La Déesse au Serpent

Le soleil avait accompagné tous mes pas au Japon. Revenue en France il me semblait solaire d’arpenter quelques lieux « sacrés »

Il en est un « petit », pas très loin de chez moi, de ces lieux encore visités, où des femmes en mal d’amour ou d’enfants vont déposer des gerbes, des bougies, des bouquets.

Je n’y trouve pas la joie et la célébration que je trouve au Japon. J’y trouvais la demande, l’attente, le chagrin aussi. Mais imbibée de mille sources je ne pouvais pas regarder cet espace comme l’expression d’un « isme » bien connu qui berça mon enfance, mon peuple : notre histoire.

Le culte est rendu sur une butte, un tumulus plus exactement sous lequel reposent guerriers, épées pliées, cassées et inutilisables. Sur la butte un arbre ! Je retrouvais l’arbre. A l’est, tout au soleil levant, j’avais vu ces forêts protéger les cultes de la Dame. Ici il était seul, mais tellement présent. Comme un gardien il posait sa ramure, protecteur, apaisant.

Le socle et la statue furent posés après la guerre de 1870 pour remercier Celle qui de son grand manteau posa comme une chappe protectrice sur le village. Ce n’est donc pas si vieux. D’ailleurs le socle de pierre posé à mains humaines n’a rien des vestiges antiques, ni leur qualité, ni leur beauté. Tout semble vite fait, monté, soudé. Soit ! Il y a cependant, un passage sous la statue, comme une grotte, un boyau, ombilic, un ventre. L’empreinte des Dolmen est si réelle en l’humain qu’elle rejaillit ici (la lumière jaillit des ténèbres et la vie de la mort). On doit donc « faire le tour », encore et toujours le tour, une « danse du soleil », un cercle de lune, pour que soit exaucés nos vœux les plus secrets.

Et puis je La regarde ! Bien sûr on reconnait en elle, l’image des visions de Catherine Labouré. Même forme, même geste. Mais moi, imprégnée d’univers, je reconnais les signes, éternité des signes, les signes qui semblent ne pouvoir s’éventer. Sont-ils autant prégnants que l’âme, aussi vieux que le monde, aussi vrais donc ? Elle garde des déesses ce don avec les mains, cette attente de fleurs. Elle trône dans le ciel, comme un soleil radieux. Ses voiles se déploient. Et, à ses pieds surtout, se trouve le Serpent. Pas un serpent vaincu, fauteur de trouble, détournement récent de nos « ismes ». Non se trouve le serpent, le plus ancien du monde, celui du tout début, sur toute la terre, celui qui dans sa gueule porte l’œuf, le soleil. Celui qui l’avale au soir et le recrache au matin : celui qui rythme le Cosmos. Serpent, libido (Jung), ADN ?  Il se courbe et fait une boucle comme celui que tient Kernunos sur le chaudron de Gundestrup. Une boucle, un ovale, ovale comme un œuf, couvé dans son long corps. C’est le serpent du Mount Serpent qui avale le soleil au solstice d’été, c’est le serpent sur les pierres de Gobetly Tepe, c’est le serpent des arbres aux Indes excentrées, qui s’enroule aux arbres et fait jaillir la vie. La pierre, l’arbre et le serpent. Le mont, le ciel, le Féminin sacré.

J’ai perdu les croyances des femmes saintes qui enfantent d’esprits, pendant tant de milliers d’années les déesses ont enfanté comme les femmes, alors je les sens plus proches, plus réelles, plus vraies et celle qui trône sur ce Mont est comme une oriflamme zébrant le firmament.

La Caverne de la déesse Amaterasu à Takachiho

La journée se révèle douce et le soleil brille fort dans le ciel. La route a défilé sereine. Le lieu, hautement symbolique se révèle tranquille et comme préservé.

Des arbres, des arbres, des arbres.

Les ombres de leurs troncs bien plantés sont tout emmitouflés de réverbération solaire.

Parce qu’il y a des arbres, des arbres, des arbres, l’endroit est tout perclus de paix, de silence qui parle.

Il m’a fallu croiser quelques marchands du temple, bien sûr. Mais rien à voir avec ce que l’on peut imaginer, juste quelques échoppes, quelques vendeurs. Ici les gens ne font pas de grands gestes, ne parlent pas fort, ne gesticulent pas, ils passent, ils se croisent. Un sourire, un salut, bien sûr le salut. Tout semble si paisible.

Ca réverbère, ça renvoie, ça reflète. Oui le miroir est là.

Il ne reste plus qu’à descendre. En bas se trouve la grotte. Non La Caverne !

L’eau dégouline d’en haut, cavalcade, chuchote, humidité de femme entre des cuises ouvertes ; offerte à mes pas silencieux.

Avant de voir la Caverne nous pouvons déjà voir ces petits tas de pierres que les pèlerins entassent. Ils sont fait d’attention, de minutie, de cette application que mettent les Japonais à faire les choses. Il est impossible d’y toucher, de les buter, renverser, détruire. Il rode comme une odeur de sainteté.

Puis la voilà ! Elle émerge. La Caverne, Celle du Mythe, Celle où Elle s’est cachée, celle devant laquelle Uzumé a dansé, en soulevant ses jupes. Le mythe est là vivant.

Moi aussi je ramasse des pierres, moi aussi je fabrique mon tas. Moi aussi je me penche, tête baissée, corps plié. Je marque ma pliure, un temps si court mais qui donne le sens de mon geste, mais non je ne me plie pas, je salue. Moi aussi je baigne dans la béatitude, dans la paix de ce lieu, dans sa fraicheur et sa moiteur, son humidité, sa terre et ses eaux.

Ici je peux m’étaler de toute mon âme. Il n’y a pas de souffrance que celle de vouloir émerger vers la vie. Pas de sang glorifié, pas de chair mortifiée, juste la Nature, la Terre, la Rivière, les Arbres, la Pierre et le Ciel tout auréolé de lumière.

Plus au nord de Kyushu je tombais sur un autre sanctuaire dédié à Amaterasu. Mêmes arbres, même paix, même silence pointé du chant de quelques oiseaux. Est-Elle ainsi sans pleurs, sans larmes. Juste la paix de vivre. On peut s’enrubanner de l’aube ou se couvrir de nuit, à chaque fois ce sera en douceur, en bruissement d’ailes. Pas de martyrs mais pas de grandiloquence non plus. Juste une joie posée comme un manteau, un écho à ce qui tout en moi frémit.

Puiser sans fin à ces courbes graciles, je suis, je suis la terre qui porte ces arbres, je suis ces arbres qui pointent vers le ciel, je suis cette rivière qui chante et qui s’évade, je suis ce ciel où se dresse un soleil de lumière vivace. Je suis de la Nature.

Takachiho Japon janvier 2023.

Carte extraite de l’Oracle des Gardiennes des Mythes

Parution aux Editions Véga Trédaniel

Les mythes racontent des histoires, ils racontent nos histoires, toutes les mouvances intérieures qui nous agitent, nous blessent ou nous enchantent. La vraie question est « quel est notre mythe personnel ? » en réalité nous sommes chevauchés par différents process qui peuvent au fil du temps changer, onduler, chatoyer différemment suivant nos pensées, nos actes, nos choix et le courage que nous mettons à les agir, les faire vivre, les incarner.

Parfois c’est délicieux, facile. D’autre fois c’est pénible, douloureux. C’est souvent à ce moment là que nous cherchons de l’aide, l’écoute, la parole amie, la prière, mais c’est ici que les mythes peuvent nous accompagner, car ils connaissent Le Chemin, le chemin qu’ils parcourent depuis la nuit des temps, depuis les premières humanités. C’est en eux que nous pouvons trouver l’écho de nos affres intérieures et en eux que se dessinent les possibles rédemptions, les possibles libérations, les possibles guérisons. Et les célébrations de la Vie !

Je me suis attachée dans cet ouvrage à faire éclore le message du mythe. Les féminins joyeux, aimant, puissant, les blessés, les attachés, les perdus, les vilains, les sorciers, tous ces possibles sont approchés avec respect, juste écouter leur souffle et leur message.

Je dis bien féminin, car il évident que tout cela ne parle pas qu’aux femmes mais aussi aux ailes ondulées, colorés ou flétries de l’Anima des hommes.

Oracle des Gardiennes des Mythes

Dionysos

téléchargement (3)Approcher Dionysos n’est pas une mince affaire, nous pouvons y laisser la raison, devenir « fou ». Mais sans lui nous ne connaîtrons pas les mystères, les transes libératrices, les ivresses fécondes et les chemins de la création.

Peu de dieu ont autant fait parler d’eux, tant il est représentant d’un domaine qui fascine et hypnotise, écho de nos plus profondes aspirations et confrontation avec l’Ombre. Dionysos nous attire car son mystère touche aux couches les plus archaïques de notre aspiration à passer les portes de la perception. Il nous effraie aussi par les excès et les dérives qui nous menacent lorsque nous basculons dans nos propres folies mortifères.

La lecture d’un mythe dans son contexte est toujours une grande révélation sur le sens qu’il porte, celui de Dionysos ne fait pas exception. A travers son histoire, ses cheminements et ses actes nous pouvons suivre le message induit pour la psyché qu’il sous-tend, comprendre et intégrer le sens qu’il nous propose de ses fonctions, de ses réalités et de ses fantasmes. Nous pourrons aisément saisir l’essence même, la quintessence, de ce qui se cache sous l’extase, l’ivresse et la folie dont il est le porteur et le gardien.

Le gardien

Le culte de Dionysos dont les traces nous sont parvenues se situe à la jonction des cultures. Les anciens mythes, les anciennes croyances, ne peuvent pas avoir totalement disparues, comme les archétypes ne peuvent mourir et ne s’accommodent que peu à peu au temps qui les incarnent. Or lorsque se trouvent encore les traces vivantes des anciens dieux, que les nouveaux sont tout juste montés sur les marches de l’Olympe, nous trouvons de ces dieux « troubles », qui tentent par tous les moyens de rééquilibrer le monde.Diony statue antique

Nous trouvons de ces figures divines qui mues par leur nature même, essaient sous toutes les formes d’éviter le pire, la bascule dans un extrême et la perversion de la Nature profonde des « choses ». Dionysos est un de ces dieux, un dieu majeur, car il parle des profondeurs psychiques les plus archaïques, les plus fascinantes, les plus « magiques ».

Qu’il fasse partie de ces anciennes croyances refoulées par les nouvelles est attesté dans le fait que dès son enfance, puis tout au long de son parcours, Dionysos est confronté à la non-reconnaissance de sa nature divine. Dans le contexte grec de l’archétype en marche il est clair que la croyance au divin Féminin dans toute sa royauté et en son Fils aimé, avec toutes leurs fonctions, ne sont plus reconnues. C’est ce qui met en souffrance et rend les gens « fous ».

Dionysos est le fils de Zeus et de Sémélé. Zeus, nous le connaissons, est un dieu majeur du monde patriarcal faisant régner sa loi qui, dans la majorité des cas, fait de lui un violeur. Sémélé est d’une toute autre espèce. Si l’origine de son nom semble incertaine, les spécialistes semblent s’accorder sur le fait qu’il est lié à la terre, plus encore, par son origine à la fois indo-européenne et phrygienne il fait part du lien de la Déesse à la nature sacrée de la Terre, de l’Humus. Par conséquent nous pouvons voir Sémélé comme un avatar de l’ancienne Grande Déesse et de son incarnation terrestre. Le détail n’est pas anodin, il fait de Dionysos le fils de la Grande Déesse, toute déchue soit-elle et il saura se souvenir de ça.

Diony coupeComme dans tous les mythes « retournés » par le patriarcat, l’épouse du Dieu Senex[1], réduite au rôle de « femme de », ne peut que s’offusquer des infidélités de son « mari » et se venge : Héra met en place un stratagème pour détruire Sémélé. Elle lui propose de regarder le dieu Zeus en face, pour être sûre qu’il n’est pas un monstre afin qu’elle soit brûlée par le feu du dieu. Cet épisode n’est pas sans rappeler celui dans le mythe d’Éros et de Psyché où les sœurs de Psyché lui conseillent de regarder à quoi ressemble son monstre d’amant. Si Psyché se retrouve déchue, tombée dans les affres tortueuses de l’amour pour Éros, Sémélé meurt brûlée et se retrouve en enfer : voir les réalités mène aux prises de conscience douloureuses et initiatiques.

Ce féminin blessé ne peut porter ses fruits à maturité, il en ressort des calamités et des douleurs, c’est ainsi que naissent les jumeaux d’Arihanrod, la Grande Déesse galloise, violée par la baguette d’un druide, c’est ainsi que vient au monde Narcisse, fruit du viol de Liriope par Zeus, encore une fois.

Ce dieu Senex qui veut tous les pouvoirs, y compris celui d’enfanter, récupère l’enfant et le porte dans sa cuisse, tout comme il se veut père et mère d’Athéna, façonnant des enfants à sa guise, dans le culte du seul père.

Or,  le rôle de Dionysos, la fonction qu’il représente, est de nous rappeler que l’absence de Féminin sacré et de tous les mystères qu’il recèle, mènent à la démence. Cette énergie primitive du Masculin allié au Féminin ne peut être détruite : soit elle est sanctifiée et joue son rôle de reliance avec la magie du Cosmos, nous relie à notre âme, nous laisse éprouver la transe cosmique, soit elle est occultée et se « pervertie », devient dangereuse : elle rend « fou ».

La folie

Dionysos n’est pas le dieu encourageant les excès, la folie meurtrière et la démesure, il est celui qui peut nous en libérer en donnant accès aux portes de la saine folie, de la transe inspiratrice, de l’ivresse sacrée. Tous les personnages qui refusent de le reconnaître deviennent « fous », fous furieux, jusqu’à dépecer leurs propres enfants. C’est la porte ouverte à la cruauté, à l’inhumanité. La fonction archétypale de Dionysos est claire, il nous invite à vivre l’expérience, il nous confronte à cette réalité de l’âme. Coupés de nos élans vitaux, de nos instincts, de notre écoute aux chants de l’âme la plus lointaine, nous perdons la tête. Ce que dit Dionysos c’est que relié au Féminin en soi, au Féminin sacré, nous avons accès aux mystères. Renouant aux sources de l’âme, portant les habits des femmes (tout symboliques qu’ils soient) acceptant cette part de nous-même, sauvage, intuitive, inspiratrice et lui donnant la place de s’exprimer, la place sacrée parmi les dieux de l’Olympe (voir Sémélé), lui offrant notre couronne ( abandonnant le pouvoir de l’égo, de la « loi » patriarcale) comme Dionysos le fait pour Ariane, nous pouvons accéder à ces canaux qui ne sont pas les chemins de l’esprit mais ceux de l’âme (cf James Hillman) : l’émotion, la sensibilité, l’intuition, la tendresse, la créativité, la sensualité (ce que disent les sens) et l’Érotisme (du dieu Éros).  Redonner un sens sacré à ces fonctions nous permet de renouer avec l’âme qui alors soutenue par Dionysos porte une couronne de fleurs, danse et chante, se meut, se courbe et parsème le monde de joie.

.Dionu parlant avec Hermes

Si tel n’est pas le cas, s’ouvrent les portes de la folie démoniaque, orgiaque, destructrice, et Dionysos de nous proposer la tentation, d’y puiser à la source. Qu’allons- nous faire de ce que nous ressentons, sentons, ce à quoi nous vibrons ? Allons-nous le bafouer au risque de tout pervertir ou bien le sanctifier pour en faire une danse  ? A notre choix Il portera la démesure et la folie mortifère ou la transe vivante de la joie de vivre.

Dionysos le dieu taureau, le dieu du Féminin

Il ne fait, pour moi, aucun doute que Dionysos est un dieu héritier des dieux archaïques. De par ses cornes de taureaux, ou d’agneau, il est relié aux iconographies classiques des dieux « jardiniers[2] », Taureaux, Béliers. Mais sa nature même, fils et époux, qui guide le Féminin vers sa propre réalisation, monté au ciel (Il ramène sa mère auprès des dieux de l’Olympe et honore Ariane de sa couronne, voir plus bas) en confirme l’hypothèse.

Il est dans de nombreux mythes question du chemin initiatique des hommes, qui demande d’aller de la Mère à l’Épouse, de la Mère à la Femme, de sortir des jupons de « Maman » pour caresser les jupes de L’Alter Ego. De nombreux dieux font ce parcours initiatique, avec plus ou moins de réussite. Éros y arrive après avoir pleuré dans les chambres maternelles en retournant auprès de Psyché, lui redonnant vie. Lleu quant à lui ne réussit pas le test quand moribond dans l’arbre, dépecé et dévoré par la truie il tombe dans le « giron » d’un druide et non dans les bras, le cœur, de Blodeuwedd. Christ n’y parvient pas plus, disant à Marie Madeleine « ne me touche pas » et passant des bras de Sa Mère éplorée au service de Son Père.

cratère psykter Diony et le thiaseDionysos est différent, car non seulement il est le fils direct de la Grande Déesse, mais dans la version orphique du mythe les Titans coupent Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite, ce qui a tout de l’initiation primitive : cuire dans un chaudron. Il est initié d’emblée. De ce démembrement c’est son cœur qui sera ramassé pour être donné à Zeus. Il est question de cœur, d’âme. Il grandit dans une grotte, une île où il s’imprègne et développe sa Nature « sauvage » de même nature que la Grande Déesse, grande pourvoyeuse de fruits de fleurs, d’animaux.

C’est dans le domaine de Cybèle, manifestation de la Grande Déesse, qu’il est initié aux cycles de la résurrection après la mort, de la gestation interrompue et de la reprise, souterraine et céleste à la fois. C’est ici qu’il est initié aux mystères de la transe et de l’ivresse, ivresse de l’âme et de la chair, physique et métaphysique. En quelque sorte il est initié aux mystères du Féminin par le Féminin lui-même, il se relie avec son âme, il est à la rencontre de son Anima.  Lorsque la femme déploie son Anima, son féminin (le double voir P. Solié M. Cazenave), c’est qu’un Animus dionysiaque le lui a révélé, percé, mis au jour. Lorsque l’homme est en prise avec Anima, il fait face à tout ce qui est féminin en lui, il en approche alors les mystères. Il pourra, de cette manière, passer de la mère à l’épouse, de la maman à La femme, et laisser vibrer en lui les cordes sensibles, atteindre la plénitude de son être, la magie de la Vie.

De la mère à l’épouse

dionysos et séméléA aucun moment Dionysos ne blesse le féminin, le viole, l’enferme dans une tour, lui bloque une porte, l’enferme dans le silence, nous sommes loin des héros guerriers de la mythologie grecque. Mieux, sa mère reléguée aux Enfers, il descend la chercher en plongeant dans un lac, le lac Lerne, en quelque sorte en plongeant dans les strates humides de l’inconscient. Il est attesté que ce plongeon est associé à de nombreux rites initiatiques en Grèce ancienne, liés au passage de l’adolescence à l’âge adulte et nous ne pouvons que constater que sur le plan symbolique, il s’agit d’approcher la mère morte (celle tuée par l’idée patriarcale), et de la « monter au ciel », parmi les dieux, où elle devient immortelle sous le nom de Thyomé. Dans le contexte du mythe Dionysos redonne à la Grande Déesse sa place légitime, de Déesse primordiale, de Féminin Sacré.

Mais Dionysos ne s’arrête pas là, il va chercher l’Épouse. Non pas l’épouse telle qu’elle est conçue dans le monde patriarcal, celle de la raison, il va chercher l’Épouse du cœur. Il va chercher celle qui est blessée, trahie, abandonnée par ce monde patriarcal, Ariane, sur l’île de Naxos. En cadeau d’épousailles, en hommage, Dionysos jette sa couronne dans le ciel (Couronne Boréale) geste qui divinise Ariane. Ce détail est explicite du Roi, du Dieu, du Masculin qui relie sur un plan symbolique et sacré sa couronne, sa royauté, au Féminin aimé. Nous sommes en présence d’un vieux schéma mythique du monde, comme Enki et Ninhursag de Sumer, jusqu’au Roi Celte qui ne peut régner sans la royauté première de la Déesse.

Diony et ariane Albacini

Dionysos se révèle le Grand Dieu qui tend à réparer le Féminin, à le réhabiliter en la femme et en Anima. A ce titre il est un dieu majeur et précieux, particulière guérisseur dans un monde déjà entaché par les schémas patriarcaux de la période grecque.

Il n’est pas possible de conclure cette approche sans parler de l’essence même de la thématique. Il y a dans l’approche spirituelle dont je parle, un lien tenu entre la matière et l’âme, un lien sacré entre la chair et l’âme. Cela induit une expérience particulière de tous les actes qui mettent en œuvre la chair, c’est à dire sentir, goûter, écouter, ressentir, voir et bien évidemment, (il est question de Dionysos), la sexualité. Il est question d’extase, il est question de transe, quand toutes les dimensions sont réunies, la matière, l’esprit et l’âme. Cette expérience tant décrite dans les textes les plus anciens de Sumer ou dans les Chants de l’Inde à la déesse Kali, nous donne une clé pour la lecture de Dionysos. Ces expériences vibratoires qui jaillissent lors de connexions profondes entre la matière et l’âme ouvrent les portes des mystères et de la joie dionysiaques. Il ne suffit pas de s’enivrer, de se défoncer, de se faire vibrer à coups de butoir pour ressentir l’extase, Dionysos nous indique que nous devons y mettre du féminin, de l’âme, c’est l’âme qui donne la vibration ultime et la jonction la dimension sacrée : le Hierogamos. Hors de ce lien, de cette intention, le clivage s’installe et la folie meurtrière nous guette, ne serait ce que le meurtre de l’âme. L’âme esseulée se cloître, s’insurge et l’ombre, sans oxygène, explose de tous les maléfices. Les hystériques du XIXe siècle ne ressemblent-elles pas à des Ménades délirantes ? En acceptant de perdre la tête tout en sanctifiant l’expérience, en se laissant glisser dans la transe sous l’égide du dieu, dont il ne reste qu’un cœur après démembrement, alors nous pouvons faire l’expérience du sacré.  En acceptant de perde la tête, entreront dans la danse les deux grands Archétypes que sont Éros et Psyché …

[1] Vieux roi, dans le sens qui n’a pas été renouvelé, ne veut pas laisser sa place.

[2] Voir Figures symboliques du Féminin et du Masculin, S. Verchère M 2019, Du Cygne.

Aataensic Awenhai, partie 2 du mythe

MosaiCulture Gatineau 2018: Mother Earth, the Legend of Aataensic
MosaiCulture Gatineau

Première femme, première mère, première grand-mère sur terre

La plus ancienne version de la deuxième partie du mythe[1]
(voir première partie du mythe : Aataentsic Femme du Ciel))

L’histoire d’Aataensic ne s’arrête pas quand elle arrive sur le dos de la tortue et que les animaux remontent du fond de l’eau la première Terre…

Aataensic arriva sur le dos de la tortue enceinte d’une petite fille qu’elle appela Lynx (ou celle qui porte des fleurs). Sur ce qui était devenu Turtle Island elle construisit une maison longue (telle que les construisaient les Iroquois). Elles y vécurent heureuses et fusionnelles.

Lorsque Lynx fut en âge de procréer elle tomba enceinte du dieu du Vent du Nord..

Ses enfants furent deux paires de jumeaux. Deux filles, fille du Nord et fille du Sud. Et, deux garçons, garçon de l’Est et garçon de l’Ouest.

Épuisée Lynx mourut et fut inhumée sur Turtle Island où elle se transforma en terre féconde et nourricière : le « lait de la terre », le maïs, jaillit de ses seins, la courge de son nombril, les haricots de ses pieds. Ce sont ses trois autres enfants, trois filles sacrées. Dans certaines versions le tabac jaillit de sa tête.

La mort de Lynx affecta tellement Aataensic qu’elle sombra dans un chagrin profond. Pour attirer l’attention de leur grand-mère les enfants rivalisèrent entre-eux en agrémentant la Terre de forêts et d’animaux. Leurs créations étaient antagonistes, dès que l’un eut inventé les fraises, l’autre inventait la rose épineuse. Quand l’un produisit de paisibles animaux, l’autre créait les bêtes rugissantes. Pour finir l’un d’eux provoqua un âge de glace, menaçant toute vie. La Grand-Mère sortit de sa torpeur et demanda alors qu’il reste sage à l’intérieur d’une montagne où son frère l’enferma.

La vie repris son cours.

Devenue vieille La Déesse partit se retirer dans le monde souterrain et en partant créa la Voie Lactée, le « Chemin des Esprits » pour montrer à ses petits-enfants le chemin vers elle. Pour qu’ils puissent mesurer le temps elle plaça la lune dans le Ciel.

Son petit-fils de l’Ouest et sa petite fille du Nord vivaient avec elle sous les Rocky Mountains. Ils divertissaient les Esprits de la Terre des morts. Son petit-fils de l’Est et sa sœur du Sud hissèrent leur grand-mère jusqu’à la lune et, depuis, son visage y sourit. Eux trois divertissent les Esprits du Ciel des morts et Aataensic les renvoient afin qu’ils renaissent.

Voie lactée
La Voie Lactée

La version de cette partie du mythe n’est pas encore entravée par les censures catholiques et ne porte aucune trace d’une trame patriarcale. Son schéma très archaïque nous montre parfaitement celui que nous retrouvons dans les mythes les moins déviants de leur origine. Le Féminin descend du Ciel, s’incarne, puis descend dans le monde souterrain pour enfin remonter au Ciel. C’est bien le même schéma que nous avons dans le mythe irlandais de La Courtise d’Etaine, dans La Caverne Céleste du Japon d’Amaterasu. Mais plus archaïque encore, il ne montre pas de Masculin violent, violeur, guerrier, qui signe l’arrivée du patriarcat. Le Masculin est présent, mais il est « petit- fils », ce qui n’est pas sans rappeler le schéma archétypal de la Grande Déesse et de son fils-Amant, tout en exposant des caractéristiques encore plus anciennes : Lynx ne conçoit qu’avec le dieu du Vent du Nord. Le Masculin met en œuvre le monde crée par la grand-mère, il ranime la grand-mère, il hisse la grand-mère. La seule force qui meut l’ensemble c’est l’amour de la mère pour la fille, de la grand-mère pour les petits-enfants, des enfants pour leur mère et grand-mère. Pas de conquête, de volonté de possession, de « contrôle ». Ce mythe n’est pas naïf, il est archaïque, cosmique, à la source du monde. Il nous écrit la nature profonde du divin, le sacré de la Nature et du lien que nous avons avec « elle ». Il nous rappelle comment nous sommes à l’origine. Il est la Nature seule et notre Danse sacrée, Le Féminin créateur et nourricier, le Chemin qui est le sien dans son essence profonde, quand il peut agir sans diktas.

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Du coté des Archétypes féminins Aataensic couvre le spectre d’un bout à l’autre : fille, mère, grand-mère. Chute, descente, remontée[2], du Ciel à la Terre, de la Terre au Monde souterrain, du Monde souterrain au Ciel : Elle a accompli l’unification de la Terre et du Ciel. Et, surtout, elle joue le rôle de celle qui fait passer de la mort à la renaissance, cette fonction très caractéristique des Grandes Déesses, telle que Morrigu[3] ou Kali. Cette énergie particulière qui fait émerger la vie de la mort, comme Isis avec Osiris … Il y a aussi du Déméter… qui pleure sa fille. Nous n’avons pas le mythe original de Déméter, celui que nous connaissons est déjà passé par le prisme patriarcal, mais nous pouvons aisément imaginer combien la remontée de Koré/Perséphone devait être plus aisée et moins violente que celle que nous lui connaissons. Depuis Aataensic il a fallu « manger les pépins de grenade » qui n’ont pas la réputation d’être très agréables ! Et depuis les pépins de Grenade acidulés, le Féminin a avalé bien d’autres amertumes.

Mais la mythologie amérindienne nous dit aussi autre chose comme Heide Goettmer-Abendroth n’oublie pas de le mentionner (Et nous prendrons le temps de nous pencher sur cette particularité). Les « sociétés médecines[4] » amérindiennes travaillaient (travaillent encore) avec ces mythes, ce mythe chez les Iroquois. Cela nous donne une vision réelle de la pratique chamanique qui n’est pas détachée des mythes, des dieux, du religieux : « La croyance traditionnelle en la divinité de la féminité est aussi en train d’avoir de nouveau cours aujourd’hui et elle est particulièrement associée aux cérémonies des sociétés médecines de femmes. Le plus ancien et le plus puissant des esprits est la mère totale, dans tous ses aspects, en tant que fille, mère et grand-mère. Son nom iroquois est « Aetensic » ou « Awenhai »[5]… »

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J’aime profondément ce conte d’Aataensic, de cette Femme du Ciel, sans aucun doute parce que j’y trouve mon chemin, moi qui suis à l’âge des grands-mères : il couvre le cercle de ma vie de femme. Je l’aime aussi par sa beauté, sa vibration sauvage, sa forme cosmique, sa poésie…  J’y entends le bruissement des feuilles des arbres, le chuchotement des sources, le reflet de la lune et le cri des oiseaux. J’y sens l’humus de la terre, le terreau… J’y vois le soleil qui se lève et qui chute, tourne sa lourde tête dans le flanc des montagnes, puis revient à moi, dès l’aube…. Cette poésie touche l’âme car nous sommes de même nature que les feuilles des arbres, le chuchotement des sources, le soleil et la lune… de la poussière d’étoile…

 

 

 

[1] Après de nombreuses recherches sur les différentes versions proposées du mythe d’Aataensic, cette version est donnée par Heide Goettner-Abendrothqui tient ses sources de Barbara Alice Mann (Les sociétés matriarcales, Editions des femmes, 2019). Elle rejoint en de nombreux points les plus anciens mythes connus de la Grande Déesse des origines.

[2] Voir mon ouvrage Les Figures symboliques du Féminin et du Masculin, Du Cygne, 2019.

[3] Voir mon ouvrage La Femme dans la société celte, Du Cygne, 2014.

[4] Médecines mais avant tout spirituelles

[5] Heide Goettmer-Abendroth, Les sociétés matriarcales, Editions des femmes, 2019, p. 378.

Les séminaires voyage d’Anima Mundi

 

Je vous présente les séminaires voyage d’Anima Mundi auxquels je participe en tant qu’animatrice

​​Les réservations pour le séminaire à Malte : « sur les traces de la Grande Déesse »  sont en ligne

Visite des temples et de l’hypogée, séminaire, ateliers, sur les traces de la Grande Déesse
Je vous parlerai des plus anciennes croyances du monde, de l’évolution de la Figure du Féminin sacré, des rites et de la perception archaïque du Divin
Nous prendrons le temps de confronter nos échos intérieurs aux vestiges extérieurs d’un archétype majeur du Féminin …

Pour des impératifs de réservation, les inscriptions doivent être faites au plus tard le 1 mars 2020.

Il reste des places pour le séminaire « Les chemins mythiques et spirituels de l’Irlande, célébration des feux de Beltaine »

Visite du Centre sacré de l’Irlande, de Tara, de New Grange et Bru na Boinne, célébration des feux de Beltaine, séminaire, ateliers
Je vous parlerai de la spiritualité celtique, des liens tenus qu’elle gardait avec les croyances antérieures, la place prépondérante de la Grande Déesse
Nous célébrerons Beltaine sur le lieu même où cette célébration avait lieu à l’époque celtique, le Centre Mythique et sacré d’Eriu.
Je vous conterai les mythes en faisant le lien archétypal qui s’y rattache…

Pour des impératifs de réservation, les inscriptions seront closes le 15 novembre 20219.

Tous les renseignements sont sur le blog Anima Mundi : https://animamundi.home.blog/

 

Marie Madeleine (et le Jardinier)

 

20180813_232024La mort sacrificielle du masculin ne date pas du Christ. Avant, bien avant, Marija Gimbutas identifie deux types de figures masculines trônant, « l’une celle d’un homme jeune et fort au sexe dressé ; l’autre, celle d’un très vieil homme pacifique. Les deux types appartiennent sans doute l’un et l’autre à la succession des images d’un dieu de l’Année. Le premier, débordant de virilité, exprime le réveil de la nature ; l’autre symbolise la nature qui meurt[1]. » Ces sculptures datent de plus de 5000 ans avant notre ère et représentent  des dieux  «  de la fertilité dont la fonction est d’aider la Terre vierge à sortir du monde souterrain au printemps ou de stimuler les forces de vie en général et en particulier la croissance des plantes[2]. »

Nous connaissons aussi les fils – taureau, célébrés, sanctifiés. Les fils – amants de la déesse sumérienne, épousés, sacrifiés à la nouvelle royauté, un roi en remplace un autre. Jusque-là le cycle de vie, mort, renaissance, est signifié par une tristesse, mais aussi par une acceptation du rôle et de la fonction royale. Les vieux rois sont tristes, mais ils laissent la place au fils. La vitalité de la nature est alors régénérée, revivifiée, sans violence : nul signe de violence dans les traces archéologiques les plus anciennes.

OsirisLa colonisation du Croissant Fertile, puis de l’Inde, puis de toute l’Europe par les tribus Indo- iraniennes guerrières et patriarcales, attestées par les différentes études dont, par exemple, celles de l’abbé Jean Antoine Dubois (XVIIe), puis Max Müller (XIXe) , ou Marija Gimbutas[3] (XXe),  garde le schéma archétypique, mais la mort sacrificielle devient plus sanguinaire, cruelle et procède à un retournement de situation du féminin. L’Archétype est en marche et nous retrouvons le retournement des Figures mythiques tout autour de la terre, ainsi que les pratiques humaines qui s’y rattachent. Nous est resté de cette époque de transition le mythe d’Osiris, mais aussi tout un ensemble de contes et de légendes esquissant toujours la mort rituelle du masculin.

Si dans les plus tardifs, la mort rituelle apparaît toujours, elle n’aboutit plus à laOdin-suspendu régénération du monde. Deux exemples font état  de cet échec, la pendaison d’Odin dans la tradition nordique et la putréfaction de Lleu dans les mythes gallois. En effet, les schèmes les plus archaïques montrent un masculin qui épouse le féminin, puis meurt, emporté dans le giron matriciel de la Grande Mère. Il renaîtra de ce même giron dont la fonction psychopompe permet de le ressusciter. Dans le parcours mortifère, devant la blessure sacrificielle c’est, dans les plus vieux mythes, le féminin, qui préside à la guérison et à la renaissance. C’est ainsi que l’on peut voir dans les textes sumériens, la déesse Ninhursag « assise sur le sexe » d’Enki en train de le sauver d’une mort certaine. C’est Isis qui sera l’actrice de la métamorphose d’Osiris, c’est Psyché qui fera les corvées pour retrouver un Éros revivifié. Dans le cas d’Odin, qui s’est approprié tous les pouvoirs, il « meurt » bien, accroché pendant 9 jours et 9 nuits à son arbre (pourtant symbole de la déesse), mais s’il en retient les secrets des Runes, ne renaît pas sous une nouvelle forme ou un nouvel état. C’est la même chose pour Lleu qui en cours de putréfaction dans un arbre (toujours ce symbole de la déesse) ne peut aller jusqu’au bout de sa métamorphose. Alors qu’une Truie, (elle aussi symbole de la déesse) mange les lambeaux de sa chair permettant de le métamorphoser, un « druide » fait semblant d’être féminin, accueille Lleu dans son « giron » ! Cet acte manipulatoire ne permet pas à Lleu de renaître, d’aller jusqu’au bout de l’initiation qui aurait fait de lui « un homme nouveau ». Au fil de ces mythes, nous le voyons, le féminin est de plus en plus spolié de sa fonction et de sa puissance et le masculin soumis à de plus en plus de violence. Bien entendu, il ne s’agit pas d’homme et de femme, mais de masculin et de féminin, en quelque sorte ce problème nous concerne tous intérieurement, sous la forme Animus, Anima, et des répercussions visibles sont clairement identifiables dans notre monde moderne, malgré la mise en mater dolorosagarde de ces mythes.

Le Christ se situe dans cette même thématique.

Le féminin est bien là lorsque la mort frappe, il verse des larmes, comme le fait la déesse Innana la sumérienne auprès de l’époux agonisant. La Mater Dolorosa porte son fils mort sur ses genoux, devant son « giron » et non pas « dans » son giron. Le fils meurt et Jean nous dit ce qui s’est passé ensuite :

 Jean 20, 11-17 :

« Cependant Marie se tenait près du sépulcre, en dehors, versant des larmes; et, en pleurant, elle se pencha vers le sépulcre; Et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été mis le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds. Et ceux-ci lui dirent: « Femme, pourquoi pleurez-vous? » Elle leur dit: « parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. » Ayant dit ces mots, elle se retourna et vit Jésus debout; et elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit: « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit: « Seigneur, si c’est vous qui l’avez emporté, dites-moi où vous l’avez mis, et j’irai le prendre. » Jésus lui dit: « Marie! » Elle se retourna et lui dit en hébreu: « Rabboni ! » c’est-à-dire « Maître! » Jésus lui dit: « Ne me touchez point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Mais allez à mes frères, et dites-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu, et votre Dieu. » »

Tout d’abord, dans le jardin, Marie Madeleine prend Jésus pour le jardinier. Nous sommes « dans le jardin ». Dans les mythes plus anciens et en particulier dans l’histoire d’Enki et Ninhursag le Jardin s’appelle Dilmun, et c’est le dieu Enki qui l’a offert à la déesse. C’est  le jardin des délices et de l’union sacrée, du coït originel, du hiérogamos. Le jardinier est en quelque sorte l’équivalent de l’Homme Vert, ce personnage sacré que l’on peut observer sur les parois des grottes de la préhistoire, dont nous avons parlé, aux piliers de la basilique romane de Saint Benoit sur Loire. Masculin, roi du règne végétal, qui naît et qui meurt, gardien desgrenn man animaux, de la faune et de la flore, un Kernunos, un Pan, un Sylvanus, un Merlin. Il est le compagnon et l’amant naturel de la déesse et Elle n’aura de cesse de Le retrouver. Déjà sur les tablettes de Sumer nous pouvons « lire la strate originale qui présente Enkidu comme le héros dépêché par la Déesse pour vaincre l’usurpateur (Gilgamesh), et ramener la paix dans la ville […] Cette paix sera rétablie si Enkidu parvient à éliminer l’intrus, selon l’antique rituel des rois temporaires sacrifiés par leurs remplaçants[4]. » Enkidu est l’homme vert, il vit dans la forêt avec sa harde, en amitié avec les animaux, « son origine est dans la Montagne ; ses bras sont puissants comme une force céleste[5]. » De même, à partir du XIIe siècle, les Mabinogion nous racontent que lorsque Blodeuwedd, façonnée par les hommes, n’en peut plus de sa condition (elle s’ennuie, son roi est souvent absent et ne s’occupe pas d’elle) elle tombe amoureuse d’un chasseur, somme toute un homme sauvage. Dans le texte nous l’imaginons, sentant le bouc et la forêt. Elle veut renouer avec sa nature sauvage et n’être plus guidée par un masculin « castrateur » (d’Animus), mais par un masculin aimant, naturellement aimant. L’idylle va capoter, le Green Man y laisser la vie, comme elle y laisser son âme.  Et encore au XIXe siècle le folkloriste Alexander Carmichael recueilli et compila un ensemble de prières, hymnes, charmes, incantations, bénédictions et poésies de la tradition populaire orale de l’Ecosse sous le titre de Carmina Gadelica. Les traces d’un culte à une grande Déesse primordiale et de son comparse aimé l’homme vert y figurent encore :

Ô douce Déesse, écoute ma prière,
Accorde-moi Ton attention,
Laisse mes incantations et mes charmes
Parvenir jusqu’à Toi. Viens à moi,
Ô puissante Mère de tous,
Pour me protéger, moi Ton enfant ;
Ô grande Reine de la Vie,
Ensemble et avec l’appui
Du Seigneur du Bois Sauvage,

Ton fils et Ton amant,
Pour me protéger en Ton pouvoir,
Toi douce Déesse
De la plus pure et plus noble beauté.

 

pictures-of-jesus-resurrection-4Christ est mort, il renaît donc dans le Jardin originel, il est par évidence le jardinier.  Mais lui, au lieu de s’élancer vers elle, de l’enlacer et de lui dire « oui c’est moi, unissons – nous » il met de la distance, il l’appelle « femme ! » C’est un premier sacrilège envers le féminin qui n’est pas reconnu, il est globalisé, objetisé.  Pourtant il sait bien Qui elle est (Avatar de la Grande Déesse régénéré) puisque devant son incompréhension il se décide à l’appeler par son nom « Marie », enfin celui qui est aussi celui de sa Mère, il ne dissocie pas, ne peut aller de la mère à l’épouse. Sur le plan psychique et spirituel le Christ n’est pas un jardinier. Pour le masculin, l’homme, le chemin de l’individuation, de l’initiation, est le chemin parcouru de la mère, qu’il doit quitter, à la bien –aimée, qu’il doit « épouser ». C’est le chemin qu’il doit parcourir pour rejoindre son Anima.  C’est aussi une première confusion injecté dans la psyché féminine : « femme tu ne peux être que Marie, la Mère, tu ne peux pas être « La » Femme ». Puis Jésus fit le contraire de ce que faisaient les anciens dieux aimants, s’unissant voluptueusement à la déesse, quand elle disait :

Tu avais posé ta main droite sur ma vulve
Ta gauche caressait ma tête

Ta bouche se pressait contre ma bouche
Contre ta bouche mes lèvres se pressaient [6]

Il dit à Marie Madeleine « Ne me touches pas ! » Pas d’Éros, pas de lien, pas d’union, pas « d’amour ! », pas d’amour entre le masculin et le féminin. L’amour il est pour le « Père » ! Au lieu de générer un nouveau possible, de devenir lui – même une entité qui pourra devenir à son tour un père, il réintègre le Père.  Il reste le Fils du Père et ne s’initie pas à l’aventure de la vie. Sur le plan psychique c’est, en quelque sorte, une régression. Il est donc un dieu qui meurt sans mourir, l’initiation n’est pas complète, tout comme pour Lleu, tout comme pour Odin. Pourtant Ninhursag l’avait dit, « c’est aux déesses d’accoucher[7] »  …  Le Christ est bien passé de la Mater Dolorosa, pleurant sur le corps de son « fils – amant » mort, il est bien ressuscité devant le Féminin rayonnant dans le Jardin, mais il a fermé la porte, et s’en est retourné vers le Père. Il ne reste plus qu’au féminin de monter au ciel en tant que Mère et disparaître des textes en tant que Féminin, femme. Au féminin de souffrir dans nos âmes, au masculin de se faire écorcher vif. Animus est blessé, Anima pleure sur son rocher.

 

[1] Marija Gimbutas, Le langage de la déesse, des femmes, 2005, p 207.

[2] Marija Gimbutas, Le langage de la déesse, des femmes, 2005, p 205.

[3] Thèse des Kourganes

[4] Françoise Gange, Avant les dieux, la mère universelle, Alphée, 2006 ; p 172.

[5] F. Malbran – Labat, Gilgamesh, Tablette 1, p 160.

[6] Françoise Gange, Avant les dieux, la mère universelle, Alphée, 2006, p 73.

[7] Pierre Jovanovic, Le Mensonge universel, Le Jardin des Livres, Kindle, emplacement 444.