Le mode de perception et de contrôle du monde patriarcal engendrent la phase clé de sa conception : la prise de pouvoir, le rapport de force. Le mode masculin est sorti de son essence première qui est de façonner, de mettre en forme, de percer, de pénétrer tout en restant complice, aimant.
Entré dans ce système le féminin lui-même se meut dans cette essence et joue tout autant les jeux de pouvoirs et les rapports de force. Le Féminin sous-jacent, dans sa nature profonde, blessé, contraint et refoulé s’est transformé en bête terrifiante, en guerrière sanguinaire, en sorcière lubrique ou castratrice. C’est-à-dire que son propre masculin, son animus, est devenu un phallocrate. Il n’est plus le compagnon joyeux créatif de la vie qui est son origine. L’analyse que fait Silvia Di Lorenzo dans son livre La femme et son ombre, du glissement des mouvements féministes vers une guerre de pouvoir, en est révélateur. En quelque sorte il s’agit de s’approprier le pouvoir au détriment de l’autre plutôt que de retrouver les complicités de jeux créatifs et au service de la vie.
La majorité des dieux, dans les mythes et les croyances nous montrent ces masculins poussés à l’extrême de leur force et orientés vers le pouvoir, jusqu’à la guerre, donner la mort pour posséder. C’est une image précise de la « perversion » des valeurs au détriment de la force précieuse et majeure du masculin. Ces dieux sont des colonisateurs, des guerriers, des violeurs. A charge pour eux d’en supporter le poids et la souffrance qui sous-tend à la déformation de leur nature profonde.
Les dieux archaïques et ceux qui sont unis, complices et forts de leur Nature apparaissent ça et là, quelques bribes. Nous pourrions nous attarder sur les anciens dieux Lune, ceux qui sont dans un rapport d’union et d’amour, qui ne font pas la guerre mais construisent des jardins. Les cornus qui percent la nuit pour porter la lumière, qui font et qui défont, qui rythment pour engendrer la vie.
D’autres dieux, plus proches de nous, gardent encore les traces de cette essence divine. Pan lorsqu’il est encore Conseiller sage et bienveillant. Pétri de nature sauvage il n’a pas oublié son appartenance et sa complicité au féminin. C’est lui qui conseille Psyché, lui dit de continuer sur le chemin de l’amour d’Eros au lieu de se suicider dans la rivière. Il n’est pas encore cette image déchue d’un vieillard lubrique que nous lui connaissons. Il ne dissocie pas le charnel de l’âme, l’instinct de la sacralisation. Le corps doit être sauf pour agir l’âme et ce qui la contient, le cœur. Il est cet animus ultime de la femme déployée qui ne la coupe ni de son corps, ni de son aspiration à la complétude. Merlin en est, sans aucun doute, l’héritier direct. Lui qui parle aux animaux, et par quelques entourloupes disloque la tour d’Uther dans une tentative de restauration des lois naturelles.
Plus encore, plus précis, Dionysos est celui qui n’a jamais renié son essence masculine véritable. C’est le dieu qui nous propose la prise de conscience que si nous ne respectons pas Ses lois nous perdrons la tête. Il nous prévient du danger. Ce dieu nous dit qu’un féminin, en soi, non respecté, se transforme en infanticide, en castratrice. Le sort réservé à Penthé en témoigne.
Dionysos porte en lui à la fois les énergies incarnées, la chair, la joie et le plaisir. Les fleurs, le vin et l’ivresse. Il garde leur essence sacrée. Les « détails », les « sentimentalités » féminines ne sont pas pour lui des sensibleries niaises. Lorsque Chloris crée la rose c’est lui qui lui donne son parfum. Cette sensibilité au monde cosmique, environnant et « incarné » fait partie de son cortège. En faire une réalité spirituelle est son pouvoir divin. Dionysos s’unit sans cesse à son anima, il rend fous ceux qui ne le font pas. C’est un dieu cornu, un taureau, un bélier qui produit la poussée magistrale d’un mâle fécondant la matrice féminine spirituelle dans un orgasme sans fin. C’est avec Son insondable mystère qu’il porte haut et fort les magies de son être. Il est le dieu qui passe sans équivoque de la mère à l’épouse. Les représentations de Dionysos et Ariane ne montrent jamais un dieu aux ordres de sa femme, ne montrent jamais, non plus, un dieu avec une parèdre assujétie. Pas de rapport de pouvoir, d’esclave et de maître. Elles montrent un duo, un couple alangui et complice, relié par la magie de l’amour[1]. Sur leur couche il n’y a que des roses et des coupes de vins, des regards et des gestes de reliance[2].
Retrouver le chemin de ces dieux là, nous demande un effort magistral, une cassure, un sacrifice, celui de se trouver au banc d’une société qui ne voit plus que poindre les ondes des compétitions et des guerres de pouvoir. C’est se trouver blessé d’un écart de posture, mais se trouver vivant.
Approcher Dionysos n’est pas une mince affaire, nous pouvons y laisser la raison, devenir « fou ». Mais sans lui nous ne connaîtrons pas les mystères, les transes libératrices, les ivresses fécondes et les chemins de la création.
Peu de dieu ont autant fait parler d’eux, tant il est représentant d’un domaine qui fascine et hypnotise, écho de nos plus profondes aspirations et confrontation avec l’Ombre. Dionysos nous attire car son mystère touche aux couches les plus archaïques de notre aspiration à passer les portes de la perception. Il nous effraie aussi par les excès et les dérives qui nous menacent lorsque nous basculons dans nos propres folies mortifères.
La lecture d’un mythe dans son contexte est toujours une grande révélation sur le sens qu’il porte, celui de Dionysos ne fait pas exception. A travers son histoire, ses cheminements et ses actes nous pouvons suivre le message induit pour la psyché qu’il sous-tend, comprendre et intégrer le sens qu’il nous propose de ses fonctions, de ses réalités et de ses fantasmes. Nous pourrons aisément saisir l’essence même, la quintessence, de ce qui se cache sous l’extase, l’ivresse et la folie dont il est le porteur et le gardien.
Le gardien
Le culte de Dionysos dont les traces nous sont parvenues se situe à la jonction des cultures. Les anciens mythes, les anciennes croyances, ne peuvent pas avoir totalement disparues, comme les archétypes ne peuvent mourir et ne s’accommodent que peu à peu au temps qui les incarnent. Or lorsque se trouvent encore les traces vivantes des anciens dieux, que les nouveaux sont tout juste montés sur les marches de l’Olympe, nous trouvons de ces dieux « troubles », qui tentent par tous les moyens de rééquilibrer le monde.
Nous trouvons de ces figures divines qui mues par leur nature même, essaient sous toutes les formes d’éviter le pire, la bascule dans un extrême et la perversion de la Nature profonde des « choses ». Dionysos est un de ces dieux, un dieu majeur, car il parle des profondeurs psychiques les plus archaïques, les plus fascinantes, les plus « magiques ».
Qu’il fasse partie de ces anciennes croyances refoulées par les nouvelles est attesté dans le fait que dès son enfance, puis tout au long de son parcours, Dionysos est confronté à la non-reconnaissance de sa nature divine. Dans le contexte grec de l’archétype en marche il est clair que la croyance au divin Féminin dans toute sa royauté et en son Fils aimé, avec toutes leurs fonctions, ne sont plus reconnues. C’est ce qui met en souffrance et rend les gens « fous ».
Dionysos est le fils de Zeus et de Sémélé. Zeus, nous le connaissons, est un dieu majeur du monde patriarcal faisant régner sa loi qui, dans la majorité des cas, fait de lui un violeur. Sémélé est d’une toute autre espèce. Si l’origine de son nom semble incertaine, les spécialistes semblent s’accorder sur le fait qu’il est lié à la terre, plus encore, par son origine à la fois indo-européenne et phrygienne il fait part du lien de la Déesse à la nature sacrée de la Terre, de l’Humus. Par conséquent nous pouvons voir Sémélé comme un avatar de l’ancienne Grande Déesse et de son incarnation terrestre. Le détail n’est pas anodin, il fait de Dionysos le fils de la Grande Déesse, toute déchue soit-elle et il saura se souvenir de ça.
Comme dans tous les mythes « retournés » par le patriarcat, l’épouse du Dieu Senex[1], réduite au rôle de « femme de », ne peut que s’offusquer des infidélités de son « mari » et se venge : Héra met en place un stratagème pour détruire Sémélé. Elle lui propose de regarder le dieu Zeus en face, pour être sûre qu’il n’est pas un monstre afin qu’elle soit brûlée par le feu du dieu. Cet épisode n’est pas sans rappeler celui dans le mythe d’Éros et de Psyché où les sœurs de Psyché lui conseillent de regarder à quoi ressemble son monstre d’amant. Si Psyché se retrouve déchue, tombée dans les affres tortueuses de l’amour pour Éros, Sémélé meurt brûlée et se retrouve en enfer : voir les réalités mène aux prises de conscience douloureuses et initiatiques.
Ce féminin blessé ne peut porter ses fruits à maturité, il en ressort des calamités et des douleurs, c’est ainsi que naissent les jumeaux d’Arihanrod, la Grande Déesse galloise, violée par la baguette d’un druide, c’est ainsi que vient au monde Narcisse, fruit du viol de Liriope par Zeus, encore une fois.
Ce dieu Senex qui veut tous les pouvoirs, y compris celui d’enfanter, récupère l’enfant et le porte dans sa cuisse, tout comme il se veut père et mère d’Athéna, façonnant des enfants à sa guise, dans le culte du seul père.
Or, le rôle de Dionysos, la fonction qu’il représente, est de nous rappeler que l’absence de Féminin sacré et de tous les mystères qu’il recèle, mènent à la démence. Cette énergie primitive du Masculin allié au Féminin ne peut être détruite : soit elle est sanctifiée et joue son rôle de reliance avec la magie du Cosmos, nous relie à notre âme, nous laisse éprouver la transe cosmique, soit elle est occultée et se « pervertie », devient dangereuse : elle rend « fou ».
La folie
Dionysos n’est pas le dieu encourageant les excès, la folie meurtrière et la démesure, il est celui qui peut nous en libérer en donnant accès aux portes de la saine folie, de la transe inspiratrice, de l’ivresse sacrée. Tous les personnages qui refusent de le reconnaître deviennent « fous », fous furieux, jusqu’à dépecer leurs propres enfants. C’est la porte ouverte à la cruauté, à l’inhumanité. La fonction archétypale de Dionysos est claire, il nous invite à vivre l’expérience, il nous confronte à cette réalité de l’âme. Coupés de nos élans vitaux, de nos instincts, de notre écoute aux chants de l’âme la plus lointaine, nous perdons la tête. Ce que dit Dionysos c’est que relié au Féminin en soi, au Féminin sacré, nous avons accès aux mystères. Renouant aux sources de l’âme, portant les habits des femmes (tout symboliques qu’ils soient) acceptant cette part de nous-même, sauvage, intuitive, inspiratrice et lui donnant la place de s’exprimer, la place sacrée parmi les dieux de l’Olympe (voir Sémélé), lui offrant notre couronne ( abandonnant le pouvoir de l’égo, de la « loi » patriarcale) comme Dionysos le fait pour Ariane, nous pouvons accéder à ces canaux qui ne sont pas les chemins de l’esprit mais ceux de l’âme (cf James Hillman) : l’émotion, la sensibilité, l’intuition, la tendresse, la créativité, la sensualité (ce que disent les sens) et l’Érotisme (du dieu Éros). Redonner un sens sacré à ces fonctions nous permet de renouer avec l’âme qui alors soutenue par Dionysos porte une couronne de fleurs, danse et chante, se meut, se courbe et parsème le monde de joie.
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Si tel n’est pas le cas, s’ouvrent les portes de la folie démoniaque, orgiaque, destructrice, et Dionysos de nous proposer la tentation, d’y puiser à la source. Qu’allons- nous faire de ce que nous ressentons, sentons, ce à quoi nous vibrons ? Allons-nous le bafouer au risque de tout pervertir ou bien le sanctifier pour en faire une danse ? A notre choix Il portera la démesure et la folie mortifère ou la transe vivante de la joie de vivre.
Dionysos le dieu taureau, le dieu du Féminin
Il ne fait, pour moi, aucun doute que Dionysos est un dieu héritier des dieux archaïques. De par ses cornes de taureaux, ou d’agneau, il est relié aux iconographies classiques des dieux « jardiniers[2] », Taureaux, Béliers. Mais sa nature même, fils et époux, qui guide le Féminin vers sa propre réalisation, monté au ciel (Il ramène sa mère auprès des dieux de l’Olympe et honore Ariane de sa couronne, voir plus bas) en confirme l’hypothèse.
Il est dans de nombreux mythes question du chemin initiatique des hommes, qui demande d’aller de la Mère à l’Épouse, de la Mère à la Femme, de sortir des jupons de « Maman » pour caresser les jupes de L’Alter Ego. De nombreux dieux font ce parcours initiatique, avec plus ou moins de réussite. Éros y arrive après avoir pleuré dans les chambres maternelles en retournant auprès de Psyché, lui redonnant vie. Lleu quant à lui ne réussit pas le test quand moribond dans l’arbre, dépecé et dévoré par la truie il tombe dans le « giron » d’un druide et non dans les bras, le cœur, de Blodeuwedd. Christ n’y parvient pas plus, disant à Marie Madeleine « ne me touche pas » et passant des bras de Sa Mère éplorée au service de Son Père.
Dionysos est différent, car non seulement il est le fils direct de la Grande Déesse, mais dans la version orphique du mythe les Titans coupent Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite, ce qui a tout de l’initiation primitive : cuire dans un chaudron. Il est initié d’emblée. De ce démembrement c’est son cœur qui sera ramassé pour être donné à Zeus. Il est question de cœur, d’âme. Il grandit dans une grotte, une île où il s’imprègne et développe sa Nature « sauvage » de même nature que la Grande Déesse, grande pourvoyeuse de fruits de fleurs, d’animaux.
C’est dans le domaine de Cybèle, manifestation de la Grande Déesse, qu’il est initié aux cycles de la résurrection après la mort, de la gestation interrompue et de la reprise, souterraine et céleste à la fois. C’est ici qu’il est initié aux mystères de la transe et de l’ivresse, ivresse de l’âme et de la chair, physique et métaphysique. En quelque sorte il est initié aux mystères du Féminin par le Féminin lui-même, il se relie avec son âme, il est à la rencontre de son Anima. Lorsque la femme déploie son Anima, son féminin (le double voir P. Solié M. Cazenave), c’est qu’un Animus dionysiaque le lui a révélé, percé, mis au jour. Lorsque l’homme est en prise avec Anima, il fait face à tout ce qui est féminin en lui, il en approche alors les mystères. Il pourra, de cette manière, passer de la mère à l’épouse, de la maman à La femme, et laisser vibrer en lui les cordes sensibles, atteindre la plénitude de son être, la magie de la Vie.
De la mère à l’épouse
A aucun moment Dionysos ne blesse le féminin, le viole, l’enferme dans une tour, lui bloque une porte, l’enferme dans le silence, nous sommes loin des héros guerriers de la mythologie grecque. Mieux, sa mère reléguée aux Enfers, il descend la chercher en plongeant dans un lac, le lac Lerne, en quelque sorte en plongeant dans les strates humides de l’inconscient. Il est attesté que ce plongeon est associé à de nombreux rites initiatiques en Grèce ancienne, liés au passage de l’adolescence à l’âge adulte et nous ne pouvons que constater que sur le plan symbolique, il s’agit d’approcher la mère morte (celle tuée par l’idée patriarcale), et de la « monter au ciel », parmi les dieux, où elle devient immortelle sous le nom de Thyomé. Dans le contexte du mythe Dionysos redonne à la Grande Déesse sa place légitime, de Déesse primordiale, de Féminin Sacré.
Mais Dionysos ne s’arrête pas là, il va chercher l’Épouse. Non pas l’épouse telle qu’elle est conçue dans le monde patriarcal, celle de la raison, il va chercher l’Épouse du cœur. Il va chercher celle qui est blessée, trahie, abandonnée par ce monde patriarcal, Ariane, sur l’île de Naxos. En cadeau d’épousailles, en hommage, Dionysos jette sa couronne dans le ciel (Couronne Boréale) geste qui divinise Ariane. Ce détail est explicite du Roi, du Dieu, du Masculin qui relie sur un plan symbolique et sacré sa couronne, sa royauté, au Féminin aimé. Nous sommes en présence d’un vieux schéma mythique du monde, comme Enki et Ninhursag de Sumer, jusqu’au Roi Celte qui ne peut régner sans la royauté première de la Déesse.
Dionysos se révèle le Grand Dieu qui tend à réparer le Féminin, à le réhabiliter en la femme et en Anima. A ce titre il est un dieu majeur et précieux, particulière guérisseur dans un monde déjà entaché par les schémas patriarcaux de la période grecque.
Il n’est pas possible de conclure cette approche sans parler de l’essence même de la thématique. Il y a dans l’approche spirituelle dont je parle, un lien tenu entre la matière et l’âme, un lien sacré entre la chair et l’âme. Cela induit une expérience particulière de tous les actes qui mettent en œuvre la chair, c’est à dire sentir, goûter, écouter, ressentir, voir et bien évidemment, (il est question de Dionysos), la sexualité. Il est question d’extase, il est question de transe, quand toutes les dimensions sont réunies, la matière, l’esprit et l’âme. Cette expérience tant décrite dans les textes les plus anciens de Sumer ou dans les Chants de l’Inde à la déesse Kali, nous donne une clé pour la lecture de Dionysos. Ces expériences vibratoires qui jaillissent lors de connexions profondes entre la matière et l’âme ouvrent les portes des mystères et de la joie dionysiaques. Il ne suffit pas de s’enivrer, de se défoncer, de se faire vibrer à coups de butoir pour ressentir l’extase, Dionysos nous indique que nous devons y mettre du féminin, de l’âme, c’est l’âme qui donne la vibration ultime et la jonction la dimension sacrée : le Hierogamos. Hors de ce lien, de cette intention, le clivage s’installe et la folie meurtrière nous guette, ne serait ce que le meurtre de l’âme. L’âme esseulée se cloître, s’insurge et l’ombre, sans oxygène, explose de tous les maléfices. Les hystériques du XIXe siècle ne ressemblent-elles pas à des Ménades délirantes ? En acceptant de perdre la tête tout en sanctifiant l’expérience, en se laissant glisser dans la transe sous l’égide du dieu, dont il ne reste qu’un cœur après démembrement, alors nous pouvons faire l’expérience du sacré. En acceptant de perde la tête, entreront dans la danse les deux grands Archétypes que sont Éros et Psyché …
[1] Vieux roi, dans le sens qui n’a pas été renouvelé, ne veut pas laisser sa place.
[2] Voir Figures symboliques du Féminin et du Masculin, S. Verchère M 2019, Du Cygne.
La manière dont nous menons notre vie dépend de ce que nous percevons et comment nous le percevons. Or, ce que nous percevons dépend de ce que nous avons perçu dans notre enfance, comment nous avons été éduqués à percevoir. En ce sens tout est construction psychique, donc illusion. Ces constructions ont un tel impact sur notre comportement qu’elles en deviennent une réalité. Le travail consiste alors à déchirer le voile et à « voir » le réel qui, lui, ne dépend pas de nos constructions mentales, de nos apprentissages faussés, de nos affects manipulés.
Tout véritable travail thérapeutique consiste alors à reforger autrement la perception que nous avons du monde, des affects et des relations. Il s’agit dans un premier temps d’apprendre à regarder le réel qui n’a la plupart du temps pas grand-chose à voir avec la réalité que nous nous sommes construite. Il s’ensuit un séisme de grande amplitude secouant toutes les fondations de notre être, la manière dont nous évaluons les dangers mais aussi les joies, la manière dont nous naviguons et réagissons, la manière dont nous posons nos actes.
La vérité sortant du puits – Jean Léon Gérome
Il arrive un instant, dans le lent processus de réintégration du réel où la vérité, nue, sortant du puits, armée de son fouet, se révèle douloureuse. Elle est accompagnée, dans son dévoilement, d’un sentiment de libération. Le voile intriqué à nos chairs déchire au passage les fibres incarnées, mais l’âme libérée se trouve révélée. C’est l’instant fatidique où la force intérieure doit faire face et seul un moi suffisamment fort peut y survivre. Les énergies en présence ne sont pas les seules projections que nous en faisons (c’est l’autre, c’est le destin, c’est dieu …) mais le réel en mouvance en notre inconscient profond.
Nous ne pouvons pas faire ce travail seul, vivre c’est relier et séparer, vivre est relation. Il nous faut l’âme amie, qui regarde, qui nous reflète l’exact impact et l’exacte construction que nous nous acharnons à croire vraie. Alors sur la margelle du puits nous pouvons nous éveiller, sous l’œil d’un « témoin » bienveillant qui, dans son juste regard, sera pour nous comme un miroir reflétant le réel et notre réelle existence : vivre !
Je vous présente les séminaires voyage d’Anima Mundi auxquels je participe en tant qu’animatrice
Les réservations pour le séminaire à Malte : « sur les traces de la Grande Déesse » sont en ligne
Visite des temples et de l’hypogée, séminaire, ateliers, sur les traces de la Grande Déesse
Je vous parlerai des plus anciennes croyances du monde, de l’évolution de la Figure du Féminin sacré, des rites et de la perception archaïque du Divin
Nous prendrons le temps de confronter nos échos intérieurs aux vestiges extérieurs d’un archétype majeur du Féminin …
Pour des impératifs de réservation, les inscriptions doivent être faites au plus tard le 1 mars 2020.
Il reste des places pour le séminaire « Les chemins mythiques et spirituels de l’Irlande, célébration des feux de Beltaine »
Visite du Centre sacré de l’Irlande, de Tara, de New Grange et Bru na Boinne, célébration des feux de Beltaine, séminaire, ateliers
Je vous parlerai de la spiritualité celtique, des liens tenus qu’elle gardait avec les croyances antérieures, la place prépondérante de la Grande Déesse
Nous célébrerons Beltaine sur le lieu même où cette célébration avait lieu à l’époque celtique, le Centre Mythique et sacré d’Eriu.
Je vous conterai les mythes en faisant le lien archétypal qui s’y rattache…
Pour des impératifs de réservation, les inscriptions seront closes le 15 novembre 20219.
Le chant des oiseaux, la langueur du soleil caressant la peau : c’est le temps de l’été. Avoir cueilli sur un bord de chemin les blés mûrs, les seigles et les triticales, blondes, sèches et poilues. Assise sur une souche, sans mots dire, sans maudire, tresser les tiges, rajuster les plants, assembler les touffes. Bouquet. Ajouter par malice quelques brins de lavande, pour la couleur, pour la senteur, pour la joie exprimée. Tenir le tout ensemble par un ruban au couleur de juillet.
Lorsque le soir tombe et que la nuit s’avance, descendre dans la cave. Vingt mètres carrés. La cave est délestée de ses tonneaux, de ses cuves, elle est vide, en attente, disponible, elle est Virgo. Descendre à petit pas, se mettre en rond. Éteindre les lumières qui sur le front des enfants nous ouvraient le passage. Noir complet. Silence.
C’est un havre, un ventre, c’est une grotte. C’est un ventre de Femme, c’est un Ventre, utérus. Seules les odeurs s’expriment, attisent les esprits, et les présences. Les présences attendent, sages, elles guettent, elles se cherchent et se rencontrent. Nous sommes bien là, nous nous reconnaissons. Apprendre à sentir sans voir, à voir sans yeux.
Du silence émerge les voix mâles, un fil qui se tend, un bourdon. La résonance est forte.
Alors les voix femelles s’élèvent, menues d’abord, fluettes puis de plus en plus fortes. Elles partent à l’assaut, escaladent le fil tendu par les mâles soudés. Elles s’élancent telles les tiges souples des plantes grimpantes, elles se glissent, s’enflent, fleurissent. Elles se tournent et contournent le mat planté, s’accrochent et repartent. Volubiles. Le son se fait vibrant dans la nuit de la terre. La chair tremble, l’âme écoute. Tressaillements et transes. Les voilà en serpent, sifflantes, corolles évasées, toujours, toujours plus haut. Apprendre à se parler, s’écouter, se répondre, sans parler, juste en faisant des sons, des danses de la voix. Jouer avec l’espace, l’écho, la rondeur de la place. Sentir la joie, la profondeur en espace cosmique.
Ô quand le chant s’arrête, il n’y a qu’un espoir, c’est de recommencer.
Animus, comme Anima sont des Figures intérieures totalement inconscientes. La psychosynthèse nome Subpersonnalités ces figures intérieures, comme des personnages vivant en nous, agissant parfois, souvent, à notre place, à l’insu de notre plein gré, normal puisqu’elles sont inconscientes. Nous pouvons concevoir que nous ne sommes pas les mêmes personnes avec les collègues de travail, les amis, la famille, parfois même nous sommes des personnes tellement différentes que l’un de ces protagonistes ne peut imaginer ce que nous sommes dans un autre contexte. Tel responsable d’entreprise, connu pour sa rectitude, son exigence et son autorité peut être sous le toit familial un tout petit enfant obéissant, silencieux, d’accord pour tout. Nous ne choisissons pas d’être comme ci ou comme ça, se sont les différentes facettes de notre personnalité qui s’expriment pour nous. La psychosynthèse nous apprend à en identifier les plus importantes, à nous désidentifier ensuite. Nous ne sommes pas que cela et d’ailleurs serions-nous cela ou bien est-ce un héritage de notre enfance, de notre culture, de nos croyances, de notre éducation ? A prendre de la distance avec ces Subpersonnalités nous finissons par nous retrouver au Centre d’un regard sur les parties de notre être dont nous devenons enfin le « chef d’orchestre », celui qui donne le La, sans plus être manipulé, possédé par ces Figures intérieures.
En psychosynthèse nous avons l’habitude, pour mieux les distancier et les observer de leur donner des noms : le Juge, la pleureuse, la pauvre petite fille, la chieuse, le dictateur, le Sage, la Sorcière, moi j’en ai une que j’appelle « la connasse » …. A nous d’identifier l’instant où ils vont nous mettre en situation impossible ou nous aider à naviguer dans les méandres vitaux, sans jamais cesser de garder la possible distance qui nous garantit la liberté. Je peux choisir l’instant où je fais « ma connasse » quant elle ne portera préjudice ni à l’un, ni à l’autre et surtout pas à moi-même.
En psychologie analytique, Jung a identifié certaines de ces figures, communes à l’ensemble humain : la Persona, l’Ombre, Anima et Animus. Cela n’est pas contradictoire avec la Psychosynthèse mais bien plutôt complémentaire dans la mesure où l’Ombre si elle est commune à tous, comme nous avons tous deux pieds et deux mains, ne sera jamais tout à fait la même pour tous. Certains porteront l’Ombre cruelle, d’autres soumise, comme certains chaussent du 38 et d’autres du 45…
Combiner ces deux approches est très pratique pour mieux appréhender cette figure majeure et particulière qu’est Animus et qui pose beaucoup de questions. Pour faire simple disons qu’Animus est une instance masculine inconsciente, vivante et autonome dans la psyché. Eloignée de la conscience, entachée de l’Ombre, proche de l’inconscient collectif nous ne pouvons pas la saisir en conscience directement, nous devons comprendre le langage de l’âme et dialoguer avec pour prendre le contact. Jung décrit ces Figures réellement comme des entités, comme des êtres intérieurs, différents de ce que notre conscience peut imaginer. Et c’est un fait que par sa nature inconsciente nous ne pouvons le rencontrer d’un seul élan de volonté ou de désir. Entrer en dialogue avec cet Autre monde est aussi compliqué et demande autant d’apprentissage et de codes que de rentrer en contact avec des étrangers, de langues, de mœurs. Encore faut-il aller à sa rencontre et quand il s’agit d’aller à la rencontre de Soi-même, seul le miroir nous montre le chemin. Le miroir, le reflet, ce renvoi, cette projection dont Marie Louise von Franz a même fait le titre d’un de ses plus grands ouvrages : Reflets de l’âme. Ce miroir qui abonde dans les contes et les mythes. Dans ce miroir nous pourrons « voir » bien sûr ce que nous savons déjà de la Persona, celle que nous montrons alentour, mais aussi les ombres et les lumières invisibles au premier abord.
Le meilleur moyen d’aller à la rencontre d’Animus est d’observer les introjections que nous avons faites, comment elles se manifestent en projection. En termes plus clair : à quoi ressemble, qui est vraiment le père, le verbe de la mère ? Quels sont les points communs entre les hommes de notre vie ? Comment désirons-nous ? Comment actons-nous ? Comment nous jugeons-nous ? Comment jugeons-nous ?
A quoi ressemble les hommes dans nos rêves nocturnes ?
James Hillman présente la confrontation à la projection de l’Animus, une histoire d’amour, comme la clé première du chemin de l’évolution de soi-même. (Voir La Beauté de Psyché)
Il arrive un instant où nous nous trouvons confrontée à une sorte de demi-dieu, un héros, un démon, voire un psychopathe. De prise de conscience en dialogue, de compréhension en métamorphose, le chemin sera long jusqu’à la guérison qui de sa souffrance intérieure portera à la transformation vers le passeur, le Roi, le messager, le complice et l’amoureux….
Cet « animal », cet Animus, et Jung le décrit parfaitement bien dans sa force numineuse, est un Archétype relié à l’Âme du Monde. Cela veut dire que le voyage peut nous amener aux tréfonds de l’inconscient collectif là où toutes les femmes sont une, là où préside Animus collectif, et en particulier celui qui maltraite le féminin depuis plusieurs milliers d’années.
Ce que l’on fait à une femme, on le fait à toutes les femmes…
En prenant soin de Soi, en prenant le chemin qui mène vers Animus incarné de notre âme, c’est aussi vers un face à face avec Animus du Cosmos que nous nous dirigeons.
C’est assez simple, si depuis 2000 ans les femmes ont intégré qu’elles sont inférieures et faites pour souffrir, c’est un Animus mortifère qui préside à leurs naissances et souffle par le verbe maternel, la posture paternelle : « c’est ainsi que les choses sont ! » Il ne suffira pas de changer le verbe et la posture qui n’agissent que sur la conscience temporelle, et bien souvent satisfaite d’elle-même, il faut aussi se pencher en dedans, pour « com prendre », je ne peux pas dire pardonner, mais apaiser, oui certes entendre, consoler, apaiser.
C’est parler aux fantômes, libérer les âmes encloses et prisonnières, ce sont les cryptes psychiques qui nous enlisent. Nous ne sommes jamais seuls, des lignées d’humanité nous accompagnent, nous nourrissent, nous inspirent, pour le meilleur ou pour le pire.
Lorsque la confrontation a eu lieu, la com-préhension double, l’acceptation réelle et l’amour véritable, c’est l’expansion de notre conscience qui éclaire un peu plus les ombres inconscientes, nous nous connaissons bien mieux et plus profondément, c’est le parcours, le chemin, ce que Jung comme Assagioli ont nommé l’Individuation, la conquête du Soi.
En Grèce une déesse a développé une adaptation particulière au monde patriarcal qui la soutenait. Artémis, Ἄρτεμις / Ártemis, est la fille de Zeus et de Léto et la sœur jumelle d’Apollon. Pour Platon elle est ρτεμές / artémès, « intègre, sain et sauf ». Il est un fait qu’Artémis peut naître malgré la malédiction d’Héra, malgré le sort elle sera « saine et sauve ». Première à naître elle aidera sa mère à accoucher de son frère Apollon. En ce sens Artémis accompagne la naissance du masculin, d’un Animus qui est de même nature qu’elle-même, un frère jumeau.
D’autres ont rapproché son nom avec ἄρταμος / artamos, « boucher », Artémis est donc aussi « celle qui tue ou qui massacre ». La dichotomie de son nom parle du double profil : celle qui accompagne la vie et celle qui la prend. Voilà une des caractéristiques qui nous rapproche de la Grande Déesse des origines, comme l’écrit Marija Gimbutas « Celle qui donne la vie et celle qui donne la mort sont une même déité[1] » et nous allons voir comme la déesse donne la mort, non pas n’importe comment, ni à n’importe qui, mais dans une dynamique toute particulière, avec une grande force, dans une justice établie et divine, l’Ombre ancestrale de son aïeule.
Certaines versions disent que Zeus se désintéressa de Léto dès qu’il prit connaissance de sa grossesse et qu’elle se retrouva, en quelque sorte, bannie. Il est arrivé la même chose à Nout en Egypte. Ayant eu connaissance de la liaison qu’elle eut avec Geb le dieu de la terre, « Ré entra dans une grande colère et, lorsqu’il apprit qu’elle était enceinte, il lança contre elle une imprécation : il ne tolérerait pas qu’elle accouchât, ni dans les jours ni dans l’année qui suivraient. Or les jours passaient, le terme approchait, l’angoisse de Nout augmentait. Elle chercha où se cacher, mais ne trouva nul endroit où elle eût pu se réfugier et se soustraire, ainsi que sa progéniture attendue, à la vigilance implacable de Rê dont l’œil ne la quittait pas, relayé la nuit par celui tout aussi vigilant de la lune. C’est alors que Thot vint à son secours[2]. »
Zeus et Héra
En Grèce, la version la plus courante est celle d’Héra en colère, « méchante », car jalouse et délaissée par son mari, qui va lancer la malédiction. Elle interdit à Léto d’accoucher sur terre ou sur mer ou encore elle demande à tous les dieux de ne pas l’accueillir. « Désespérée, elle erra, cherchant partout un refuge. Elle vit enfin une parcelle de terre qui flottait sur la mer ; ce fragment n’avait pas de fondation et dérivait de-ci de-là, au gré des vagues. C’était Délios, de toutes les îles la plus exposée au danger et, en outre, rocheuse et stérile. Mais lorsque Léto y mit le pied et demanda asile, l’îlot l’accueillit avec joie et, dans le même instant, quatre solides piliers surgirent du fond de la mer et la maintinrent à jamais fermement ancrée[3]. » Il est intéressant de voir que l’île n’est pas ancrée et stérile tant qu’aucune présence divine ne se pose sur son sol. De voir aussi comme elle est exposée au danger, tant que la Vie ne se propose pas, elle est comme un possible, un rêve, une promesse mais pourrait à chaque instant disparaître ou se dissoudre. Par contre, il suffit d’une
Léto, Apollon et Artémis
déesse prête à enfanter pour que non seulement elle fasse son ancrage et que « quatre piliers la maintiennent. » Comme dans les rêves, chaque détail compte et l’ancrage se matérialise par un symbole de projet d’incarnation car enfin, c’est dans l’inconscient que se prépare la conscience. Il est même rajouté parfois que Poséidon pose une voûte liquide afin de soustraire la mère et ses enfants du regard des dieux et en particulier d’Héra. Une île au milieu de l’océan protégée par le dieu de la mer est sans conteste possible assimilable au symbole du Soi dans l’inconscient. L’image est très forte et suggère que, quoiqu’il arrive, le Soi peut toujours, dans le secret de l’inconscient, générer une nouvelle essence de l’être, un nouveau possible, y compris du féminin. Cela nous ramène à Thot qui vint au secours de Nout, Thot étant le Dieu-Lune, le maître de la nuit, de l’inconscient.
Léta eut deux enfants, une fille et un garçon. Artémis, tout comme Isis avec son frère Osiris, est porté dans le sein de sa mère. Pour Isis, son frère est aussi son amant, son amour, pour Artémis son frère est son ami le plus sûr et le plus complice.
Sur le plan symbolique l’inceste divin exprime une union sacrée entre deux entités de même nature-sacrée, issus de la même source divine, le ventre de la Déesse. Apollon est le fils solaire des pères dominateurs. Lorsque le fils lunaire, tel Osiris ou Tristan, fait place au fils solaire, il perd ses prérogatives d’amant, mais reste un frère qui peut nous aimer, nous verrons qu’Artémis intègre l’Animus différemment des déesses et de leur fils/frère-amant. Artémis protège le féminin et toute son essence de ce monde hostile. Et son frère ne sera pas en reste pour l’accompagner dans ce périple. Nous ne devons pas oublier qu’Apollon est le dieu de la Vérité, de la conscience pure qui fait face et éclaire l’ombre. Nous oublions trop souvent qu’Apollon n’est pas le soleil, « précisons que le Dieu-soleil était Hélios[4] ». Cette vérité, cette lumière est « frère » de la déesse qui aida à sa naissance et qu’il protégera, aidera dans son combat pour la survie et la maintenance de son règne. De leurs combats et de leurs tueries nous retiendrons qu’ils protègent « la » mère et ce féminin archaïque, fécond, indépendant d’où le terme « virgo » affublé à Artémis sur lequel nous reviendrons.
Il est dit qu’à peine nés ils tuèrent un dragon venu les attaquer tous trois, ce dragon des fonds de l’inconscient collectif, cherchant à engloutir la conscience à peine éclose. Ce dragon, Mère Archaïque, omniprésent dans de si nombreux mythes menace le royaume conscient. C’est le premier monstre que combat Tristan sur la terre d’Iseult. Cette libido énergie archaïque ayant le pouvoir d’un seul de ses appétits de dévorer ses enfants. Lorsqu’un possible sursaut de la conscience, qu’elle soit collective ou personnelle, émerge, elle est menacée par les vagues surgies des profondeurs. L’élan de vie s’effondre, se dissout, est englouti. Pourquoi la Mère première ne dévore pas ses enfants, mais les couvent, alors que la Mère ultérieure devient ce dragon malfaisant ? La réponse est induite dans le personnage même d’Artémis, le féminin, comme le serpent bienfaisant, peut devenir destructeur lorsqu’un danger se présente, la justice, la sagesse du féminin originel qui est capable de tuer d’un coup de dents, d’une morsure venimeuse, le germe d’un processus qui pourrait être mortifère. Dans ce cas l’attaque n’est pas « méchante » par nature, mais « juste ». Lorsque les chevaliers des contes mènent un combat contre le dragon primordial, ils gagnent toujours s’ils ont le cœur pur…
C’est frère et sœur, qu’Artémis et Apollon tuent les enfants de Niobé qui « ordonna aux Thébains de lui rendre un culte au détriment de celui de Léto : « Vous brûlerez de l’encens à Léto » leur dit-elle « qu’est-elle auprès de moi ? Elle n’a que deux enfants, Apollon et Artémis. J’en ai sept fois autant. Je suis Reine. Elle n’était qu’une errante sans foyer jusqu’à ce que la petite Délos, seule de toutes les cités de la terre à consentir à la recevoir. Je suis une muse puissante et grande-trop grande pour que quiconque, hommes ou dieu, puisse me faire du mal. Offrez-moi des sacrifices dans le temple de Léto, qui sera désormais le mien et non plus le sien. » Les mots insolents proférés par l’arrogante conscience du pouvoir étaient toujours entendus dans le ciel et toujours punis. Apollon et Artémis, l’archer divin et la divine chasseresse, glissèrent rapidement de l’Olympe jusqu’à Thèbes, et décochèrent leurs flèches avec un art mortel, ils tuèrent tous les fils et toutes les filles de Niobé[5]. » Niobé veut prendre la place de Léto par fierté, par jalousie, les enfants divins ne peuvent l’accepter. Chaque fois que le féminin est en danger, menacé de blessure, de viol et de désacralisation, un tabou est transgressé. Chaque fois l’agression est commandée par une méchante sorcière ou un Senex, un dieu pour qui l’amour a fait place au pouvoir.
Temple d’Artémis
Il n’y a pas pour Artémis d’époux possible, dans son monde le masculin est unilatéral, patriarcal. Lorsque la conscience du temps présent n’offre pas au féminin un possible Animus fidèle à sa nature, il peut faire appel à ses ressources intérieures et archétypales, s’armer d’un Animus de la vérité, frère jumeau de sa naissance ou qui se manifeste dans son intériorité même : un arc et des flèches. Lorsqu’elle est cachée, reléguée dans l’ombre, elle peut encore briller de tous ses feux par son Esprit éclairé. C’est le feu antique, le soleil antique de sa manifestation qui glisse et œuvre à travers son essence. Artémis garde les traces du feu flamboyant de son origine et les feux gardés dans ses temples en étaient la preuve irréfutable.
C’est pourtant à son père Zeus, l’Animus hérité, qu’elle ira demander les armes qui seront siennes. À l’âge de trois ans, assise sur ses genoux, elle lui demande : de rester toujours vierge, et de porter assez de noms divers pour qu’Apollon ne puisse le lui disputer. Elle veut, comme son frère un arc et des flèches, tout en précisant que ce n’est pas à son père de lui donner, mais aux Cyclopes. Ce n’est donc pas de la conscience ambiante qu’elle aura ses armes défensives et guerrières, mais des strates les plus anciennes, plus archaïques, des strates prenant racine dans la psyché collective où la Grande Déesse règne en maîtresse. De son père elle obtiendra de pouvoir porter des flambeaux et de revêtir une tunique à franges qui ne lui descende que jusqu’aux genoux, pour ne point, l’embarrasser. Forte des puissances naturelles d’une Grande Déesse antique elle se pare d’attributs lui permettant d’être libre et mouvante, ayant la capacité de se défendre, de ne pas tomber dans la dépendance d’un patriarcat dominant. Pour renforcer son lien à l’origine première, elle s’assure d’être accompagnée de soixante filles de l’Océan, qui soient toutes à l’âge où l’on ne porte point encore de ceinture. Il n’y a pas, pour Artémis, de compagne entachée de suggestion, de malédiction, de « culture patriarcale », seulement des filles encore « sauvages » rodant dans l’inconscient.
Elle demande les montagnes sur lesquelles courent les forêts et les animaux sauvages. « Que toutes les montagnes soient les miennes », déclare-t-elle dans l’hymne de Callimaque de Cyrène. Elle s’y cache et s’y renforce, c’est Son Royaume, le royaume d’origine de la Grande Déesse des premiers millénaires. Elle erre aussi dans les agros, les terres en friches, incultes et peu fréquentées. Si elle ne demande qu’une ville, son père lui en offre trente, mais elle ne s’approchera qu’aux moments où les femmes, travaillées des douleurs aiguës de l’enfantement, l’appelleront à leur aide.
Pan lui donne les chiens de sa cour et elle capture quatre biches aux cornes d’or. En quelque sorte elle s’approprie ce qui lui revient, aidée du dieu le plus ancien, le plus obscur, le plus « naturel » qui soit, Pan, l’allié de toujours dont nous avons déjà parlé. Ici le féminin se relie à ses forces primitives, qui sont son essence, sa nature, la force instinctuelle et la con-naissance naturelle du monde. Elle nous guide sur le chemin qui est celui de notre nature, constamment entourée d’une troupe d’animaux sauvages, d’où son nom Ἡγημόνη / Hêgêmónê, « la Conductrice ». Pour ce faire nous voyons déjà avec Artémis que nous avons besoin de l’assistance d’un Animus sauvage mais généreux, confiant et sûr, qui lui donne accès à ce qu’Elle est, la maîtresse de la nature sauvage et des animaux, c’est-à-dire l’instinct. L’instinct n’est pas à prendre dans le seul sens moderne que nous lui donnons, ce n’est pas juste l’instinct animal, mais aussi l’intuition qui est un instinct psychique particulier. Ce n’est pas un hasard si le porte-parole « inspiré » d’Apollon était une femme, la Pythie de Delphes. C’est cette intuition, cet instinct naturel et sûr qui fait que Zeus ne peut pas lui refuser ce qui lui revient de droit, le monde sauvage et la protection des chemins et des ports, « Elle a sa place en bordure de mer, dans les zones côtières où entre terre et eau les limites sont indécises. » Artémis porte aussi le nom de Trivia, « celle qui éclaire la route aux carrefours de la vie », lumière de la conscience à l’heure des choix dont l’intuition et l’instinct ne sont pas les moindres conseillers !
Déesse des carrefours et des frontières, elle est par analogie déesse à la frontière entre le monde sauvage et le monde civilisé où la culture prévaut, elle est la déesse du « passage », de l’initiation. κουροτρόφος/kourotróphos[6] qui préside à l’initiation des petits d’hommes et d’animaux et les accompagne jusqu’au seuil de la vie adulte. Cette capacité de ressource aux mondes sauvages, d’intuition, d’instinct et de vie, corrobore la fonction de porteuse de vie associée à Artémis. Si elle aide à la naissance, relie à la source vitale et naturelle, Artémis est aussi guérisseuse. C’est elle qui guérit Enée, fils d’Aphrodite, blessé à la guerre de Troyes.
Ces qualités, ces capacités du féminin, Artémis en est la dépositaire, et elle va les défendre corps et âme. C’est pour cette intégrité, cette entière réalité sauvegardée qu’Artémis est dite « vierge ». Il ne s’agit pas de vierge dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui et qui est entaché d’une vision patriarcale d’appropriation du féminin par le masculin, d’une vision qui fait de la sexualité féminine une pulsion démonique, une propriété du mâle. Nous devons pour comprendre le sens premier du terme faire l’effort de sortir de nos paradigmes et prendre le temps de percevoir le monde sous un autre angle. Le féminin est vierge lorsqu’il ne porte pas d’enfant, que son ventre est en attente d’accueil (consentant). Mais plus encore ce féminin Vierge est l’héritage direct de la Grande Déesse qui est capable de se suffire à Elle-même ; qui, s’il peut, veut et aime, va à la rencontre du masculin, ne s’assujettit pas à lui mais lui propose un face à face. D’ailleurs si Artémis n’est pas épouse, elle a cependant des amours et des amants, et des enfants. Endymion, champion de la course à pied est un de ses amants. Ils eurent cinquante filles, les Amazones voilà qui, pour une vierge, fait beaucoup d’enfants. Orion, lui, devenu aveugle suite à quelques confrontations avec Oenopion qui demanda à Dionysos de le punir, s’enfuit en Crète où il devint « le chasseur » d’Artémis.
Dionysos
Et nous avons vu comment cet homme sauvage, cet « Homme-Vert » est par nature et essence le compagnon originel de la Grande Déesse. Entre ces deux-là, il s’agit vraiment d’une histoire d’amour. Mais lorsqu’il délaisse sa bien-aimée pour une autre, et c’est Aurore qui sème le trouble entre Orion et Artémis, la Déesse n’hésite pas, elle décoche une flèche et tue. Il est dit d’autres fois qu’il aurait entraîné sa colère en la défiant à l’épreuve du disque où il aurait tenté de la violer, elle ou l’une de ses nymphes, Opis. Artémis ne prend pas de risque avec un Masculin qui peut à chaque instant se retourner contre elle. Et chaque fois que se présente un masculin renégat à sa cause, chaque fois que sa nature intrinsèque est malmenée, en danger, que la Nature est en danger, que les humains tuent « une de ses chères créatures sauvages[7] » elle n’hésite pas, elle donne la mort, comme le dragon des origines.
Au moindre irrespect, au moindre risque, elle frappe. Observée nue en train de se baigner dans un torrent par Actéon, elle le métamorphosa en cerf. Les chiens d’Actéon, ne le reconnaissant pas, se jetèrent sur lui, le déchirèrent, et le dévorèrent vivant sous le regard d’Artémis. Réponse brutale mais juste à la transgression du tabou, « laisser le féminin tranquille lorsqu’il se régénère et prend des forces », « ne violente pas ». Elle s’en prit à Héraclès qui captura une de ses biches aux cornes d’or pour la ramener à son cousin Eurysthée. Agamemnon aussi, orgueilleux après la chasse d’un cerf tint ces mots : « Artémis, elle-même n’aurait pu le tuer de la sorte! ». Pour se venger de cet affront, elle immobilisa sa flotte qui se dirigeait alors à la guerre de Troie, et exigea le sacrifice de sa fille Iphigénie. Sur le bûcher, elle l’échangea au dernier moment par une biche, et en fit une prêtresse dédiée à son culte dans un sanctuaire en Crimée. Elle ne passe rien, le moindre oubli engendre son courroux. À Calydon, le roi Oenée oublia Artémis et son sacrifice lors d’un culte. Pour se venger, elle envoya un énorme sanglier dans le pays qui ravagea les terres et tua le bétail. Otos et Éphialtès, les Aloades tentent de l’enlever et de la violer, elle leur donne la mort. Même ses nymphes ne sont pas épargnées, lorsque l’une d’elles est « souillée » ou risque de l’être, elle la chasse si elle a été séduite, comme lorsque l’une d’elles, séduite par Zeus, telle Callisto qui se retrouve enceinte, elle la chasse de sa suite ou comme Aréthuse qui, poursuivie par le dieu du fleuve Alphée, est transformée en nuage puis en fontaine. On ne rigole pas avec Artémis, on ne joue pas avec le Féminin et l’intégrité de sa personne. Elle intervient toujours lorsque le Féminin est « sali », forcé, désacralisé.
Héraclès tuant le biche sacrée d’Artémis
à la moindre velléité de porter préjudice au Féminin « l’archère » iokhéairê, la déesse « à l’arc d’or », khrysêlakatos, tire et tue. Son arc agit tel un Animus épée de lumière, portant la vérité Cette vérité est déjà ce que représente Apollon, frère jumeau, Animus inconscient dans une psyché féminine en cours de régénération. Au départ, l’Animus est ce père qui renie la fonction créative du féminin. Puis, dans une psyché en cours de métamorphose, il devient le frère aimé Apollon. Comme le dit Jung, « dans un clair-obscur[8] », un complexe autonome personnifié (Apollon !) pour finir par devenir une fonction psychologique avec laquelle nous agissons de concert : « une manière de passerelle qui mène vers l’inconscient[9]. » Cette fonction sûre lui permet de détruire tout ce qui pourrait porter atteinte à son essence divine. Avec Artémis, le ver n’entrera pas dans le fruit. Chez Homère, l’arc se dit βιός/biós, qui se rapproche de βίος/bíos, « la vie ». Artémis est celle qui protège la Vie dans son cycle et pour ce faire n’hésite pas à donner la mort, à tout ce qui représente un danger de distorsion, de perversion, de destruction. Ce n’est pas un hasard non plus si Écho, une de ses suivantes, babillante et volubile tombe dans les filets destructeurs d’Héra dans le mythe de Narcisse, le grand modèle de la perversion « narcissique ». L’essence d’Artémis, représentée par Echo, est ciblée par le féminin mortifère, car Artémis apporte la justice de la vérité, la vérité sur le féminin sacré. Elle porte la lumière, elle guide et son nom est parfois « la radiante », le feu divin, elle possède le qualificatif de phōsphóros « qui apporte la lumière ». Cette lumière est un trait de l’esprit, un Animus, une conscience éclairée capable d’irradier. Florence Quentin le note à propos de l’Egypte « On pourrait d’ailleurs s’interroger sur le fait que, dans la symbolique égyptienne, c’est le féminin qui transmet, bien plus que son pénis manquant, son phallus (symbolique) au masculin, tout autant qu’elle lui transfuse l’esprit[10]. » D’ailleurs en Egypte aussi se trouve une déesse qui tue les démons de ses flèches, Neith
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[1] Marija Gimbutas, Le Langage de la déesse, éditions des Femmes, 2005, p. 336.
La Femme dans la société celte, Le Féminin solaire dans la mythologie, Les Figures symboliques du Féminin et du Masculin, sont le fruit d’un travail de dizaines d’années, de travail intérieur (analyse jungienne et psychosynthèse), d’observation, d’études poussées de l’histoire, de la mythologie, des religions, des spiritualités, de voyages et d’expériences in situ. Le fruit de l’accompagnement aussi, de femmes et d’hommes dans le lent et difficile accouchement de leur âme. Ce travail m’a menée inexorablement à une réalité surprenante et bouleversante. Les anciens l’ont exprimé, sous les couches vibrantes archétypales se love un Féminin sacré, sa fécondité, sa joie et sa force. Notre féminin divin est aujourd’hui amputé d’une grande partie de son essence, il ne reste de lui que sa fonction maternelle et consolatrice. Mais avant il possédait une force et un rayonnement créateur indéniable. Les vielles déesses que sont, par exemple, Isis, Amaterasu, Sol, Aetensick etc. en portent encore grandement les attributs. Se trouver un instant devant le miroir flamboyant de la Dame japonaise, sur le parcours gravé des Femmes divines de l’Egypte ne laissent aucun doute. Puiser dans les chemins de Ninghursag, d’Ishtar, de Cybèle nous enseigne leur puissance, leur gloire, leur bienveillance, leur colère, leur flamboyance. Retrouver dans les mythes les aspects lumineux de Brigid, Iseult, Déméter, il n’y a plus d’hésitation possible, ce Féminin est solaire.
Plonger en soi, jusqu’au plus profond de l’abîme, traverser les ombres et les calices, nous permet d’advenir à l’expérience lumineuse intérieure : un Soi solaire et Féminin. Lorsque qu’au bout de sa quête Lucius d’Apulée se confronte au plus profond de l’âme, c’est Isis lumineuse et colorée qui apparaît. Marie Louise von Franz[1] avance : Anima pour un homme, manifestation du Soi pour une femme.
Le caractère solaire pose question, à nous qui envisageons le féminin comme lunaire, la femme lune, ombre dansante des profondeurs de la nuit quand le masculin, l’homme, s’expose solaire et rayonnant. Les humeurs, les cycles féminins tendent à conforter cette vision et la belle Blodeuwedd, terminant sa course mythique sous la forme de chouette hululant sous la lune confirme cette idée.
Aller plus loin et plus profondément, nous voilà devant l’aspect d’un féminin qui sans paraître étrange dévoile une Figure particulière. Les traces les plus anciennes, les gravures les plus vieilles mais aussi les observations que l’on peut faire des pratiques ancestrales de peuples ayant moins que les autres subit le joug de l’envahisseur indo-iranien (le patriarcat) sont autant de preuves qu’avant le monothéisme fut un polythéisme et qu’avant le polythéisme fut un culte à une Grande Déesse et ses Consorts. Il suffit d’explorer avec minutie le rapport que fit Adrien Maisonneuve[2] sur les pratiques ancestrales non ariennes des Dravidiens, et de les comparer aux strates les plus anciennes des peuples les plus éloignés de la frange indo-iranienne (les Celtes, les Germains), pour qu’émerge cette figure divine, qui fleurit tout autant sur les plus anciens temples et dans les plus anciens cultes : un divin féminin manifesté par la nature jaillissante et féconde.
Sous cet angle de lecture il apparaît alors que plus les mythes avancent et plus le féminin se met en repli, se lamente, se plaint, se love au creux des rochers et des criques, se cache, devient lunaire : ce féminin lunaire apparaît comme le féminin du patriarcat. C’est sa manière à lui de survivre, de se nourrir encore aux souches maternelles du Grand Inconscient Maternel, la Nuit, la Serpente sacrée. Car, ce qui se dessine à la lecture de l’antique héritage c’est que le Féminin est à la fois nuit et serpent ET force vive, lumineuse essence, « éclairage du ciel », expression créative. La lune dans ces cultures archaïques est masculine, c’est elle qui féconde les femmes et perce la poche de leurs eaux, comme le mâle antique dont le rôle majeur est d’ordonner le monde par les cornes dressées de sa tête taureau, de sa tête bouc, de ses mains de Jardinier. Un Homme qui danse dans la nuit avancée, ouvre la voie et laisse épanouir ce féminin solaire dont la lumière, aujourd’hui nous manque tant.
Aux sources du monde se trouve toujours un serpent et avec ce serpent, très souvent, une histoire d’amour, comme dans ce magnifique conte Nehiyawak(1) :
Ce conte très court possède une force d’image prodigieuse. Les serpents qui éclaboussent la terre de leurs facettes multicolores façonnent notre monde de chatoiement. Il n’est pas sans faire écho à un rêve relaté par Marie Louise von Franz. Dans ce rêve le Soi miroite de mille facettes multicolores. Fascination, jeu de regard et d’amour, dissociation, éclatement et réalité d’un tout qui se manifeste dans la multitude : un chemin vers l’individuation.