la nature : si, pendant des années, une personne mange à la hâte et sans même prendre le temps de s’asseoir, elle sera punie par des désordres d’estomac. Cela n’a rien à faire avec une législation quelconque, c’est une conséquence naturelle : un comportement incorrect entraîne le malheur et la maladie. La vengeance et la punition ne dépendent donc pas seulement des décisions humaines, mais aussi des conséquences naturelles. Cela est également vrai sur le plan psychologique. Une attitude fausse (pas nécessairement immorale, mais en désaccord avec la nature) est punie par la malchance et la névrose. Bien qu’aucune loi éthique n’ait été enfreinte. Dans la plupart des mythologies primitives, il existe une figure féminine divine de la nature analogue aux déesses grecques Némésis, la vengeance, ou Thémis, la Justice[35]. » Dans le conte d’Éros et de Psyché, Vénus est à la fois la méchante sorcière et la déesse qui réclame justice. 1280px-john_william_waterhouse_-_echo_and_narcissus_-_croppedAvec Narcisse c’est Nemesis qui réclame son dû. Le fils chosifié, beauté suprême du maternel, projection fatale, distordue, perverse, s’aime au lieu d’aimer l’autre. Némésis lui lance un sort, il va se contempler, éprouver l’amour, aller à la rencontre de lui – même, comme chacun de nous peut se retourner vers son âme, aller à la rencontre de soi –même, se confronter avec l’inconscient, « ça voir » et marcher vers l’individuation, mourir à soi – même. C’est encore un détail qui nous éclaire sur la réalité de la fin de l’histoire, Narcisse éprouve et comprend, enfin, la douleur que peuvent ressentir les « autres ». Il ne peut donc que mourir, mourir à lui-même, mourir à ce qu’il était, c’est un mécanisme de métanoïa, ou   d’énantiodromie, de retournement.

narcisse fleurEn définitive l’histoire se termine bien. Elle se termine sur l’éclosion d’une fleur ! « Les fleurs ne sont pas toujours considérées comme les innocentes messagères du printemps : elles sont en effet parfois assimilées au désir de la chair et de l’érotisme en général. […] De façon quasi universelle, la fleur symbolise de toute façon la joie de vivre, celle qui éclate à la fin de l’hiver et qui chante la victoire (ne fut-elle que provisoire) de la vie sur la mort[36]. » Ainsi la fleur est exactement le contraire de Narcisse qui est incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui. Narcisse, ne connait d’Éros que son propre reflet. La fleur, elle, propose une renaissance de l’âme, dans le principe d’Eros, l’amour de l’autre. La fleur offre sa couleur, sa forme, son odeur à autrui, en une célébration de joie. Narcisse, cette perversion du narcissisme, renaît en âme vivante. Cela voudrait –il dire que les êtres atteints de cette distorsion sont capables de « changer » ? Cette lyse n’est semble t-il visible que dans le mythe.

[1] Mabinogi : Math fils de Mathonwy

[2] Françoise Gange, Avant les dieux, la mère universelle, Alphée, 2006, p 115.

[3] Anne Ancelin Schutzenberger, Aïe mes aïeux, DDB, 1993.

[4] Marcus Edred Pembrey est un généticien britannique, professeur émérite de pédiatrie génétique à l’UCL Great Ormond Street Institute of Child Health and Visiting Professor of Paediatric Genetics, de l’université de Bristol. Il a participé en 2005 au programme télévisuel « The Ghost in Your Genes »

[5] Marie Louise von Franz, L’ombre et le mal dans les contes de fées, La Fontaine de pierre, 1980, p 182.

[6] Sylvie Verchère Merle, Le Féminin solaire, Editions du Cygne, 2014.

[7] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 1838.

[8] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 2038-2039.

[9] Alice Miller, L’essentiel d’Alice Miller, Flammarion, 2011.

[10] Alice Miller a étudié l’enfance d’Hitler

[11] Gregory Bateson est un anthropologue, psychologue, épistémologue américain. Il s’est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi aux fondements de la connaissance des phénomènes humains. Il est à l’origine de l’école de Palo Alto. Bateson a en particulier introduit une réflexion systémique qui ne veut pas étudier la maladie de manière isolée, mais pose la question des interactions avec l’environnement. C’est notamment le cas observé par son étude, d’identifier le mécanisme de la double contrainte appliquée au domaine de la schizophrénie

[12] Hélène Gest-Drouard, Valérie Guélot, Le décodeur des pervers narcissiques, First Éditions Kindle, 2016, Emplacements 247 – 249.

[13] Saverio Tomasella,  La Perversion, Eyrolles Kindle, 2010, emplacement  836-841.

[14] Saverio Tomasella,  La Perversion, Eyrolles Kindle, 2010, emplacement  846-848.

[15] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 277.

[16] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 210.

[17] Critel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, Kindle, emplacement 192 – 193.

[18] Hélène Gest-Drouard, Valérie Guélot, Le décodeur des pervers narcissiques, First Éditions Kindle, 2016, Emplacement 135.

[19] Bernard Lempert, Désamour, du Seuil, 1994, p 39.

[20] Marie Louise von Franz, Reflets de l’âme, Entrelacs, 2011, p 183.

[21] Évangile selon Jean, chapitre 1

[22] Bernard Lempert, Le tueur sur un canapé jaune, Seuil, Kindle, emplacement  4564.

[23] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 56.

[24] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 39.

[25] Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau, Lattès, Kindle, 2008, p 206.

[26] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 38.

[27] Bernard Lempert, Désamour, du Seuil, 1994, p 124.

[28] Yves Prigent, La cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer, 2003, p 48.

[29] Michel Cazenave, La subversion de l’âme, Seghers, 1961, p 64.

[30] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 746-747.

[31] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 749-751.

[32] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 239-240.

[33] Bertrand de la Vayssière, Les énergies du mal en psychothérapie jungienne, Éd du Dauphin, Kindle, emplacements 234-235.

[34] Élie Georges Humbert, La dimension d’aimer : six conférences 1983-85, Cahiers jungiens de psychanalyse Kindle, emplacement 717-718.

[35] Marie Louise von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 77.

[36] Encyclopédie des Symboles, Livre de poche, 1989, P 265.

La vallée de l’âme !

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Photo Didier Verchère

À force de confrontation à notre monde intérieur, nous arrivons peu à peu, à donner le nom d’Ombre à nos obscurités les plus flagrantes, celles que l’on parvient avec force humilité à reconnaître. S’il est assez identifiable dans les rêves, il nous arrive aussi parfois de saisir le « Logos », ce fameux Logos maître du monde contemporain. Il arrive même de surprendre dans la trame d’un voyage onirique l’Image d’une dynamique d’un Soi qui semble inaccessible. Nous savons de quelques façons sentir frémir en soi l’Esprit qui souffle. Mais nous sommes vite désemparés devant ce flot d’émotions, de sentiments, d’humeurs, de désespoirs, de pleurs, et tout autant de joies, de tremblements, de surprises qui « vivent » quelque part et en même temps coulent dans notre sang sans être notre sang. Je parle de ces émotions qui font frissonner la peau, nous rendent plus légers ou plus lourds. Je parle de ces boules qui montent dans le cœur, des frissons de joie, des frissons de peurs … Où se trouvent « cela » ? Par évidence cela n’est pas que dans le corps, mais quelque part entre la matière et l’esprit. Jung, parce qu’il est homme, a clairement défini cette part de la psyché des hommes qu’il a nommé Anima, cette « Âme » féminine qui s’agit dans son inconscient avec ses humeurs, ses caprices, ses tendances au leurre, mais aussi ses sentiments, ses émotions  qui le bouleverse, le surprenne, prennent possession de lui ou l’inspirent telle les Muses des anciennes croyances. L’Anima, autre chose que l’Ombre et pourtant bien souvent main dans la main l’un de l’autre. Pour les femmes Jung a parlé d’Animus, cette part masculine de la psyché. Nous avons donc une Ombre, Animus et le Soi sans compter toutes les branches et ramifications qui s’y rattachent.

Mais quelle est cette partie en moi, à qui je parle depuis toujours comme une alter égo, qui me12662580_1115185048492905_9033997112179643468_n fait pleurer, souffrir, aimer, danser, rire, qui est comme intrinsèquement tissée à ma chair, comme une robe imprimée dans mon sang. Ce féminin, mis  à l’écart du monde depuis si longtemps est devenu très difficile à approcher dans le monde de la psyché. Pourtant il est là, présent à chaque instant, vivant à chacun de nos souffles. Ce que vous, les hommes, avez sous forme d’Anima, nous, femmes, appelons ça le Féminin en soi. Anima, très proche de la conscience des femmes et plongée dans les méandres de l’inconscient chez l’homme qui comme la décrit parfaitement James Hillman est cette  VALLÉE  au pied des pentes abruptes des MONTS de l’Esprit. L’Esprit dans notre monde « logotisé », nous connaissons, nous le guettons sans cesse, à force de centration, de méditation, de verbe et de silence. L’Âme est dénigrée, écartée, négligée.  Cette Âme « Érotique »  se complaît dans les méandres de sa nature, la chair, la peau, l’odeur, les courbes, les méandres, le chant, la poésie, le sentiment, l’émotion. Elle est chevillée à notre incarnation, aspire à s’émouvoir dans ce qui fait que nous nous sentons « vivants » parce que là nous expérimentons la vie. Je ne pourrais jamais aussi bien décrire la nature de l’âme que James Hillman dans son ouvrage La beauté de Psyché et je ne m’y aventurerai pas, mais ce que je souhaite écrire c’est la complète compréhension que j’ai de ses écrits si j’en projette les Images sur ma vie de femme, mon expérience de femme. Et tenter de l’écrire avec les mots de l’âme …

waterhouse_psyche-boiteÀ force de gravir la montagne nous nous sommes éloignés des vallées, nous nous retrouvons seuls sur les chemins de la quête d’un Autre que nous-même. Nous avons délaissé les rivières et les prairies, les marécages et les chemins creux du fond de la vallée. Nous ne marchons plus pieds nus sur la terre sacrée, nous avançons chaussés de bottes sur les pans des Monts. Nous voulons être acétiques, purs, blancs, transparents… vides.  La vie se trouve dans la vallée. La vie c’est faire frémir un chant, c’est ce que l’âme demande. La vie c’est extirper du noir la palette infinie des couleurs de l’aurore. Ne pas chercher un Autre, mais nous trouver nous – même passe par la vallée. C’est dans la vallée que nous verrons les marécages les plus sombres, la vallée de larmes, mais c’est dans la vallée que nous trouverons les fleurs les plus exquises, les odeurs les plus douces. Les vallées de l’Âme sont les chemins creux de notre incarnation. Si nous devions juste escalader les montagnes nous serions nés chamois, isards, aigles des montagnes. Nous sommes nés humains avec toute la panoplie qui nous blesse, nous alourdit, nous touche, nous émeut, nous fait frémir, nous fait trembler. Vivre c’est laisser émerger notre âme dans l’incarnation. Écouter son chant, tel une Image, un son, un goût, et le suivre sur les sentiers tortueux de son attente, c’est réaliser ce que l’on est soi-même, en laissant les branchages vieillis, comme des feuilles mortes, tomber sur le chemin, ramasser les fleurs fraîches et suaves qui éclosent à nos pleurs, nos chants, nos amours.  Vivre c’est oser explorer ces possibles,  sans frayeurs, totalement, de tout son être, profondément, sans butiner, sans folâtrer, en ouvrant grandement ses poumons et son cœur. Alors les pieds ancrés dans le sable des berges, debout, nous pouvons lever le regard et pointer aux sommets des monts qui lancent leurs cimes. C’est le pic le plus haut et le plus audacieux qui se mire, ici et maintenant, dans l’eau du lac, comme des épousailles. La montagne reflète sa longue pointe dressée dans l’eau de la vallée. C’est un reflet,  le reflet dans l’âme, le reflet qui jaillit par nos yeux.

 « Hillman sert l’âme essentiellement en préservant ses manifestations, l’une d’elle étant son désir de se comprendre elle-même. La psyché réclamant le logos[1] »

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Photo Didier Verchère

Voilà le Hierogamos, l’union du mont et de la vallée, du dieu et de la déesse, de l’Animus et de l’Anima, de l’Esprit et de l’Âme, Logos et Éros. Il ne nous reste plus qu’à marcher notre parole, poser par nos pied sur la terre, malaxer cette terre dans nos mains, par le souffle du vent et la caresse des étoiles, incarner cette union. Que Logos souffle le Verbe et fouille la Matière, que Logos pénètre avec infiniment d’amour et de douceur, de vigueur et de désir cette Terre frémissante. Que la sombre vallée de notre âme se trouve fécondée par le mont dressé et le noir devient vert, rouge, bleu, jaune. La vallée geint, pleure, implore, rêve, imagine, contient en son sein tous les possibles, les promesses, toutes les graines et toutes les racines.  Il suffit d’un vouloir, d’un geste, d’un mot, d’un baiser …

Et Hillman de nous donner les clés du langage de l’âme, ces aspirations à la beauté (non esthétique mais sacrée) ces mots poèmes, ses Images vivantes, son besoin d’eau et de lumière, sa présence immanente en nous et autour de nous, à chaque instant, dans chaque larme, dans chaque rire, dans chaque courbe des collines.

« La beauté de Psyché », James Hillman, Le Jour éditeur.

[1] Introduction de Thomas Moore, James Hillman, La beauté de Psyché, Le Jour éditeur, 1993, p 244

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Éros et Psyché : la femme et son Animus sur le chemin de l’individuation

Lire le conte d’Éros et Psyché 

« L’âme a besoin d’ailes pour s’élever au – dessus des contraintes qui l’enchaînent et pour voir l’horizon. Pour que le psychisme s’unisse légitimement au principe créateur d’Éros et délivre le sacré qu’il porte en lui[1] … »

Rêve d’une femme :

Un grand personnage masculin avec des ailes m’emmène devant une maison aux fenêtres artificielles. Pendant que je parle avec un jeune enfant assis dans une flaque d’eau et tenant un serpent – qui me dit être le gardien du silence –  le personnage essaie de passer la porte de la maison, mais se heurte violemment. Il se jette dessus comme un forcené et retombe à chaque fois par terre, blessé. Je ne supporte pas de le voir comme ça, je rentre dans la maison et lui montre que moi je peux rentrer dedans. Un homme sort de la maison. Pendant que j’embrasse cet homme l’ange saute d’un bond sur le toit et jette le feu dans la cheminée. La maison prend feu.

erosComment ne pas reconnaître Éros dans cet « Ange » magnifique, qui préside aux baisers et mets le feu dans la maison ? Comment ne pas penser à cette prière, que la rêveuse ne connait pas, mais que les êtres humains adressaient à ce dieu dans l’antiquité ?

« Je t’invoque, Origine de tout devenir, qui étends tes ailes sur le monde entier, Toi l’inapprochable, l’infini, qui inspires des pensées de vie à toute âme, qui a relié toutes choses par ton pouvoir. Premier né, créateur de l’univers, aux ailes d’or, être sombre, toi qui voiles les pensées toutes raisonnables et inspires de sombres passions, toi qui vit secrètement dans toutes les âmes, tu crées le feu invisible, touchant tout être animé, le torturant infatigablement de plaisirs et de délices douloureux, depuis que l’univers a existé. Tu entraines la souffrance par ta présence, toi, parfois raisonnable et parfois insensé, toi pour qui les hommes violent leurs devoirs par des entreprises hardies, toi le sombre. Toi le dernier –né, le sans lois, le sans merci, l’inexorable, l’invisible générateur des passions, archer, porteur de torche, seigneur de toute perception spirituelle et de toutes les choses cachées, Seigneur du silence, par qui luit toute lumière, jeune enfant quand tu es dans le cœur[2] …. »

Voilà comment les dieux anciens vivent encore au sein de nos psychés. Encore devons-nous savoir les y débusquer et leur redonner leur juste nature. Éros n’est pas le dieu de la lascivité, de la sexualité bestiale et aveugle. Il n’est pas même le dieu de l’amour. Il est le dieu de l’Amour, qui relie le sentiment et le désir, le corps et l’âme. Il est l’amour en Soi, entre nos pôles masculin / féminin, l’Amour de l’Anima, l’amour pour l’Animus, l’Amour du Soi pour l’âme qui « s’agit » en nous. Marie Louise von Franz le décrit comme « psychologiquement un symbole du Soi.[3] » Elle rajoute «  Éros est le Soi[4] envisagé sous l’aspect de source de toute inspiration créatrice, de vitalité : il est la capacité de se laisser émouvoir ; il donne le sentiment que la vie a un sens[5]. » De con côté James Hillman dit que ce dieu « nous conduit aux archétypes dissimulés derrière les modèles et nous fait jouer à divers mythes » et que «  Cette conscience mythique et ces rôles qu’Éros nous fait jouer sont directement le fruit de l’activité créatrice du psychisme[6]. » C’est dire l’attention que nous devrions porter à cet Archétype, le contempler dans ses Images et le porter dans nos vies comme un bijou venu de fin fond des entrailles du monde. D’ailleurs Éros n’est-il pas fils du chaos, sombre réceptacle mouvant – « chaos et création sont inséparables[7] » – où se trouve le Bijou ? Éros n‘est-il pas ce bijou ? Nous connaissons les contes où le héros doit combattre le serpent, ou le dragon, pour aller chercher la Pierre sur son front, Éros n’est –il pas ce Caillou ? Il est intriguant de savoir que dans le conte d’Éros et de Psyché, les sœurs de celles-ci lui décrivent son amant comme un serpent, que dans le rêve se trouve un enfant, qui joue avec un serpent ? N’est-il pas intriguant le lien que nous pouvons faire entre le Soi et la Pierre, le Bijou ?  La grande quête, ce que Jung appelle l’individuation, n’est-elle pas cette recherche du Bijou intérieur, en quelque sorte la rencontre avec Éros ? Si tel est le cas nous pouvons avec James Hillman considérer que le mythe d’Éros et de Psyché est le mythe primordial de la psychologie analytique[8].

Sa particularité réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’un héros en quête d’un Bijou dans le ventre d’un dragon serpent, mais de la quête douloureuse d’un Féminin vers son Amour. Les analyses que nous pouvons trouver prennent l’angle de l’Anima masculine, cependant l’écho réel des symboles exprimés avec un vécu de femme nous permet aussi de l’aborder sous un angle Féminin / Animus, d’une psyché de femme en quête de son Animus.

S’il n’est pas imaginable de faire ici l’analyse détaillée du mythe nous pouvons en dégager les grandes lignes. Il y a féminin et féminin. Celui des sœurs et du contexte humain dans lequel nait Psyché. Elles sont querelleuses, jalouses, cancanières, agressives, menteuses. Elles râlent, ordonnent, espionnent. Ce sont des féminins dénudés de leur nature première, que possède Psyché. Psyché a hérité de la beauté des dieux, elle surpasse la renommée de Vénus. Il ne s’agit pas de beauté esthétique mais de beauté sacrée, de la nature même du féminin quand il peut exprimer son essence. Parce qu’il n’y a pas de place pour ce féminin-là dans le monde des hommes Psyché ne trouve pas à se marier. Sans doute les hommes veulent des femmes aux couleurs de leur âme, à l’image de ces sœurs qui elles ont trouvées mari et fortune. Rejetée, bannie, Psyché est envoyée sur un rocher, au milieu de l’océan, c’est-à-dire au fin fond de l’inconscient. Plus de féminin dans sa beauté naturelle pour ce monde ici-bas, ni par les femmes, ni par l’Anima des hommes.

Le seul Amant possible pour Psyché c’est un « monstre », qui ne la visite que la nuit, et la fait vivre dans un royaume merveilleux à condition qu’elle ne voit pas son visage.

Voilà une situation bien ancrée, de ces femmes qui rêve le masculin idéalisé. Le prince charmant se cache dans ces rêves, mais le féminin ne vit pas, ne porte pas de fruit, il vit seul le jour ; il sait juste qu’il est aimé la nuit, c’est à dire dans l’inconscient. Après les femmes aigries, voici les femmes qui vivent dans leurs rêves.

À quoi peut bien ressembler ce masculin qui  m‘est si étranger si je le regarde à la jpg_Image_Psychelumière  de ma conscience ? Il ressemble à un dieu ! Il est Éros. Si la femme découvre la beauté du dieu qui vit en elle, elle ne peut que faillir, tomber en Amour et de surprise, de passion, laisser tomber l’huile qui brûle. Ce masculin qui ne peut s’exprimer que dans l’ombre des songes, surpris, blessé, s’enfuit … Chez sa mère ! Éros se fuyant lui-même, fuyant Psyché, fuyant la rencontre, la relation, va chercher refuge chez maman, où « il subit la domination de sa mère Penia[9], le manque[10] », comme un petit garçon. Cette mère qui va le malmener, le rendre pauvre, frustré ! Jusqu’à ce qu’il prenne lui-même conscience que Psyché a besoin de lui et qu’il a besoin d’elle. Ce passage est très intéressant. Voilà un Soi immature dont le réflexe, n’est pas celui du héros mais de l’enfant qui va se faire « remonter les bretelles » par sa mère. Vu sous l’angle du Soi ou de l’Animus, de nombreuses femmes pourront s’y reconnaître, car un appel se fait de l’intérieur de se trouver soi-même, un éveil se profile mais une petite voix dit « non ce n’est pas la peine, non tu ne dois pas faire ça, non une femme ça se tait ou ça hurle, ce n’est pas grave si tu as envie de chanter et que tu ne le fais pas ! » C’est la mère castratrice qui a récupéré son Animus de fils pour le sermonner et Psyché de sombrer dans le désespoir, la dépression, la nuit noire de l’âme. Il y a de nombreuses tentatives de ce genre dans la vie d’une femme, les rêves en sont témoins, les expériences aussi. Les mots des femmes qui parlent de ces passages sont clairs. « J’ai envie faire une chose, mais je me dis que ce n’est pas la peine », « je me dis que ce n’est pas grave, que je peux supporter ceci ou cela ! ». Pendant ce temps son Bel Animus vit un calvaire au plus profond de sa psyché. Pendant ce temps là un autre Animus a pris la relève et invective.

Mais une fois entrevu le visage du dieu, le Féminin est amoureux et commence la quête !

Si les héros ont toujours à combattre, des dragons, des serpents, des chevaliers noirs, les héroïnes, elles, ont à faire, à supporter, à cheminer, à tisser et retisser, pleurer, se faire attacher, se faire brûler les ailes … Psyché est un modèle typique du parcours féminin vers l’individuation. Il est pour nous d’une grande valeur dans la compréhension de nos souffrances. Les femmes les affrontent de plein fouet, les hommes doivent savoir que s’ils sont chez maman en train de se faire régenter c’est leur Anima qui fera le parcours des 4 corvées.

Trier le blé : La patience et le tri dans les sentiments, la découverte de ce qui fait notre âme et notre nature féminine. Sans ce travail nous ne savons pas écouter Animus qui nous accompagne dans ce qui est bon pour nous et comment le dire. Pour Anima il s’agit trier les sentiments et les leurres. Se faire aider par les fourmis.

Récupérer la toison des béliers : L’apprentissage lent et méticuleux de la confrontation avec nos émotions, nos pulsions. Sans ce travail nous pouvons brûler et blesser l’Autre, devenir irrévérencieuse, coupante, tranchante, « castratrice ». Écouter le chant du roseau.

Remplir notre vase à l’eau du Styx : Prendre avec soi la part qui nous incombe, notre destin, mettre en œuvre notre nature féminine. Se faire aider d’un aigle.

waterhouse_psyche-boiteEt le plus dur : ramener la boite de beauté à Vénus sans l’ouvrir ! Ou en l’ouvrant, car en fait c’est parce qu’elle ouvre la boite et tombe morte qu’Éros revient, osant enfin vivre sa relation. Que devons – nous faire, ouvrir,  pas ouvrir ? Et que veux dire la boite ? Ce n’est pas n’importe quelle boite, c’est la boite de Beauté de Vénus ! Or Vénus est la déesse de l’amour. Marie Louise von Franz en parle par rapport à la notion de beauté qui n’appartient qu’aux dieux. Il semble que nous pouvons repositionner cette analyse sur un plan plus concret. Le féminin lie par essence la matière et le spirituel, en clair lorsqu’une femme aime vraiment elle ne dissocie pas sa chair de son âme. Cela fait partie de sa nature et l’on retrouve cette qualité dans sa relation avec ses enfants (l’Anima de l’homme fait ça aussi !) Quand on souffre pour ses enfants on dit que l’on souffre aussi dans sa chair. Et c’est Michel Cazenave qui parle le mieux de l’extase au féminin, reliant la chair et l’esprit, « où se traduisent et s’accomplissent à la fois le dialogue, l’échange, le processus de réunification de la créature à l’absolu et son principe[11]. » Or dans son être intérieur il en est de même, dans son rapport au spirituel, au masculin, dans sa psyché la femme aime dans toutes les dimensions. Nous savons que Psyché représente le Féminin non contaminé par la culture et l’ordre disons de la cité. Psyché est donc capable d’amour total, cet amour qui est la beauté de Vénus. Elle se trouve submergée par une énergie qui la dépasse, elle absorbe une qualité qui ne peut être vécue que par un dieu. Elle « dépasse les bornes », Psyché va mourir pour cela, comme une femme peut mourir d’amour, comme une femme peut mourir de la puissance créatrice de son âme si celle-ci n’est pas mise en œuvre. Nous  devons ouvrir la boite, avoir ce courage. C’est le seul moyen d’appeler Éros à notre secours. Nous devons lâcher prise et accepter de regarder bien en face le fond du coffre, notre propre psyché, pour y contempler la beauté des dieux. Seulement et seulement alors Éros quittera le giron de sa mère et sera là pour nous relier à la vie, nous porter le feu de vivre. C’est alors Animus qui nous soufflera à l’oreille le chant de la vie, la route qui est la nôtre, la danse que nous pouvons faire. Alors et alors seulement en nous écoutant nous-même, en nous aimant nous-mêmes nous pourrons faire jaillir la vie autour de nous et c’est bien ce que font les déesses libérées du joug, elles font jaillir les fleurs, couler les ruisseaux, chanter les oiseaux et ces déesses peuvent utiliser le sourire d’une femme, les mains d’une femme,  le parfum d’une femme, ou tout aussi bien murmurer par l’Anima des hommes.

Rêves de femme :

Je suis allongée sur un lit avec Animus, il me serre dans ses bras et me dit « la forêt est belle ! »

Animus me prend les mains et très attentif à ma réponse me dit « tu viendras avec moi à la chasse aux lapins ? »

 

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[1] James Hillman, La beauté de Psyché, l’âme et ses symboles, Le jour éditeur, 1993, p 103.

[2] Papyri Graecae Magiquee op cit Vol 1 p 129 (le Glaive de Dardanos, Prière à Eros)

[3] Marie Louise von Franz, L’âne d’Or, La fontaine de pierre, 1978,  p 174.

[4] Archétype ordonnateur de la psyché humaine dans le sens de sa réalisation totalité de l’être

[5] Marie Louise von Franz, L’âne d’Or, La fontaine de pierre, 1978,  p 127.

[6] James Hillman, La beauté de Psyché, l’âme et ses symboles, Le jour éditeur, 1993, p 108.

[7] James Hillman, La beauté de Psyché, l’âme et ses symboles, Le jour éditeur, 1993, p 107

[8] James Hillman, La beauté de Psyché, l’âme et ses symboles, Le jour éditeur, 1993, p 99.

[9] Déesse grecque de la pauvreté

[10] James Hillman, La beauté de Psyché, l’âme et ses symboles, Le jour éditeur, 1993, p 103.

[11] Michel Cazenave, Visage du Féminin sacré, Entrelacs ; 2012, p 202.