Trois capsules avec trois déesses

Trois façons de célébrer Beltaine

Le mythe d’Eros et de Psyché est un mythe majeur sur le plan archétypal du féminin et du masculin. Une histoire d’amour ou plus exactement de la relation amoureuse. La quête éperdue de Psyché pour modifier sa fonction animus, percevoir, discerner autrement. Le manque éprouvé par Eros, quittant enfin sa mère pour retrouver l’aimée. La lyse majestueuse, un hiérogamos parfaitement réussi. Une fille au nom de Volupté signifiant la reliance de l’âme et de la chair, du sentiment et de la chair. Un mythe qui nous guide dans les méandres souvent douloureux de l’amour pour en extraire toute la quintessence, retrouver le sens du sacré de la relation amoureuse, la beauté de l’âme, afin qu’Aphrodite n’éprouve plus cette colère terrible et puisse à travers nos expériences retrouver Sa place sur le théâtre de l’Olympe.

La jolie déesse fleurs, la jolie déesse chouette. Mais que se cache-t-il dans ce mythe qui lu avec une grille de lecture classique ne représente pas la perception du monde des anciens Celtes ? Un contexte bien douloureux, une femme fabriquée par des hommes, une tentative d’union sacrée avec un chasseur, un refoulement du féminin dans la sombre forêt de l’inconscient. Le mythe nous prévient et nous annonce ce qui arrive si nous ne respectons pas le féminin, si nous « violons » le féminin. Je vous invite à suivre cette saga et dans l’intégration qui en est possible, dans la prudence qu’il préconise, de venir danser avec Blodeuwedd, mais cette fois-ci la chouette sur les épaules.

La grande déesse Boann d’Irlande. Il suffit de changer de grille de lecture, de regarder au-delà de la couche des transcripteurs du Moyen Age pour découvrir un mythe exceptionnel. Nous y découvrons un féminin flamboyant qui fait le bon choix, choisi le Bon Père, se régénère à la source sacrée et qui dans une course folle crée la rivière Boyne. Un processus d’individuation magistral. Une figure à ne pas laisser passer, un mythe qui, délivré des couches du patriarcat, se révèle une fabuleuse saga du déploiement intérieur. Une leçon donnée par la tradition des Celtes, une vision majeure d’un féminin autonome et créateur, tel que nous pouvons le percevoir à travers les anciens textes et les anciennes lois de l’Irlande.

La « druidesse » a t-elle existé ?

Le statut si naturel accordé aux femmes dans la société celtique, n’aurait pu être engendré par un traitement différent sur d’autres plans, ou alors, en tant que particularité clairement identifiable dans les mythes, ce qui n’est pas le cas. Dans les textes irlandais nous rencontrons fréquemment les termes de ban-bard pour désigner une « femme-barde », ban-file pour « femme-poète », ban-éces pour « femme-sage » ou encore ban-drui pour littéralement « femme-druide », le mot « druis » étant accepté de facto comme le terme désignant le druide dans l’antiquité. L’existence du terme signifie la réalité de la fonction, si nous l’acceptons pour « le » druide, on se doit de le reconnaître pour « la » et Guyonvarc’h & Leroux de déclarer, contrairement à leur affirmation habituelle, que « Les mots drui, file, faith ainsi que nous le verrons fréquemment, sont susceptibles d’être employés l’un pour l’autre, surtout quand il s’agit de femmes, lesquelles sont nommées alors indifféremment bandrui, banfile, banfaith[1] ».

Dans les textes, par exemple lors de la bataille de Magh Tuiredh, la traduction atteste clairement de l’acte magique de trois druidesses, magie qui depuis Guyonvarc’h est connue comme prérogative du druide  : « Avant la bataille, les Tuatha de Danann envoyèrent leurs trois druidesses, Morrigan, Nemain et Macha qui déchaînèrent une pluie de feu et de sang sur Tara afin d’assombrir les cœurs des guerriers Fir Bolg et leurs druides eurent bien du mal à repousser cette terrifiante magie. ».

L’image romantique des druides qui nous est parvenue du XVIIème siècle nous offre celle caricaturée d’un druide homme, et forcément barbu. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la photo prise le 15 août 1908 lors de l’Initiation de Winston Churchill dans l’Albion Lodge du Ancient Order of Druids à Blenheim et les derniers travaux de Guyonvarc’h affirment que les druides étaient des hommes, reléguant, en un schéma dualiste, les femmes à des rangs subalternes et sorciers. Alors que la structure même de la société celtique porte en elle la fonction de la femme à son rôle le plus juste, nous ne pouvons, confortés en cela par les textes et les mythes, qu’attester que la femme jouait un rôle religieux tout aussi influant que l’homme.

D’autres textes irlandais mentionnent la « druidesse » et Françoise Leroux de le mentionner dans l’édition de 1961 Les Druides :   « Que dans les meilleurs morceaux des cycles irlandais et gallois, où la saveur païenne est la plus authentique, la poétesse (ban-file) ou la druidesse (ban-drui) sont des figures familières »[2].

Lorsque les hommes et les femmes sont séparés, c’est une particularité suffisamment originale pour qu’elle soit parfaitement précisée. Nous pouvons cependant identifier qu’il n’y a pas d’assujettissement de l’un  à l’autre, ni de cloisonnement de l’un au détriment de l’autre, ce sont les deux qui sont isolés et ceci dans un cadre très particulier, par exemple celui des contrats de mariage. Nous en trouvons un exemple lors de la foire de Tailtiu durant laquelle se contractaient les mariages ou les allégeances d’amitié : « […] une coutume observée à cette assemblée était que les hommes se mettaient d’un côté et les femmes de l’autre pendant que les pères et les mères établissaient les contrats. Chaque couple qui avait établi traité et contrat était marié, comme le dit le poète : Les femmes ne doivent pas approcher des hommes beaux et brillants ; Les hommes ne doivent pas approcher des femmes. Mais chacun doit rester à part à l’endroit de la grande foire. [3] »

Mais revenons au sacerdoce, un extrait des œuvres de Tacite nous en donne un autre exemple : « Après lui, les Bretons eurent pour gouverneur Suetonius Paullinus, que ses talents militaires et la voix publique, qui ne laisse jamais le mérite sans rival, donnaient pour émule à Corbulon. […] L’île de Mona [Anglesey], déjà forte par sa population, était encore le repaire de transfuges : il se dispose à l’attaquer, et construit des navires dont la carène fut assez plate pour aborder sur une plage basse et sans rives certaines. Ils servirent à passer les fantassins ; la cavalerie suivit à gué ou à la nage, selon la profondeur des eaux. L’ennemi bordait le rivage : à travers ses bataillons épais et hérissés de fer, couraient, semblables aux Furies, des femmes échevelées, en vêtements lugubres, agitant des torches ardentes ; et des druides, rangés à l’entour, levaient les mains vers le ciel avec d’horribles prières. Une vue si nouvelle étonna les courages, au point que les soldats, comme si leurs membres eussent été glacés, s’offraient immobiles aux coups de l’ennemi. [4] »

Cet extrait de texte est très souvent commenté, décrivant les femmes comme des furies, sans être druides. Cependant si nous prenons le temps d’écouter chaque mot nous entendons qu’elles portent le feu or le feu est un élément magique réservé aux druides  : « Les druides sont aussi les maîtres du feu et c’est le feu du druide le plus puissant, le plus habile en magie, qui l’emporte [5]».

Il est impensable dans ces conditions que les druides hommes aient laissé porter le feu par des femmes s’ils les jugeaient inaptes à la plus haute magie.

Alexandre Caban. La druidesse

D’autre part, Tacite n’est pas Celte, il ne peut comparer qu’à l’environnement qui est le sien et où la femme est infériorisée : des femmes assujetties qui dans ce cadre ne peuvent être que des « furies », femmes échevelées en vêtements lugubres. Mais elles sont bien aux côtés des druides, faisant autant de chahut qu’eux, quand ils font « d’horribles prières ».

Un autre exemple peut être pris à propos des femmes Cimbres, en général assimilées aux femmes celtes, qui réclament leur droit à la liberté et au sacerdoce dans un nouveau contexte qui leur refuse :

« Leur mort [la mort des femmes des Cimbres] fut aussi spectaculaire que leur résistance. Ayant en effet envoyé une ambassade à Marius pour lui demander la liberté et le sacerdoce, elles essuyèrent un refus – le droit religieux ne le permettait pas – et, après avoir étouffé et écrasé pêle-mêle leurs enfants, elles tombèrent sous les coups qu’elles se portèrent mutuellement, ou bien, confectionnant un lien avec leurs chevelures, se pendirent aux arbres et aux timons des chariots »[6]. Il semble assez clair que le droit à la liberté et au sacerdoce est pour ces femmes suffisamment vital, habituel, pour que l’impossibilité d’en jouir amène au suicide.

Un autre exemple cité par Pomponius Mela nous est connu : « L’île de Sena, située dans la mer Britannique, en face des Ossismes, est renommée par son oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à la virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents, de soulever les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l’avenir, faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter. »

Le pouvoir de déchainer les vents, de soulever des mers, de se métamorphoser, guérir des maux nous montre que les femmes n’étaient pas réduites à « prédire l’avenir ». (ce qu’elles font en plus). Tous ces possibles magiques sont attribués aux druides hommes de l’antiquité. Ici il s’agit de femmes, en quoi cela diffère t-il ?

Ou encore chez Strabon :

« Dans l’Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de l’embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d’étendue, qu’habitent soi-disant les femmes des Namnètes. Ces femmes, possédées de la fureur bachique, cherchent, par des mystères et d’autres cérémonies religieuses, à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu’elles sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur île. »[7]

Ici elles tentent de désarmer et d’apaiser un dieu, le rapport à la divinité est direct. Rôles des druides hommes, ici il s’agit de femmes, en quoi cela diffère t-il ?

Les spécialistes ne se sont jamais assez penchés sur ces extraits de textes. Il est pourtant particulièrement intéressant de les analyser sous l’angle celtique, dans l’esprit du temps c’est-à-dire dans le contexte du statut de la femme celte. La « virginité » possède un tout autre sens que celui dans lequel nous l’interprétons aujourd’hui et le rôle religieux des femmes se trouve confirmé par ces témoignages qui, s’ils sont emprunts de la vision univoque de leur auteur, n’en sont pas moins des témoignages. D’autre part, même dans les sociétés où la femme n’a pas l’équivalent social de la femme celte, comme en Grèce ou à Rome, elle jouit dans le domaine du sacré d’une place privilégiée : « La prêtresse d’Athéna Polias à Athènes occupe le premier sacerdoce de la cité […] La prêtresse d’Artémis, reçoit de chaque victime offerte dans un sacrifice public le morceau de choix »[8].

Comment cela aurait-il pu être pire chez un peuple aux femmes libres et autonomes ?

Extrait de « La femme dans la société celte » Sylvie Verchère, Edition du Cygne 2014, suivi par :

  • Femmes prophétesses
  • La magicienne ou la sorcière
  • La femme et le sacrifice
  • Enseignante et initiatrice

[1] Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, P40

[2] Françoise Leroux, Les Druides, PUF, 1961

[3] Christian Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Les fêtes Celtiques, Ouest France, 1995, p 22

[4] Tacite, Annales, XIV, 29-30, trad. J.L. Burnouf, 1903, Paris, Hachette.

[5] C. Guyonvarc’h et F. Leroux, Les Druides, Ouest France, 1987, p 167

[6] Florus, Tableau de l’Histoire romaine de Romulus à Auguste, I, 38, trad. Paul Jal, 1967, Paris, les Belles Lettres.

[7] IV, 1 – La Narbonnaise, in Agnès Vinas, 2004-2010

http://www.mediterranees.net/geographie/strabon/sommaire.html

[8] Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 399

Parution aux Editions Véga Trédaniel

Les mythes racontent des histoires, ils racontent nos histoires, toutes les mouvances intérieures qui nous agitent, nous blessent ou nous enchantent. La vraie question est « quel est notre mythe personnel ? » en réalité nous sommes chevauchés par différents process qui peuvent au fil du temps changer, onduler, chatoyer différemment suivant nos pensées, nos actes, nos choix et le courage que nous mettons à les agir, les faire vivre, les incarner.

Parfois c’est délicieux, facile. D’autre fois c’est pénible, douloureux. C’est souvent à ce moment là que nous cherchons de l’aide, l’écoute, la parole amie, la prière, mais c’est ici que les mythes peuvent nous accompagner, car ils connaissent Le Chemin, le chemin qu’ils parcourent depuis la nuit des temps, depuis les premières humanités. C’est en eux que nous pouvons trouver l’écho de nos affres intérieures et en eux que se dessinent les possibles rédemptions, les possibles libérations, les possibles guérisons. Et les célébrations de la Vie !

Je me suis attachée dans cet ouvrage à faire éclore le message du mythe. Les féminins joyeux, aimant, puissant, les blessés, les attachés, les perdus, les vilains, les sorciers, tous ces possibles sont approchés avec respect, juste écouter leur souffle et leur message.

Je dis bien féminin, car il évident que tout cela ne parle pas qu’aux femmes mais aussi aux ailes ondulées, colorés ou flétries de l’Anima des hommes.

Oracle des Gardiennes des Mythes

Journal poétique : Parler, toucher, jouir

Fabienne FOrelLa photo ne rend pas justice à la réalité de l’ouvrage reçu ce matin. Je reste un peu coite : ce n’est pas juste « un journal », c’est de l’âme poétique à l’état pur, un frisson de la rivière, c’est magnifique. Le format, le papier, la mise en page, les extraits, les textes, les photos et les images. C’est le féminin dans toute la beauté de son incarnation, dans sa chair vivante, dans son eau mystérieuse. Une Ode… Coite parce que j’ai la joie profonde d’y rencontrer mes mots, ceux de divines inspirées et des images chargées de palpitation vitale, de chair, et qui plus est, côte à côte avec Alice Heit. Edition limitée, je vous conseille vite de le commander auprès de Fabienne Forel.

Archétypes, féminins

imagesNous voyons fleurir, ci et là, des listes d’Archétypes du féminin. Le paysage commence à ressembler à une véritable jungle qui va de la Terre-Mère à la Sainte, de la Guerrière à la Prêtresse et  de ma Sorcière Bien-aimée à la Reine des fleurs. Osons faire un petit détour sur les Archétypes féminins tel que les a proposés Jung et ses successeurs pour enfin reprendre avec précision la définition d’un Archétype.

Jung nous parle un peu de l’Animus et un peu de la Déesse-Mère. Il parle un peu de la face lunaire du féminin mais laisse ce travail à Esther Harding dont l’ouvrage Les Mystères de la femme est devenu une référence. Pour plus de concision référons-nous à Rolande Biès, qui se reposant sur les thèses de Jung, définit pour la femme quatre archétypes majeurs : La Mère-Épouse, l’Hétaïre, l’Amazone et la Médiale

Voici les descriptions qu’elle en donne :

« La Mère : son esprit étant dirigé vers l’avenir, elle nourrira, éduquera, soignera, encouragera ses enfants. Son aspect négatif sera l’étouffement, l’appropriation de l’enfant, la difficulté de la défusion. Souvent possessive, la mère est celle qui n’aime guère voir s’égailler les poussins[1]. »

 « L’Hétaïre s’attache à la psychologie de l’époux. Elle exige une relation dans la profondeur, voir dans le domaine spirituel. Elle ignore en elle l’aspect maternel ou le sacrifie sans peine ; mais elle peut aussi faire courir au couple qu’elle a devant elle et où elle va s’introduire le risque du divorce. Celui-ci obtenu, – non sans réticence de la part du mari, lequel est d’ailleurs fidèle moins par fidélité que par paresse -, le couple une fois brisé, elle ne veut plus de cet homme-là : « On ne pouvait vraiment par avoir confiance en lui ! » [2] »

 « L’Amazone joue les indépendantes. Ce qui lui est facilité par des études lui permettant de gagner sa vie sans rien devoir à personne. La liberté financière est un acquis important, ajouté à la contraception ; – les deux facettes de la profonde révolution de notre époque. La liberté financière rend la femme libre de l’homme ; et la contraception la rend plus consciente, tout en renforçant l’inconscient, donc le doute et l’incertitude de son comportement, que l’avortement viendra accroître avec « la mauvaise conscience » : aucune femme n’en sort indemne. L’Amazone est une rivale pour l’homme. Elle n’en a pas moins de l’ambition pour lui, qui cherche davantage a être reconnu par la société qu’à réussir l’amour du couple. Chez elle, l’Animus est exigeant d’elle-même ; elle demande peu à l’homme, car elle n’ignore pas que celui-ci prend – conquiert – plus qu’il ne donne[3]. »

« La Médiale : sa fonction Intuition prime les trois autres, qui peuvent s’estomper d’autant plus aisément que l’Intuition aspire fortement au spirituel. Elle plonge dans l’inconscient collectif, où vivent tous les possibles ; elle pressent, exprime ce qui flotte dans l' »air du temps » et qui se manifestera plus tard[4]. »

Pouvons-nous, vraiment, souscrire à ces figures, telles qu’elles sont proposées ? Encensées, comme Athéna, la Femme patriarcale, peut l’être, elles projettent une aura numineuse et mystérieuse, mais ce rayonnement rejette dans l’ombre la complétude de leur réalité.

La figure de la mère se limite-t-elle à nourrir, éduquer, soigner et encourager ? Le père ne peut-il pas, lui aussi, pourvoir à ces besoins ? Ce qui n’est pas dit de la mère c’est ce qui fait sa réelle caractéristique et que ne peut pas faire le masculin : une mère met au monde ! Une mère accouche, elle écarte les jambes et dans la sueur, le sang et les larmes, elle donne la vie. La mère qui nous est présentée par Rolande Biès est la mère « vierge » qui n’a pas de sexe pour accoucher, pas de sexe pour copuler, celle de nos Pères, celle de notre culture. Il est dit que l’enfant divin est né, mais qui parle des contractions de sa mère, de son souffle haché, de son sang ? Qui parle de cet anus que frôle l’enfant à sa première heure ? C’est pourtant une réalité, une vérité première, que la mère est d’abord et surtout celle qui pousse et qui geint, qui défèque et saigne en mettant au monde. Elle est celle dont la magie du corps permet cette ouverture du col de l’utérus et de la vulve : La Vénus de Göbekli Tepe, les jambes écartées, la vulve béante. Pourquoi réserver au féminin de pouvoir tenir dans ses bras l’enfant chéri ? Le protéger, le regarder grandir, l’accompagner dans sa course vivante ? L’acte de mettre au monde est relégué à un acte mécanique, sans aucune valeur « sacrée », on n’en parle pas ! Pourtant c’est bien la fonction majeure du féminin Mère ! Amputée de sa fonction première le féminin se retrouve relégué à nourrir, éduquer, soigner, consoler, spoliant par là même le père de ces mêmes possibles.

Oui La Mère est une figure archétypique du Féminin, mais avant tout dans sa posture de parturiente, dans son acte « créateur ». Elle couve mais elle s’ouvre aussi, elle se déchire. Chaque mère humaine vit cette expérience, l’archétype la traverse. Le corps féminin connait cette expérience depuis la nuit des temps et l’âme peut aussi, lors de  naissance psychique, en vivre les étapes.

De manière littérale, ἑταίρα / hetaíra signifie « bonne amie ». Dans la Grèce antique, ces scene-erotique-entre-un-jeune-homme-et-une-prostituee-grecquebonnes amies tenaient compagnie aux hommes, souvent de manière sexuelle tout en étant totalement indépendantes. Littéralement, l’hétaïre est une « prostituée d’un rang social élevé ! » une courtisane, une call-girl, une « pute » ! La grande force de la pute nous est présentée dans sa grande indépendance (de l’homme). Vraiment ? La pute des bas quartiers comme l’hétaïre de la jet société, si elle n’est pas « assujettie » à un époux, est-elle vraiment libre d’elle-même, de son corps, qui de fait appartient à tous les hommes, dont elle dépend pour vivre ? La toile de Léonor Fini, le Carcan, illustre parfaitement ce clivage imposé au féminin, pute ou soumise, pute ou mère sans sexe. Cette prétendue liberté nous est ici proposée comme une calamité, cette femme brise les ménages et se joue de l’homme comme d’un kleenex. L’Amazone n’est pas très différente si ce n’est qu’elle est moins manipulatrice et plus « guerrière ». De toutes les façons, pour la femme l’amour n’est possible que par le mariage et la maternité, hors du pacte point de salut.

téléchargement (1)Le seul autre possible d’une réalisation du féminin hormis mère, hétaïre et amazone consiste à devenir une « Médiale ». Mère, pute ou « none », de ces femmes qui vivent leurs extases érotiques à travers l’union extatique avec Dieu, ou son représentant le Christ, et pour Lacan « il ne fait aucun doute que Sainte Thérèse d’Avila jouit[5]. »

La femme n’est-elle, en définitive, qu’une mère, une pute ou une religieuse ? Où se trouve la femme vivante, en possession de tous ses moyens, y compris sexuels ? Son courage, sa force ? Où se trouvent les caractéristiques d’Artémis la justicière, Isis la magicienne, Aphrodite l’excitée ?  Nous n’avons ici même pas trace de Muse, de celle qui inspire, pas non plus de féminin complice, alter-égo. Si nous leur devons d’avoir débroussaillé le chemin fertile qui mène à nos sources archétypales, nous devons bien admettre que ces Figures proposées sont liées à leur temps, à leur époque.

Dans une vidéo de Baglis TV, Csilla Kemenczei nous présente une vision plus moderne, mais surtout plus réaliste, des archétypes du Féminin. « Dans son état primordial de Terre mère matricielle, la femme représente la toute-puissance indifférenciée. Ceci est le premier regard de la femme vis-à-vis de son propre mystère, un regard qui l’oblige à traverser sa nuit intérieure et explorer ses fondements ultimes. De la découverte de cette puissance indifférenciée émerge alors une conscience qui est incarnée par la Déesse Mère. C’est l’instant où la conscience rencontre la nature et la déesse sort des viscères de la terre. Entité supérieure, la déesse mère est aussi une muse qui possède les clés des mondes visibles et invisibles. Elle est à la fois révélatrice et double, créatrice et destructrice. En devenant femme et épouse, elle sera amenée à transformer cette dualité en dualisme. Elle devra alors garder la flamme vivace et enseigner l’Amour à l’homme dans l’union de leur couple[6]… »

Mais nos vies et nos expériences de femmes doivent rajouter à cela, ce qui fait de nous, aussi, des Justicières (Artémis), des Amoureuses (Aphrodite), des Magiciennes (Isis), tout aussi bien que des Malheureuses (Blodeuwedd), des Bafouées (Écho) … La liste devient longue…

Plutôt que de nous perdre dans la lignée sans fin des Archétypes, revenons à leur source et à leur sens premier.

220px-Empedocles_in_Thomas_Stanley_History_of_PhilosophyUne première mention de l’archétype est faite par Empédocle, Ve AEC qui professait l’existence de deux soleils dont « l’un archétype, feu qui remplit constamment l’un des deux hémisphères du monde et se reflète au sommet de cet hémisphère ; l’autre, le soleil apparent, est ce reflet même, invisible dans l’autre hémisphère […] Pour parler plus brièvement, le soleil est un reflet du feu entourant la terre[7]. » Il est déjà question d’un modèle et de son reflet. De son côté Platon désignait, sous les termes de « forme » (εἶδος) ou « idée » (ἰδέα), des réalités idéales, indépendantes de l’intellect, modèles de toutes choses, et dont les composantes du monde réel ne seraient que le reflet, seul intelligible. Platon distingue d’une part l’Idée, « qui reste identique à soi-même en tant qu’Idée, qui ne naît ni ne meurt, ni ne reçoit rien venu d’ailleurs, ni non plus ne se rend nulle part, qui n’est accessible ni à la vue ni à un autre sens et que donc l’intellection a pour rôle d’examiner », et d’autre part le « simulacre » (εἴδωλον) « qui a même nom et qui est semblable, mais qui est sensible, qui naît, qui est toujours en mouvement, qui surgit en quelque lieu pour en disparaître ensuite et qui est accessible à l’opinion accompagnée de sensation. » Plus tard Clément d’Alexandrie affirme dans le deuxième livre des Stromates (II, 8), que « l’homme est à l’image de son archétype ». Dans son Principia philosophiae, Descartes écrit qu’il est « impossible que nous ayons l’idée ou l’image de quoi que ce soit, s’il n’y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne […] toutes les perfections qui nous sont […] représentées ». Il considère deux  états des choses, l’un ectypal ou naturel, l’autre archétypal et éternel. «  Le premier se caractériserait par le fait qu’il aurait été “créé dans le temps”, alors que le second existerait “de toute éternité dans l’esprit de Dieu” ».

Jung se réfère souvent à Schopenhauer pour qui les « formes originales » sont téléchargementdénommées « prototypes ». Il se réfère aussi à Adolf Bastian, fondateur de l’école allemande d’ethnologie qui estimait que, «comme les chiens aboient partout et comme les coucous poussent en tout lieu le même cri, les hommes ont tous les mêmes conceptions originelles, susceptibles de développements historiques particuliers, en fonction de l’environnement. « Selon sa théorie, développée en 1895 au long des deux volumes intitulés Ethnische Elementargedanken in der Lehre vom Menschen, il conviendrait de distinguer les Volkergedanken (« idées populaires ») des Elementargedanken (« idées élémentaires »). Les Volkergedanken, incluant les contes, mythes, proverbes et autres éléments de la littérature orale seraient caractéristiques d’une culture donnée, et autant de manifestations particulières des Elementargedanken qui, par contre, se trouveraient dans toutes les cultures et toutes les mythologies du monde, préfigurant donc les “archétypes” jungiens. Pour Bastian, il s’agirait là d’images universelles, transculturelles et transhistoriques, dont chaque individu porterait un stock inné, ce qui fait que, dit-il, “ces pensées élémentaires apparaissent sous diverses formes en Inde, à Babylone, et même par exemple, dans les contes des mers du sud”[8]. »

Ce tour très rapide de la notion d’archétype nous permet de constater qu’effectivement Jung n’a rien inventé, ni découvert. Mais, et c’est ce qui fait la différence, il a « observé » les manifestations archétypales. Observer les manifestations et non pas les archétypes eux-mêmes, car suivant les descriptions que  nous venons de lire et celles données par Jung, l’archétype en lui-même ne peut pas s’appréhender. Il est hors champ, inaccessible à la conscience. Ce que nous pouvons voir c’est sa manifestation, dans les rêves, « car on trouve dans beaucoup de rêves, des images et des associations analogues aux idées, aux mythes et aux rites des primitifs. Ces images oniriques sont été appelées par Freud des “résidus archaïques”. L’expression suggère qu’elles sont des éléments psychiques datant de temps lointains qui survivent dans l’esprit humain[9]. » Nous pouvons les observer aussi dans les contextes et les situations…

La différence majeure entre Jung et ses proches prédécesseurs tient aussi à la nature donnée à l’archétype. Jusque-là il est question d’  « idée », avec Jung nous entrons dans un tout autre domaine, un domaine qui va au-delà de l’idée et de la pensée. Jung rattache les archétypes aux instincts : « Il me faut ici préciser les rapports entre les archétypes et les instincts. Ce que nous appelons « instinct » est une pulsion physiologique, perçue par les sens. Mais ces instincts se manifestent aussi par des fantasmes, et souvent ils révèlent leur présence uniquement par des images symboliques.[…] Ce sont des éléments dynamiques, qui se manifestent par des impulsions tout aussi spontanément que les instincts[10]. » L’instinct comme une pulsion perçue par les sens. Nous connaissons les pyramide_de_maslow_en_couleurinstincts identifiés dans la base de la pyramide de Maslow, de devoir se nourrir, s’abreuver, se reproduire, et tout autant de se défendre, de rechercher la sécurité. Cela ne fait aucun doute pour  nous qui les vivons dans notre chair. Mais ce que  nous vivons aussi dans notre chair, de sensation, de sentiments, de pulsions, de désir… sont tout autant instinctifs, du domaine de l’âme, et c’est là que se situent les manifestations archétypiques. Cette âme qui n’est pas la matière, mais une « qualité » de la matière, et Jung de rajouter : «  la psyché, si vous la considérez comme un phénomène ayant sa place dans les organismes vivants, est une qualité de la matière[11]. » Dans les niveaux supérieurs de la pyramide de Maslow, les besoins d’appartenance, d’estime de soi et de réalisation de soi, sont des instincts dans lesquels se meuvent les manifestations archétypiques. L’idée, la pensée, ne sont que des symptômes, des aboutissements, des cheminements de l’archétype en marche. Les pulsions d’aller vers, de réaliser, d’incarner, de guérir, d’affronter, se trouvent liées à cet instinct psychique et représentent une expérience, avant tout bouleversante : « L’expérience archétypique est une expérience intense et bouleversante. Il nous est facile de parler aussi tranquillement des archétypes, mais se trouver réellement confronté à eux est une tout autre affaire. La différence est la même qu’entre le fait de parler d’un lion et celui de devoir l’affronter. Affronter un lion constitue une expérience intense et effrayante, qui peut marquer durablement la personnalité.[12] »

Il est aisé de reconnaître l’instinct de survie,  celui de se reproduire, de se défendre, ils se manifestent par des faits concrets et physiques, la faim, la soif, le désir, le rejet…Peut-être les amibes ne sont faites que d’instincts : les amibes ont-elles une âme qui les animent ? Nous sommes animés par le besoin d’amour, le besoin d’aimer, de haïr, qu’au fond de nos détresses nous en appelons au Sauveur. Qu’au plus fort de nos pleurs nous appelons « maman ! ». Ces animations répondent à des pattern, car tout en étant subjectifs ils sont les mêmes, dans leurs structures, pour tous les êtres humains. A la suite de Jung, Michel Cazenave écrit au sujet de l’archétype, c’est : « une structure vide servant de matrice virtuelle génératrice de certains types d’images, d’idées, d’émotions ou de comportements », et précise que les archétypes seraient « des invariants de l’âme, des organisateurs inconscients qui ne s’appréhendent que par leurs manifestations […] On les retrouve partout et en tout temps dans les mythes, les contes, les productions imaginaires, les délires des psychotiques ou dans les rêves. […] Les archétypes sont indissociables de la notion d’inconscient collectif dont ils constituent la structure[13]. » . Ce que  nous pouvons observer c’est leurs ressentis, leurs « histoires » dans les trames mythologiques et les croyances religieuses. Jung expliquera à Ernest Jones que « Ce sont des images innées de l’instinct et non de l’intelligence[14]. »

Mais, et c’est ce qui nous importe ici, un Archétype n’est pas le simple modèle d’une Image, « Un archétype est un drame en raccourci. Il commence de telle et telle manière, se développe avec telle et telle complication et aboutit à une résolution de telle et telle sorte[15]. » Un archétype possède un effet suggestif, ainsi en parle Jung : « Prenons, par exemple, l’archétype du gué d’une rivière. C’est une situation complexe. Vous avez à traverser une rivière à gué. Vous êtes dans l’eau et il y a un piège ou un animal aquatique, un crocodile ou quelque chose comme ça. C’est dangereux et il va se passer quelque chose. Le problème est de savoir comment vous en sortir. Voilà la situation. Cela constitue un archétype. Et cet archétype a un effet suggestif sur vous[16]. » Il rajoute : « Un archétype s’inscrit toujours dans une trame factice, avec des représentations à double emploi. L’archétype s’inscrit dans une trame de représentations apparentées entre elles, conduisant toujours à d’autres images archétypiques et se chevauchant constamment les unes les autres, et dont l’ensemble forme le singulier tapis de la vie[17]. »

Nos vies de sont pas que des Images projetées, introjectées, elles sont aussi comme nos rêves nous montrent, des trames, des contextes, des drama, des lyses, les mythes ne parlent que de ça. Ainsi donc il ne suffira pas de s’attacher à une Image, si numineuse soit-elle, si éplorée soit-elle, encore nous faudra-t-il en suivre le parcours, la danse ou le chemin des larmes…

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[1] Une et multiple, la femme selon C.G. Jung par Rolande Biès (PDF à télécharger sur le site cgjung.net)

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/lidee-culture/sainte-therese-davila-jouit-elle

[6] https://www.baglis.tv/ame/psychologie-mythes/387-le-feminin-de-la-femme.html

[7] Jean-Loïc. Le Quellec, Jung et les archétypes : Un mythe contemporain, Sciences Humaines, Kindle, emplacement 818.

[8] Ibid., emplacement 1264-1275.

[9] C.G Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, Folio, 1964, p. 72.

[10] C.G. Jung, L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964 p 69 et 76.

[11] Ernest Jones, Entretiens avec Carl Gustav Jung, Payot, Kindle, emplacement 577.

[12] C.G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, Albin Michel, 1998 p 120.

[13] Michel Cazenave ct in Jean-Loïc. Le Quellec, Jung et les archétypes: Un mythe contemporain, Sciences Humaines, Kindle, emplacement 225.

[14] Ernest Jones, Entretiens avec Carl Gustav Jung, Payot, Kindle, emplacement 311.

[15] Ibid., emplacement 169.

[16] Ibid., emplacement 354.

[17] C.G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, Albin Michel, 1998 p 220.

Figures symboliques du Féminin et du Masculin

Vient de paraître aux éditions du Cygne :

Les figures symboliques du Féminin et du Masculin (de la préhistoire à la mythologie)

Des scènes pariétales de la vieille Europe aux cités-mères, de Catal Hüyük aux temples de Göbekli Tepe, des mégalithes de Malte à celles de Stonehenge, puis des mythes du Japon à ceux de la Mongolie, de ceux de l’Egypte à la Scandinavie, de la Grèce aux Amériques, de Sumer à l’Irlande, l’auteure nous propose un voyage dans la symbolique des figures du Féminin et du Masculin. Elle nous permet de suivre un changement de paradigme. Elle nous révèle le glissement des sociétés matristiques aux dictas du patriarcat et les perceptions du monde qui en découlent par les substrats psychiques que nous développons.

D’une Grande Déesse des origines, le féminin chute jusqu’à devenir Parèdre, Mère, Sorcière, Oiseau de malheur. De l’Homme Vert, Sorcier, Fils Taureau, Fils Amant, Dieu Lune, le masculin s’enlise dans les ornières d’un sacrifice sanglant et cruel.

Ce que nous dit ce fil de l’histoire c’est que même gravées dans la pierre, les croyances ne sont pas immuables et nous avons notre propre responsabilité dans la manière dont nous les agissons.

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Ce livre n’a pas seulement le mérite de mettre au jour les premiers récits mythologiques de l’humanité, il possède également une  forte dimension politique et émancipatrice.

Olivia Gazalé

 

Table des matières et contenus :

La préhistoire
.      Des traces dans la terre
.      La violence innée ou acquise ?
Le Féminin
.      Le sang des femmes
.      Le matristique
La Grande Déesse
.      Le serpent
.      Les Vénus
.      Visible et incarnée (Aataensic, Hurons…)
.      L’ombre de la Déesse
Le Masculin
.      L’Homme-Vert (Cernunos, Celtes …)
.      Le Fils-Taureau
.      Le Dieu-Lune
.      Les Fils-Amants
Hiérogamos, l’union sacrée (Eros et Psyché, Grèce)
Des héritières mythologiques
.      Brigid (Irlande)
.      Boan (Irlande)
.      Artémis (Grèce)
.      Neith (Egypte)
.      Isis et Hathor (Egypte)
L’arrivée des Indo-Iraniens.
.      La distorsion du mythe
.      Le viol de la Déesse
.      Ninhursag et Enki (Sumer)
La mauvaise chute de la Déesse
.      Blodeuwedd (Pays de Galles)
.      La chute de la femme
.      La blessure (Amaterasu, Japon)
Les Déesses qui chutent
.      kam-àmàgàn (Mongolie)
.      So-At-Sa-Ki (Pikumi)
.      Inanna, Ishtar (Sumer, Akkadie)
.      Déméter, Koré (Grèce)
.      Sophia (Grèce)
.      Mélusine (Europe)
.      Les sirènes
Méchante
Le Fils du Père
.      Odin (Scandinave)
.      Lleu (Pays de Galles)
.      Le Christ
Métanoïa
La beauté de la Déesse

 

Cinéma expérimental : Les Eaux Profondes d’Alice Heit

20604539_532443910480693_6105181367908299539_nJ’ai, par quelques textes, le plaisir de participer à un projet que je trouve exceptionnel et audacieux, la création d’un film expérimental sélectionné par Light Cone.

Ce film c’est EAUX PROFONDES d’Alice Heit

Coupées de nos corps et de nos désirs par des siècles d’oppression patriarcale, le continent du plaisir féminin reste encore souvent terra incognita.

LES EAUX PROFONDES ouvre un de ces espaces rares et précieux, où la parole se libère et se partage… Plonge dans les continents mystérieux du plaisir féminin, s’interroge autour de ces « fontaines », qui jaillissent parfois au moment du plaisir sexuel des femmes.

Nous y voyageons, dans un imaginaire « en rhizomes », s’autorisant l’exploration, le jeu, et se nourrissant d’une aspiration profonde à réhabiliter une sexualité féminine riche, joyeuse, et qui retrouve le chemin de ses profondeurs.

Présentation du projet en ligne 

Le projet s’achèvera en Octobre 2017 suite à la résidence post-production au Light Cone à Paris… ensuite commenceront les projections !

Aujourd’hui Alice manque de pellicules pour terminer son projet…Ce mois d’août est le dernier mois de tournage…

Aider Alice : https://www.leetchi.com/c/projets-de-alice-heit

Alice sur FaceBook

 

 

La démonisation de La Grande Déesse chez les Celtes

220px-Sales_contract_Shuruppak_Louvre_AO3760La mythologie et plus exactement la lecture des versions successives des mythes, nous permet d’observer le changement des mentalités, des croyances, et des tendances psychiques qui les a portés. Par exemple la lecture des différentes versions des mythes sumériens, akkadiens ou grecs permet d’observer clairement la lente désacralisation du féminin*, sa relégation à un statut inférieur, soumis, sombre, et pour finir démoniaque. Ainsi pouvons-nous observer que les premiers chants radieux dédiés à Inanna laissent peu à peu la place aux lamentations d’Ishtar. De déesse flamboyante elle devient au fil des récits la « prostituée » du Roi puis le monstre de la nuit. La Déesse est toute puissante dans les inscriptions que Champollion déchiffra sur le fronton du temple qui lui était dédié à Saïs : « je suis tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera » pour terminer par se lamenter dans les Chants de Gasan-gal :

« Je suis la Souveraine, mais à mon temple E-nun-kug, à ma demeure de seigneurie,
L’Eternité de son règne, pour moi, n’a pas été donnée !
Il passe devant moi, dans les lamentions et les larmes !
A cause du temple, lieu d’euphorie où se tenaient les Têtes Noires
Loin de ces fêtes, leur fureur et leur détresse redoublent.
Devant cette Tempête écrasante, sur mon temple, lieu de bonheur
Sur mon temple saint ruiné, on ne jette plus les yeux !
Le cœur déchiré, des lamentations de douleur. »
(Chant III)

Inanna1Après avoir été la Reine du Ciel et de la Terre, elle devient tout d’abord la « parèdre », la « prostituée », puis peu à peu le démon, le serpent perfide, l’ombre et la dévoreuse. Cette démonisation ne semble pas avoir totalement aboutit dans la refonte des mythes Egyptiens ou Japonais. Isis, bien que devenue la femme « de» Osiris ne se retrouve pas tel un ange noir déchu et Amaterasu au Japon retrouve le trône de son ciel.  La mythologie des Celtes conserve aussi de nombreuses figures féminines maintenues et reconnues dans leur souveraineté et leur autonomie, telle Etaine renouant avec sa part solaire dans les bras de Midir1 ou Mebd reine en son royaume dans la Razzia des vaches de Colley. Cependant quelques-unes nous démontrent que cette démonisation fut à l’œuvre et put dans certains cas, certains lieux, aboutir. Les souffrances de Macha en Irlande et le conte de Blodeuwedd au Pays de Galles en sont de parfaits exemples. Dans le Mabinogi gallois  le schéma suit la trame identifié dans les mythes sumériens de la désacralisation du féminin, de son « formatage » en femme servile, jolie, faire – valoir, sans cervelle, sans autonomie, et par évidence répondant aux dictats du patriarcat « d’être vierge puis fidèle ». Il continue sur la révolte du féminin, sa tentative d’émancipation, sa défaite et pour finir sa démonisation.

Le Féminin sacré est dans un premier temps violenté, abusé (Arianrhod doit sauter par-dessus une baguette pour attester de sa « virginité ») dans le but de lui extirper le pouvoir de force. Ce  n’est plus le Féminin qui octroie au roi « l’amitié de ses cuisses », comme il était de coutume (toute symbolique soit-elle) dans la Tradition des Celtes et tout aussi bien (concrètement) à Sumer, mais le roi qui prend possession du Ventre.

Le Féminin avide de vengeance, en colère, en révolte, refuse de reconnaitre les fils issus de ce viol qui ne peuvent que suivre le nouveau chemin tracé par le patriarcat. Eux –même n’auront que le choix de s’engouffrer dans la mort et l’oubli, tel Dylan rejoignant les Océans maternels, ou Lleu « éduqué » par « le » druide.  Ce rejet de l’enfant du patriarcat par la mère divine se rencontre dans différents mythes que nous aurons l’occasion d’étudier ultérieurement.

La Divine écartée les « hommes » fabriquent un féminin utile à leurs dessins, une femme qu’ils « créent » avec des fleurs, dépossédée de ses prérogatives et de son autonomie, de son essence originale : Blodeuwedd. Lorsque Blodeuwedd prend un amant elle se comporte en femme adultère, pécheresse, mauvaise, suivant les critères patriarcaux, alors qu’en définitive elle ne fait que tenter de retrouver le chemin de son Essence sacrée. Comme dans les mythes de Sumer l’homme sauvage, le « green man », Enkidu, ici l’amant de Blodeuwedd, le chasseur, représente la possibilité, la tentative de renouer avec Sa Nature, restaurer son royaume et sa légitimité. Nous pouvons nous attarder sur un passage qui jusque-là peut sembler très obscur. Nous savons par les textes irlandais que les ébats amoureux de La Morrigane et du Dagda se passent au gué d’une rivière : « Le Dagda avait une maison dans le nord. Il avait cependant rendez-vous de femme cette année-là, à la fête de Samain de la bataille à Glenn Etinn. La rivière Unius de Connaught y gronde au sud. Il vit la femme en Unius en Corann, se lavant, l’un de ses deux pieds à Allod Echae, c’est-à-dire Echumed, devant l’eau au sud, et l’autre à Loscuin devant l’eau, au nord. Elle avait neuf tresses libres sur la tête. Le Dagda lui parla et ils firent une union. Le Lit du Couple est le nom de l’endroit à cause de cela.2 » Passage symbolique d’un lien entre deux rives, de deux fonctions pouvant se rejoindre « au bord de l’eau ». Dans le Mabinoggi la situation « au bord » de la rivière représente la possibilité de tuer Lleu car pour pouvoir le tuer : « on devrait me préparer un bain au bord d’une rivière … 3» puis un pied de chaque côté, l’un sur un bouc l’autre sur une cuve, il pourrait être abattu. En quelque sorte tenter de réinstaurer le lien d’amour et de reconnaissance de l’autre dans son intégrité majeure représente effectivement la possibilité unique de couper court à la montée du mouvement patriarcal car il permettrait la restauration d’un Féminin Sacré dans son entière émanation.

Comme dans tous les mythes où la démonisation est aboutie (Mélusine, La ville d’Is etc.) le Féminin se retrouve exclu, égaré, éloigné, relégué dans les nuits sombres, dragon, sorcière, monstre. Ce féminin qui durant des milliers d’années caracolait accompagné d’un lion flamboyant, d’un taureau majestueux se retrouve alors, esseulé, sous la forme d’une chouette, d’un hibou de malheur.chouette-hulotte-chasse-347541

L’épisode du Mabinogi nous livre des précieux renseignements sur les mystères de la Déesse, ses atours, ses magies, sur l’appropriation faite par les mages du patriarcat, mais un article ne suffira pas pour en faire l’étude et ce sera le thème d’une étude ultérieure.

Quoiqu’il en soit nous avons sous les yeux les trames d’un changement graduel de société, y compris dans la société celte qui fut une des moins touchée par l’invertion. Nous avons aussi des indications précises sur l’impact de ces postures psychiques et sur les méandres de notre âme qui virevolte, subie, se rebelle ou cherche les chemins de son Essence. Les pistes qui mènent aux sources du Féminin sacré se révèlent douloureuses et sombres, cependant elles mènent toutes en un lieu de joie, de vie, un Sydhe, une île aux Pommiers … Et ce lieu aux Arbres sacrés de la Déesse nous le trouvons de Sumer à la Grèce, de Catal Höyük à l’Irlande …

  • Françoise Gange, Les Dieux menteurs
  1. Sylvie Verchère Merle, Le Féminin solaire dans la mythologie, Du Cygne, 2016.
  2. Guyonvarc’h, Textes Mythologiques Irlandais, Ogam Celticum, I, 1, P. 53.
  3. Y. Lambert, Les Quatre branches du Mabinogi, Gallimard, P. 114.