Scène du puits, Lascaux, lecture imaginale

Grotte de Lascaux, Scène du puits © N. Aujoulat – Centre national de préhistoire – Ministère de la Culture

L’exposition 2023 « Arts et Préhistoire » nous partage cette image accompagnée de ce post :

« Peint sur les parois de la grotte de Lascaux, cet ensemble d’images est l’un des rares de tout l’art paléolithique à avoir été considéré comme une « scène ». On y voit un homme étendu entouré d’animaux. Que signifie cette image ?

Pour certains, il s’agit simplement d’un accident de chasse ou d’un voyage chamanique. D’autres y voient plutôt une représentation symbolique. Elle porterait une vision sexualisée du monde ou signalerait l’arrivée près d’un puits, une zone dangereuse où l’on risque de s’intoxiquer par accumulation de gaz carbonique.

Et qu’en est-il des animaux autour de l’homme ? S’agit-il d’animaux totémiques ou sont-ils les protagonistes d’un rêve animalier ? Les interprétations sont nombreuses mais elles font l’impasse sur un détail : le rhinocéros se distingue du reste de la composition. Elles oublient aussi qu’un cheval avait partiellement été dessiné sur la paroi d’en face. »

En tant que première scène connue représentée sur une paroi préhistorique, cet élément mérite que l’on y apporte grande attention. En effet, elle peut vouloir dire tellement de choses, y compris représenter par un simple dessin une scène vécue, une simple situation. Mais que se passe t’il si nous la regardons comme une production psychique projetée sur la pierre, une sorte de rêve éveillé, une inspiration induite par l’inconscient, un rêve, un schéma mythique et archétypal ?

Sur le plan de l’observation nous voyons un taureau dont les cornes sont comme penchées vers un homme allongé. Ce taureau possède des sortes de grosses poches sous le ventre. Des testicules ? L’homme est allongé, comme mort mais il est ithyphallique. Il est nu et comme sans défense. Devant se trouve un petit oiseau, qui n’est pas un charognard, ni un oiseau de proie, posé sur un bâton bien droit. Il semble y avoir 2 flèches, dont une partant du cul du taureau dirigée vers le bas, une autre remontant. Plus loin, devant, derrière ? un rhinocéros avec la queue dans une étrange position, comme s’il déféquait. Le post fait mention d’un cheval, en face, que nous ne voyons pas.

Sur le plan des associations nous pouvons avancer que le taureau s’associe à la force et à la puissance masculine, à sa puissance de reproduction, sexuelle. Ses cornes sont tournées vers l’homme comme s’il l’avait lui-même mis dans cette situation ou comme s’il le regardait avec compassion. Ses poches ressemblent à deux gros testicules et confirmeraient l’association avec la puissance sexuelle et procréatrice.

L’homme est nu, nu comme un ver, sans fards, totalement lui-même dans son essence première. Tout en semblant mort son sexe est en érection. L’image semble relier l’essence de l’être, authentique (nu) mort et en même temps très vivant et désirant, une sorte de puissance de vie, dans la mort. Le sexe en érection fait écho aux cornes du taureau, tendues, pointues, dirigées.  Les flèches semblent indiquer un mouvement descendant puis ascendant, une courbe « raide » un mouvement de l’ordre des fonctions masculines (percée, pénétration, direction) avec ici une dynamique de descendre (mourir) puis remonter (renaître)

L’oiseau est assez étrange dans ce contexte. Il s’agit d’un petit oiseau chanteur pour le différencier des charognards et des oiseaux de proie avec donc une notion de vie, de joie de vivre, avec la sensation d’appartenance au ciel, aux idées, aux éléments psychiques vivants dans la psyché. Le fait qu’il soit sur un bâton est encore plus étrange, ces oiseaux ne se posent que rarement de cette manière. Le bâton est assez phallique, masculin, comme s’il ancrait, donnait le pouvoir d’action.

Le rhinocéros est encore plus étrange, il part, ou il devance, ou bien est la conséquence. A-t-il quelque chose à voir avec l’ensemble ? Est-il en train de déféquer ? Dans quel cas il libère ses déchets, aboutit sa digestion, se libère, change de plan.

Nous ne voyons pas le cheval donc nous ne savons pas à quoi il ressemble mais nous savons qu’il est « en face ».

Sur le plan des amplifications cela devient très surprenant. Le taureau est lié aux cornes lunaires masculines des croyances les plus anciennes. Ce taureau comme la lune est sujet à mort et renaissance, de manière à régénérer la vie. Les dieux archaïques taureaux sont légion et parmi eux se trouve Osiris. Est-il besoin d’aller plus loin dans le détail quand nous avons sous les yeux un homme à la fois mort et vivant, mort tout en ayant le phallus en érection accompagné d’un oiseau actif ? Se pourrait-il que nous ayons sous les yeux la première représentation d’un schéma que nous connaissons bien, très bien, celui d’Isis oiseau sur le phallus dressé d’un Osiris, dieu Lune, mort et renaissant dans la mort ? Se pourrait-il que ce soit là une production « imaginale » (non imaginaire) de cet archétype majeur de la saga osirienne ? Le rhinocéros ne venant que confirmer ce fait d’un masculin renaissant « autre » et délesté des scories ? Le cheval, force féminine très présente dans les mythologies du monde entier, comme « pendant » à la geste masculine, « en face de » ?

Je vous laisse avec les Images.  Que voyez – vous ? Qu’intégrez-vous ?

Le féminin lunaire, féminin du patriarcat ?

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La Femme dans la société celte, Le Féminin solaire dans la mythologie, Les Figures symboliques du Féminin et du Masculin, sont le fruit d’un travail de dizaines d’années, de travail intérieur (analyse jungienne et psychosynthèse), d’observation, d’études poussées de l’histoire, de la mythologie, des religions, des spiritualités, de voyages et d’expériences in situ. Le fruit de l’accompagnement aussi, de femmes et d’hommes dans le lent et difficile accouchement de leur âme. Ce travail m’a menée inexorablement à une réalité surprenante et bouleversante. Les anciens l’ont exprimé, sous les couches vibrantes archétypales se love un Féminin sacré, sa fécondité, sa joie et sa force. Notre féminin divin est aujourd’hui amputé d’une grande partie de son essence, il ne reste de lui que sa fonction maternelle et consolatrice. Mais avant il possédait une force et un rayonnement créateur indéniable. Les vielles déesses que sont, par exemple, Isis, Amaterasu, Sol, Aetensick etc. en portent encore grandement les attributs. Se trouver un instant devant le miroir flamboyant de la Dame japonaise, sur le parcours gravé des Femmes divines de l’Egypte ne laissent aucun doute. Puiser dans les chemins de Ninghursag, d’Ishtar, de Cybèle nous enseigne leur puissance, leur gloire, leur bienveillance, leur colère, leur flamboyance. Retrouver dans les mythes les aspects lumineux de Brigid, Iseult, Déméter, il n’y a plus d’hésitation possible, ce Féminin est solaire.

woman-happiness-sunrise-silhouette-40192Plonger en soi, jusqu’au plus profond de l’abîme, traverser les ombres et les calices, nous permet d’advenir à l’expérience lumineuse intérieure : un Soi solaire et Féminin. Lorsque qu’au bout de sa quête Lucius d’Apulée se confronte au plus profond de l’âme, c’est Isis lumineuse et colorée qui apparaît. Marie Louise von Franz[1] avance : Anima pour un homme, manifestation du Soi pour une femme.

pexels-photo-2011639Le caractère solaire pose question, à nous qui envisageons le féminin comme lunaire, la femme lune, ombre dansante des profondeurs de la nuit quand le masculin, l’homme, s’expose solaire et rayonnant. Les humeurs, les cycles féminins tendent à conforter cette vision et la belle Blodeuwedd, terminant sa course mythique sous la forme de chouette hululant sous la lune confirme cette idée.

Aller plus loin et plus profondément, nous voilà devant l’aspect d’un féminin qui sans paraître étrange dévoile une Figure particulière. Les traces les plus anciennes, les gravures les plus vieilles mais aussi les observations que l’on peut faire des pratiques ancestrales de peuples ayant moins que les autres subit le joug de l’envahisseur indo-iranien (le patriarcat) sont autant de preuves qu’avant le monothéisme fut un polythéisme et qu’avant le polythéisme fut un culte à une Grande Déesse et ses Consorts. Il suffit d’explorer avec minutie le rapport que fit Adrien Maisonneuve[2] sur les pratiques ancestrales non ariennes des Dravidiens, et de les comparer aux strates les plus anciennes des peuples les plus éloignés de la frange indo-iranienne (les Celtes, les Germains), pour qu’émerge cette figure divine, qui fleurit tout autant sur les plus anciens temples et dans les plus anciens cultes : un divin féminin  manifesté par la nature jaillissante et féconde.hathor et isis

Sous cet angle de lecture il apparaît alors que plus les mythes avancent et plus le féminin se met en repli, se lamente, se plaint, se love au creux des rochers et des criques, se cache, devient lunaire :  ce féminin lunaire apparaît comme le féminin du patriarcat. C’est sa manière à lui de survivre, de se nourrir encore aux souches maternelles du Grand Inconscient Maternel, la Nuit, la Serpente sacrée. Car, ce qui se dessine à la lecture de l’antique héritage c’est que le Féminin est à la fois nuit et serpent ET force vive, lumineuse essence, « éclairage du ciel », expression créative. La lune dans ces cultures archaïques est masculine, c’est elle qui féconde les femmes et perce la poche de leurs eaux, comme le mâle antique dont le rôle majeur est d’ordonner le monde par les cornes dressées de sa tête taureau, de sa tête bouc, de ses mains de Jardinier. Un Homme qui danse dans la nuit avancée, ouvre la voie et laisse épanouir ce féminin solaire dont la lumière, aujourd’hui nous manque tant.taureauxCY

[1] Marie Louise von Franz, L’Ane d’or.

[2] Adrien Maisonneuve, De l’arbre, de la pierre, du serpent et de la déesse-mère.

Figures symboliques du Féminin et du Masculin

Vient de paraître aux éditions du Cygne :

Les figures symboliques du Féminin et du Masculin (de la préhistoire à la mythologie)

Des scènes pariétales de la vieille Europe aux cités-mères, de Catal Hüyük aux temples de Göbekli Tepe, des mégalithes de Malte à celles de Stonehenge, puis des mythes du Japon à ceux de la Mongolie, de ceux de l’Egypte à la Scandinavie, de la Grèce aux Amériques, de Sumer à l’Irlande, l’auteure nous propose un voyage dans la symbolique des figures du Féminin et du Masculin. Elle nous permet de suivre un changement de paradigme. Elle nous révèle le glissement des sociétés matristiques aux dictas du patriarcat et les perceptions du monde qui en découlent par les substrats psychiques que nous développons.

D’une Grande Déesse des origines, le féminin chute jusqu’à devenir Parèdre, Mère, Sorcière, Oiseau de malheur. De l’Homme Vert, Sorcier, Fils Taureau, Fils Amant, Dieu Lune, le masculin s’enlise dans les ornières d’un sacrifice sanglant et cruel.

Ce que nous dit ce fil de l’histoire c’est que même gravées dans la pierre, les croyances ne sont pas immuables et nous avons notre propre responsabilité dans la manière dont nous les agissons.

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Ce livre n’a pas seulement le mérite de mettre au jour les premiers récits mythologiques de l’humanité, il possède également une  forte dimension politique et émancipatrice.

Olivia Gazalé

 

Table des matières et contenus :

La préhistoire
.      Des traces dans la terre
.      La violence innée ou acquise ?
Le Féminin
.      Le sang des femmes
.      Le matristique
La Grande Déesse
.      Le serpent
.      Les Vénus
.      Visible et incarnée (Aataensic, Hurons…)
.      L’ombre de la Déesse
Le Masculin
.      L’Homme-Vert (Cernunos, Celtes …)
.      Le Fils-Taureau
.      Le Dieu-Lune
.      Les Fils-Amants
Hiérogamos, l’union sacrée (Eros et Psyché, Grèce)
Des héritières mythologiques
.      Brigid (Irlande)
.      Boan (Irlande)
.      Artémis (Grèce)
.      Neith (Egypte)
.      Isis et Hathor (Egypte)
L’arrivée des Indo-Iraniens.
.      La distorsion du mythe
.      Le viol de la Déesse
.      Ninhursag et Enki (Sumer)
La mauvaise chute de la Déesse
.      Blodeuwedd (Pays de Galles)
.      La chute de la femme
.      La blessure (Amaterasu, Japon)
Les Déesses qui chutent
.      kam-àmàgàn (Mongolie)
.      So-At-Sa-Ki (Pikumi)
.      Inanna, Ishtar (Sumer, Akkadie)
.      Déméter, Koré (Grèce)
.      Sophia (Grèce)
.      Mélusine (Europe)
.      Les sirènes
Méchante
Le Fils du Père
.      Odin (Scandinave)
.      Lleu (Pays de Galles)
.      Le Christ
Métanoïa
La beauté de la Déesse

 

D’Avalon à Philae

20181018_155422J’avais l’habitude de cheminer sur les sentiers perdus de ma terre natale, arpenter ses forêts, toucher ses arbres silencieux, tremper mes doigts, le bout des ongles, dans les sources cachées sous les fougères. J’avais hanté les pics des Pyrénées, observé les isards, cueilli la rosée dans l’ambre matinale.

J’avais sillonné les monts d’Arrée, aux aubes tricotées des araignées velues. J’avais aussi guetté la bascule du soir sur le sommet pentu de Bibracte endormie. J’étais en quelque sorte partie à la rencontre de la terre qui vit naître mes ancêtres et qui nourrit mon sang chaque jour. La Gaule chevelue est mon royaume. A piétiner sans cesse sur les routes de France j’étais parvenue à rejoindre le Centre, l’île que les anciens appelaient Avalon. En Avalon Arthur est endormi. En Avalon dansent les femmes, espace féerique où se joignent les mains de ceux qui sont partis. Avalon, île parmi les îles, où se dresse le château de Morgane, les filles ancestrales, ce qu’encore plus avant les humains prénommaient le Sid. Le Sid est le nom spécifique de l’Autre monde et il veut dire « paix ». Il est une colline, une butte, au-delà de la mer, à l’occident. Il est une île au milieu d’un lac, d’un fleuve, d’une étendue liquide. Pour y pénétrer il faut prendre la barque. C’est un pays merveilleux, Mag Meld (Plaine de plaisir), Mag Mor (Grande plaine) Tir na mBéo (terre des vivants), Tir na nOg (Terre des jeunes), Tir Tairngire (terre des promesses). Mais c’est avant tout Tir na mBaân, la terre des femmes, ces femmes du Sid, magiciennes, fées, éternelles, envoûtantes.

Sur les côtes bretonnes nous rêvons Avalon. Les sept îles devant Perros Guirec se prêtent au jeu, il suffit de laisser parler les images sur les barques qui nous y traînent.avalon barque

Parfois c’est sous la terre que se trouve le Sid, car après sa défaite le peuple des Thuatha dé Dannann s’y réfugia : les enfants de la Déesse se sont enclos au creux de son ventre.

Dans les profondeurs aussi nous rejoignons le Sid, comme dans ces grottes pariétales, grotte de Trois Frères, Lascaux, quand l’humain a préféré plonger dans les flancs de la terre, ou bien à Barnenez, Gavrinis, quand il a modelé de ses mains sans outils une grotte, un ventre obscur, invitant à la renaissance.

Le bout du chemin se trouve là, dans les bras des fées, des déesses, sur l’île sainte, au creux du ventre de la mère. Je m’y roulais sans cesse, comme un jeune chevreau dans l’herbe du printemps. Y puisant l’eau de vie je m’abreuvais à ses sources et dans un chant de joie j’y psalmodiais « maman » !

avalon ileJ’appris que tous les humains de la terre gardaient dans leur mémoire la plus ancienne des traces de ce lieu, cet espace tranquille, où comme des enfants nous pouvons rejaillir. Mais que pouvait bien être le lieu de renaissance dans un espace où ne coulent pas les sources parmi les herbes folles, les arbres centenaires, la fraîcheur de la nuit, les saisons aux quatre coins posées ? J’étais, je suis fille de l’Europe de l’ouest, j’aime les étés chauds et les hivers gelés, la douceur d’un printemps est aussi bienvenue que la froidure de neige d’un janvier finissant.

Vint octobre 2018. Il me fut proposé le voyage en Ėgypte. Un élan vivifiant souffla dans mon âme curieuse et c’est dans l’enthousiasme primitif d’un besoin de rencontre que j’acceptais de m’éloigner de mon Sid pour découvrir les longs passages étroits qui mènent à Kheret-NetjerRo-SétaouDouât ou Neferet Imentet

J’avais gardé de mon adolescence, l’image d’une Ėgypte grandiose, Ramsès II, Hatchepsout, Néfertiti, Cléopâtre et Marc Antoine… Occultant les Gaulois l’école de mes jeunes années nous parlait de l’Ėgypte ancienne, semant sans le savoir quelques graines d’éveil pour une civilisation lointaine et mystérieuse. La volupté, l’érotisme de l’Ėgypte n’avait d’égal que ses mystères, ces mystères qui fascinent, qui aimantent.

Et aujourd’hui toujours les mystères égyptiens posent sur nos fantasmes le voile d’un attrait. Que n’a-t-on dit de l’Ėgypte ? Que des extra-terrestres ont façonné la pierre d’un laser percutant. Que la magie des signes donne tous les pouvoirs…

Comme nos Dames Blanches les Figures égyptiennes semblent braver le temps et l’espace. Elles apparaissent aussi dans nos rêves nocturnes. Parfois je fus saisie d’une surprise extrême de croiser dans mes nuits des dieux de leur royaume, moi qui n’avais foulé ni leur sol, ni leur rêve, sans connaitre parfois le nom des visiteurs. Qu’allait-il advenir d’une rencontre diurne, d’une confrontation aux images gravées de ceux qui noctambules hantaient ma psyché ? Je partais donc curieuse, de mon saut de cabri, prête à tous les éveils, peut-être les écueils.

20181012_091336L’air épicé du soir embaumait le jardin où nous fumes arrivés. De la fenêtre de ma chambre j’écoutais la nuit. Louxor. Mais je regardais Thèbes, je revoyais en songe tout ce que j’avais lu des Reines et des Rois qui avaient gouverné ici et comme moi sentaient la douceur nectarine. Qu’avaient-ils pensé, dit, qu’avaient-ils senti dans la moiteur du soir ? Je ne pouvais pas mesurer la distance, les temps sont différents, aujourd’hui la Mosquée chante sa dernière plainte du jour et les calèches attendent encore si quelques touristes désirent les héler.

Mais c’était ici la ville sacrée, le centre de ce monde, là que les scribes assis comptaient jour après jour, que les bateaux partaient pour les pays d’où ramener l’encens, là que les médecins, les fermiers, les voyageurs traînaient leurs pieds dans la poussière. Les images des livres prenaient vie dans mon rêve… J’avais déjà rêvé ces humains ressurgis sur les chemins de terre de mes rives natales. Combien de pas sur cette pierre usée ? Combien de mains sur ce caillou dressé ? Au musée de Bibracte un anneau d’or avait surgi de son écrin pour me montrer la main qui l’avait portée. Anneau d’amour ? Quel secret, quelle émotion, quel sentiment avaient accompagné ce cercle ? Ici aussi le rêve cherchait, de son nez fouisseur, les effluves anciens des peuples de ces temps. Je m’endormais et ma nuit fut noire, sans image et sans songe…

IMG_0344Les temples se sont dressés devant moi ! allais-je oser pénétrer dans le saint des saints, dans ces espaces enclos que les profanes souillent ? Dans ces géants de pierres, ces forêts sculptées, allais-je me sentir petite, insignifiante, oppressée, soumise à une volonté divine, une volonté politique, une manipulation ?

Le pas posé sur le seuil, je contemplais de l’âme, non encore du regard, car je baissais les yeux à l’instant de « passer », le front courbé devant tant de beauté, devant tant de silence.

Alors, combien de mains, de pieds, de regards appliqués, de sueur et de fatigue pour élever ces temples ? Combien de réflexions, de calculs ? Combien d’amour ? Offrir ce que l’on a meilleur est un acte d’amour et je pouvais errer entre les troncs de pierre, d’où jaillissait les plus beaux savoir-faire de l’humanité.

Cet instant étrange de mon premier pas dans un premier temple faisait comme un écho que je connaissais bien. Ce que je ressentais c’est ce que j’avais ressenti à Stonehenge. Ces êtres d’un autre temps avaient usé leur corps, sué le sang, pour mettre en bonne place le message de l’au-delà, pour honorer les dieux, pour s’attirer leur grâce. Il fallait tant d’amour pour tant de courage. Mais plus que ça, ils avaient déplacé et façonné des pierres immenses pour les siècles des siècles, dans l’éternité, pour que chaque humain qui les croise les voit et que je les vois moi. Ils n’étaient pas partis dans l’oubli, sans nous laisser des traces, des livres grand ouverts. Ce que faisaient les mythes, transmettre d’âme à âme, la pierre le gravait.

Égrainés tout au long du grand fleuve sacré, les temples se déploient. Ils tissent. Poser sur le chemin des jalons de beauté, planter sur le sentier des bâtons de sagesse, des Images de joie, c’est le geste des bons parents. C’est comme dire « je t’aime », « je te donne mon âme ». Et ils nous l’ont donnée. Je me sens aimée quand les gestes anciens tracent encore sur ma route des fils vers le soleil, la lune et les étoiles.

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Des lunes et des soleils, des étoiles, les traces égyptiennes en proposent des milliers. Des béliers, des grenouilles, des serpents. Des vaches, des poissons, des chiens, des chats… Et puis voilà aussi, le dieu dressé, le grand dieu des mystères, Amon. Voilà la bien-aimée, Mout, et leurs plumes, tant figées dans la pierre, semblent bruisser, trembler au moindre coup de vent. Au fondement de la culture égyptienne se mouvait devant moi l’ancienne hierogamie, qui fait de Mout la mère et Amon le secret, et leur enfant lunaire, Konsout, éclaire aux carrefours les nuits obscures. C’est que puisant aux plus anciens mystères du monde Amon est ce secret et la lune est son fils. C’est que ramifiant ses racines aux confins de l’histoire humaine Amon porte les cornes du bélier. Je n’avais plus besoin des mots qui dansent dans la tête, de l’effort d’imager, ils étaient là, ils me disaient quoi dire :

A toi l’acclamation, ô Amon-Rê !
Le radieux, seigneur des devenirs, multiple d’aspects,
Les cœurs sont rassasiés de ton amour ! [1]

20181013_130337Tous les sanctuaires, tous les temples, proposent au monde entier un chemin, un parcours, qui traverse le fleuve et la forêt, de pierres ou végétale, vers le Centre, le Cœur. Le temple nous enivre, le temple nous apaise. Ici quelque chose tremble, quelque chose frémit. Il est une Figure que mon âme apeurée cache sous un linceul, mais les Figures ondulent et se glissent. Peu à peu s’anime en moi sa voluptueuse présence, Sa présence, toujours, partout, toujours glorieuse et rayonnante. Elle, sous toutes ses formes, Aneket, Héqet, Mout, Nout, Rénénoutet, Satis, Serket, Shou, Sekmeth, Neith, Hathor, Nephtis, Isis… Elle est là. Elle danse, elle protège et elle défend, elle nourrit et elle guide. Comment peut vivre un peuple qui honore La Femme ? Comment l’âme peut-elle agir quand dans son quotidien, quand sous ses yeux sans cesse, Elle se présente ? Plus de peur, plus de honte, de blessure, de limite, d’hésitation, de sujétion. Pas de sorcières, d’oiseaux de malheur : Elle est là rayonnante, lumineuse, forte et douce et juste, jusque dans ses colères.

Il n’y a pas que les Déesses, quelques reines ont su porter les deux couronnes et si l’histoire a tenté de leur ôter le sceptre, leur renommée flamboie. Mi reines, mi déesses, Néférousobek, Merytaton, Taousert, Cléopâtre et la grande Hatchepsout. Hatchepsout nous impose son temple merveilleux, sublime des sublimes, à Deir el-Bahari.  Avec la reine pas de guerre, des bateaux de commerce, pas de sang dans le rang des armées, une femme se dresse debout en Pharaon. Elle a marché ici et j’y pose mon pied.

 

IMG_0304Je n’attendais des tombes que le recueillement, le silence, la mémoire des morts, le voyage fut autre. A l’ombre d’Hatchepsout, ma divine marraine, dans la vallée des rois, Qurn veille, en gardien silencieux aux berceaux de ses morts. Les bouches béantes des tombeaux en attente, guettent nos pas fiévreux. Le petit roi est là dans son écrin. Lui, mort si jeune, a la chance de dormir dans son lit au lieu de reposer dans les couloirs stériles d’un musée où les lumières frigides éclairent des « objets ». Lui, il est tout petit, rangé dans son habit de mort et son âme est aimée. Envie de me taire, de le laisser tranquille. Il sera temps bientôt de soulever son voile[2].

Une autre tombe s’avance, la descente s’amorce, un seuil, deux seuils, vers le fond de la terre. « Tu as voulu venir ? alors tu vas descendre ! ».

A l’entrée, Elle est là et c’est la première fois que je la vois ainsi, pour de vrai. Isis est sur le mur. Je descends. Ses ailes de milan, d’hirondelle menue, me suivent, comme un souffle de vent. Je pleure, je crois que c’est ma mère qui respire sur moi. Au bas la cuve blanche, c’est un cocon vivant où j’aspire à dormir, où j’aspire à mourir…  Mais il faut remonter et le silence aidant les yeux mouillés on monte, car la vie nous appelle. Elles ouvraient le chemin, Isis et puis Nephtis, elles ouvriront la porte, vers le soleil.

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Le grand fleuve tranquille déroule son ruban bordé des émeraudes les plus pures. Plus loin l’ocre du sable veille au contraste plein. Le Nil est ici la vie, la IMG_0612force vivifiante qui enfante le monde. C’est clair, c’est précis, sans le Nil la terre n’est qu’un désert, un pays gast, un monde sans féminin. Les ancrages des temples sur ses rives dociles célèbrent sa vaillance et les hanches divines des femmes sur les murs ondulent leur bassin à ses rythmes fertiles. J’aurai voulu m’asseoir, là et ne plus bouger. Le ruban rouge de Neith accroché à mon bras j’aurai posé mon front sur les gravures fixes et le Soleil d’Hathor aurait posé sa main sur mon âme apaisée. Mais il fallait partir, courir même, une île m’attendait.

Il est des synchronicités. Il est aussi des archétypes qui se percutent dans les Images sises qu’ils projettent à nos vues. En arrivant, la barque attendait mon voyage mais dans les horizons d’îles parsemées, je ne pouvais pas voir Philae. Ce qui se profilait sous mes yeux ébahis est tellement Avalon que j’en perdais le nord, le temps et puis l’espace. Les granits émergeant des eaux évoquent d’autres paysages. Je me perds. Gavrinis, loin d’ici, IMG_1070propose ce voyage qui ici porte un nom, Isis.

Quand apparut l’îlot, son écrin de verdure pointait d’un au-delà, je me sentais chez moi. A mesure que mon corps parcourait l’esplanade, la cour, les allées, la forêt de plus en plus touffue de colonnes parlantes, mon cœur se mit à battre et mes yeux s’injecter.

Je ne suis plus qu’un œil qui danse sur la pierre.

Tout ça est trop vivant !

J’avance… et je me perds encore…

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Je suis perdue, vraiment. Je ne sais pas où se trouvent les autres. Sous le soleil doré, je fais le tour, je reviens, j’entre, j’entre au cœur. Je suis dans le Naos ombré, je ne veux plus partir, je ne veux plus sortir. Les parois dansent, la paix et la joie éclaboussent. C’est doux comme un bonbon de miel. Les murs se cambrent, les sistres se réveillent… Je suis seule égarée… où je devais aller…

Une ondine s’avance, enfin je la connais, sa jolie main prend la mienne :

« Vite, viens, au Mammisi[3], il n’y a personne ! »

Je suis, j’ai confiance. Nous voguons.

J’entre

20181017_121604Mais il n’y a pas « pas personne ». Elle est là, ma sœur d’âme, elle m’attend. J’entrevois son regard aux larmes qui se glissent, son silence profond. Il n’y a rien à dire, nous sommes deux, telles Isis et Nephtis qui nous guettent dans l’ombre. La voix, sa voix, de prêtresse qui garde, réveille les vieux mots, les prières anciennes. Et la magie opère, unies dans l’Utérus nous basculons. Mes mains, mon front se posent lentement sur le ventre d’Isis. Alors je pleure aussi. Je pleure pour les filles, je pleure pour les femmes, les battues, les brûlées, les violées, celles que l’on enferme de toiles ou de murs, je pleure pour le monde. J’ai 30 ans, j’ai 20 ans, j’ai 4 ans. Je pleure sur ma mère, les femmes de mon sang, je pleure sur ma vie. Je sais d’où c’est venu, je sais ce qui m’attend.

Dame du ciel, Celle au beau visage, aux sourcils fardés, à la gorge brillante … C’est toi qui fais éclater la création dans les cieux, toi qui emplis la terre de poudre d’or… Ton ventre qui enferme la perfection … Tes mains pleines de vie et de prospérité, qui donnent la vie à qui marche sur ton chemin…

Lorsque le soleil portera son regard sur nos yeux embués nous seront là dehors, sans mots, juste des pleurs, encore.

Au retour, et pour toujours me perdre, l’âme de Philae a sorti sur le fleuve un rameau de brouillard, comme pour Avalon. Je regarde incrédule ! Le Nil ne tisse pas de ces écharpes blanches : il est l’après-midi, il fait 38° ! Je demande : « c’est quoi ce truc ? » Le guide m’explique alors qu’un feu est allumé et que c’est sa fumée, blanche, qui dessine ces brumes…

J’ai reposé le pied sur la terre maternelle, et mon corps a frémi. Pouvant sentir l’humus de Séquane[4] alanguie, je me suis alanguie à mon tour. Dans mon cœur, une île irradiant à mon âme flotte encore et flottera toujours. J’ai compris. Il n’y a rien à dire, qu’être là simplement et dans le clair-obscur d’un soir sur la dérive écouter le murmure des Féminins vivants.

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Octobre 2018 © Sylvie Verchère Merle

A lire :

  • Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel
  • Florence Quentin, Vivante Egypte, DDB
  • Nadine Guilhou, Mythologie égyptienne, Poche Marabout
  • Christiane Desroches Noblecourt, La Reine mystérieuse, Hatshepsout, Pygmalion

 

[1] Extrait du papyrus hiératique 3049 de Berlin

[2] Toutankhamon, Exposition Paris mars 2019. Ouvrage à paraître Florence Quentin, février 2019.

[3] Maison de naissance

[4] Séquana est la déesse du fleuve Seine

La démonisation de La Grande Déesse chez les Celtes

220px-Sales_contract_Shuruppak_Louvre_AO3760La mythologie et plus exactement la lecture des versions successives des mythes, nous permet d’observer le changement des mentalités, des croyances, et des tendances psychiques qui les a portés. Par exemple la lecture des différentes versions des mythes sumériens, akkadiens ou grecs permet d’observer clairement la lente désacralisation du féminin*, sa relégation à un statut inférieur, soumis, sombre, et pour finir démoniaque. Ainsi pouvons-nous observer que les premiers chants radieux dédiés à Inanna laissent peu à peu la place aux lamentations d’Ishtar. De déesse flamboyante elle devient au fil des récits la « prostituée » du Roi puis le monstre de la nuit. La Déesse est toute puissante dans les inscriptions que Champollion déchiffra sur le fronton du temple qui lui était dédié à Saïs : « je suis tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera » pour terminer par se lamenter dans les Chants de Gasan-gal :

« Je suis la Souveraine, mais à mon temple E-nun-kug, à ma demeure de seigneurie,
L’Eternité de son règne, pour moi, n’a pas été donnée !
Il passe devant moi, dans les lamentions et les larmes !
A cause du temple, lieu d’euphorie où se tenaient les Têtes Noires
Loin de ces fêtes, leur fureur et leur détresse redoublent.
Devant cette Tempête écrasante, sur mon temple, lieu de bonheur
Sur mon temple saint ruiné, on ne jette plus les yeux !
Le cœur déchiré, des lamentations de douleur. »
(Chant III)

Inanna1Après avoir été la Reine du Ciel et de la Terre, elle devient tout d’abord la « parèdre », la « prostituée », puis peu à peu le démon, le serpent perfide, l’ombre et la dévoreuse. Cette démonisation ne semble pas avoir totalement aboutit dans la refonte des mythes Egyptiens ou Japonais. Isis, bien que devenue la femme « de» Osiris ne se retrouve pas tel un ange noir déchu et Amaterasu au Japon retrouve le trône de son ciel.  La mythologie des Celtes conserve aussi de nombreuses figures féminines maintenues et reconnues dans leur souveraineté et leur autonomie, telle Etaine renouant avec sa part solaire dans les bras de Midir1 ou Mebd reine en son royaume dans la Razzia des vaches de Colley. Cependant quelques-unes nous démontrent que cette démonisation fut à l’œuvre et put dans certains cas, certains lieux, aboutir. Les souffrances de Macha en Irlande et le conte de Blodeuwedd au Pays de Galles en sont de parfaits exemples. Dans le Mabinogi gallois  le schéma suit la trame identifié dans les mythes sumériens de la désacralisation du féminin, de son « formatage » en femme servile, jolie, faire – valoir, sans cervelle, sans autonomie, et par évidence répondant aux dictats du patriarcat « d’être vierge puis fidèle ». Il continue sur la révolte du féminin, sa tentative d’émancipation, sa défaite et pour finir sa démonisation.

Le Féminin sacré est dans un premier temps violenté, abusé (Arianrhod doit sauter par-dessus une baguette pour attester de sa « virginité ») dans le but de lui extirper le pouvoir de force. Ce  n’est plus le Féminin qui octroie au roi « l’amitié de ses cuisses », comme il était de coutume (toute symbolique soit-elle) dans la Tradition des Celtes et tout aussi bien (concrètement) à Sumer, mais le roi qui prend possession du Ventre.

Le Féminin avide de vengeance, en colère, en révolte, refuse de reconnaitre les fils issus de ce viol qui ne peuvent que suivre le nouveau chemin tracé par le patriarcat. Eux –même n’auront que le choix de s’engouffrer dans la mort et l’oubli, tel Dylan rejoignant les Océans maternels, ou Lleu « éduqué » par « le » druide.  Ce rejet de l’enfant du patriarcat par la mère divine se rencontre dans différents mythes que nous aurons l’occasion d’étudier ultérieurement.

La Divine écartée les « hommes » fabriquent un féminin utile à leurs dessins, une femme qu’ils « créent » avec des fleurs, dépossédée de ses prérogatives et de son autonomie, de son essence originale : Blodeuwedd. Lorsque Blodeuwedd prend un amant elle se comporte en femme adultère, pécheresse, mauvaise, suivant les critères patriarcaux, alors qu’en définitive elle ne fait que tenter de retrouver le chemin de son Essence sacrée. Comme dans les mythes de Sumer l’homme sauvage, le « green man », Enkidu, ici l’amant de Blodeuwedd, le chasseur, représente la possibilité, la tentative de renouer avec Sa Nature, restaurer son royaume et sa légitimité. Nous pouvons nous attarder sur un passage qui jusque-là peut sembler très obscur. Nous savons par les textes irlandais que les ébats amoureux de La Morrigane et du Dagda se passent au gué d’une rivière : « Le Dagda avait une maison dans le nord. Il avait cependant rendez-vous de femme cette année-là, à la fête de Samain de la bataille à Glenn Etinn. La rivière Unius de Connaught y gronde au sud. Il vit la femme en Unius en Corann, se lavant, l’un de ses deux pieds à Allod Echae, c’est-à-dire Echumed, devant l’eau au sud, et l’autre à Loscuin devant l’eau, au nord. Elle avait neuf tresses libres sur la tête. Le Dagda lui parla et ils firent une union. Le Lit du Couple est le nom de l’endroit à cause de cela.2 » Passage symbolique d’un lien entre deux rives, de deux fonctions pouvant se rejoindre « au bord de l’eau ». Dans le Mabinoggi la situation « au bord » de la rivière représente la possibilité de tuer Lleu car pour pouvoir le tuer : « on devrait me préparer un bain au bord d’une rivière … 3» puis un pied de chaque côté, l’un sur un bouc l’autre sur une cuve, il pourrait être abattu. En quelque sorte tenter de réinstaurer le lien d’amour et de reconnaissance de l’autre dans son intégrité majeure représente effectivement la possibilité unique de couper court à la montée du mouvement patriarcal car il permettrait la restauration d’un Féminin Sacré dans son entière émanation.

Comme dans tous les mythes où la démonisation est aboutie (Mélusine, La ville d’Is etc.) le Féminin se retrouve exclu, égaré, éloigné, relégué dans les nuits sombres, dragon, sorcière, monstre. Ce féminin qui durant des milliers d’années caracolait accompagné d’un lion flamboyant, d’un taureau majestueux se retrouve alors, esseulé, sous la forme d’une chouette, d’un hibou de malheur.chouette-hulotte-chasse-347541

L’épisode du Mabinogi nous livre des précieux renseignements sur les mystères de la Déesse, ses atours, ses magies, sur l’appropriation faite par les mages du patriarcat, mais un article ne suffira pas pour en faire l’étude et ce sera le thème d’une étude ultérieure.

Quoiqu’il en soit nous avons sous les yeux les trames d’un changement graduel de société, y compris dans la société celte qui fut une des moins touchée par l’invertion. Nous avons aussi des indications précises sur l’impact de ces postures psychiques et sur les méandres de notre âme qui virevolte, subie, se rebelle ou cherche les chemins de son Essence. Les pistes qui mènent aux sources du Féminin sacré se révèlent douloureuses et sombres, cependant elles mènent toutes en un lieu de joie, de vie, un Sydhe, une île aux Pommiers … Et ce lieu aux Arbres sacrés de la Déesse nous le trouvons de Sumer à la Grèce, de Catal Höyük à l’Irlande …

  • Françoise Gange, Les Dieux menteurs
  1. Sylvie Verchère Merle, Le Féminin solaire dans la mythologie, Du Cygne, 2016.
  2. Guyonvarc’h, Textes Mythologiques Irlandais, Ogam Celticum, I, 1, P. 53.
  3. Y. Lambert, Les Quatre branches du Mabinogi, Gallimard, P. 114.

 

L’arbre d’Odin, d’Osiris, de Lleu et le Sakaki sacré du Japon

ACH002534715.0.580x580 « Parce qu’il rassemble les quatre éléments – l’eau dans sa sève, la terre par ses racines, l’air par ses feuilles et le feu par le frottement de son écorce – l’arbre a très tôt été l’objet de la vénération populaire.1 » Ainsi est présenté l’arbre dans L’Univers des guérisseurs traditionnels, de Dominique Camus, bien que j’imagine que le lien au feu tient plus au fait qu’il attirait la foudre en des temps où les paratonnerres n’étaient pas très nombreux et au fait qu’il « sert » à faire le feu dans les mêmes temps. Cet ouvrage est très intéressant, il nous montre combien l’arbre et les foulards, rubans et textes qui y sont accrochés sont importants dans la tradition populaire de l’Europe traditionnelle. Il m’est arrivé plusieurs fois de « tomber » sur des loques de vêtements accrochés aux branches d’un arbre perdu en plein milieu d’une forêt et de me demander comment ces oripeaux avait bien pu arriver là. Maintenant je sais, je connais le lien entre l’offrande, l’arbre et la guérison – ou le sort jeté !

A ce stade nous pourrions penser à une vieille superstition, une croyance populaire si enracinée dans l’âme des êtres qu’elle survécut aux interdits de l’Eglise chrétienne. En réalité ce qui n’est pas de l’ordre de la superstition et vient de très loin dans les coutumes des hommes c’est le lien qu’ils virent entre l’arbre, la souffrance, la métamorphose, la renaissance. Pour explorer plus avant ce thème mythologique nous pouvons nous tourner tant vers Odin dans les mythes nordiques, que vers Osiris l’égyptien, Lleu Law Gyffes le gallois et tout autant sur le rôle de l’arbre et des offrandes qui lui furent faites dans la mythologie japonaise.Dendera-Osiris-et-Isis

Le thème est celui d’un dieu, d’une déesse, d’une âme en souffrance, enfermée, pendue, accrochée à l’arbre. La mort rode et l’arbre est l’endroit de la possible incubation. S’ensuit un rite précis, offrandes, paroles sacrées qui va engendrer la renaissance.

Dans la mythologie égyptienne lorsque Osiris enfermé dans un coffre se trouve échoué dans les racines d’un immense tamaris, le roi du Pays de Byblos en Phénicie, le trouvant si beau, en fit faire une colonne pour son palais. Voici l’être blessé, mort, enclos au sein du bois. Mais la grande Isis, à force d’errance, le trouve et « chaque nuit, prenant l’apparence d’une hirondelle, elle vole autour de la colonne qui enferme son bien –aimé et lance des cris déchirants 2. » Elle finit par emporter le coffre « libérant ainsi son époux de son long exil 3. »

Dans la mythologie nordique Odin restera accroché, pendu par les pieds, à son frêne Ygddrasil, neuf nuits pleines. Il en fit le poème suivant que l’on peut lire encore aujourd’hui :

Je sais que je pendis
A l’arbre battu des vents
Neuf nuits pleines,
Navré d’une lance
Et donné à Odin
Moi-même à moi-même donné,
– A cet arbre
Dont nul ne saitscreen480x480
D’où proviennent les racines.

Point de pain ne me remirent
Ni de coupes ;
Je scrutai en dessous,
Je ramassai les runes,
Hurlant, les ramassais, De là, retombais.

Neuf chants suprêmes

J’appris du fils renommé
De Bölthorn, père de Bestla,
Et je pus boire
Du précieux hydromel
Puisé dans Odredir.
Alors je me mis à germer
Et à savoir,
A croître et à prospérer,
– De parole à parole
La parole me menait,
D’acte en acte
L’acte me menait 4.

b3e7d323dc52a1de8debfbd6107f2db3Chez les Celtes c’est Lleu Law Gyffes qui sous forme d’aigle, se réfugia agonisant dans son chêne. Gwydion partit à la recherche de son neveu, suivit la truie d’un paysan qui se nourrissait des vers tombés de la chair en putréfaction du héros. Arrivé sous le chêne il se mit à chanter. Au premier Englyn 5, l’oiseau blessé qui se trouvait au faîte de l’arbre, descendit à mi –hauteur de l’arbre. Au deuxième Englyn il descendit sur les branches les plus basses. Au troisième Enlgyn : « l’aigle tomba alors sur les genoux de son oncle et celui-ci le frappa de sa baguette magique pour lui redonner sa forme humaine. Il était d’un aspect misérable, il n’avait plus que la peau sur les os. Il fallut un an pour que Llew retrouve une parfaite santé 5. »

L’énergie prisonnière et mourante ne peut seule se sortir de ce pas, il est besoin d’un acte magique et ce geste est toujours entaché de même nature, une nature féminine. Dans le mythe d’Osiris c’est très clair dans la mesure où c’est l’intervention magique d’Isis qui va modifier son destin. Mais Isis n’agit de prime abord que sous forme d’oiseau ce qui est en parfaite corrélation avec les chants et les Englyns qui apparaissent dans la version galloise , ou la poésie d’Odin– un esprit magique. En effet, ces chants particuliers ne sont pas des chants d’un logos masculin qui ordonne et pointe du doigt, « Le logos masculin est un logos qui affirme » 7. Il s’agit d’un logos hystéricos, comme l’appelle Pierre Solié : « Le Logos Hystéricos va justement beaucoup plus loin, il est beaucoup plus près du mystère 8. » En quelque sorte, le verbe féminin est plus proche de la vaticination, de l’incantation et de la transe que de la rhétorique et renvoie à la poésie antique : « Platon a comparé le délire de la Pythie, « le plus beau des arts », à l’inspiration poétique due aux muses et aux transports amoureux d’Aphrodite (Grimal, Mythologie, p. 41). Déjà, en Mésopotamie antique, on confondait poésie et vaticination.

Dans la légende galloise un autre détail confirme cette intervention du féminin. Au troisième Englyn, l’oncle reçoit son neveu dans son giron. Il est dit sur ses genoux, mais il est dit aussi giron, giron qui fait référence au ventre qui couve et enfante. Le druide use de son pouvoir féminin pour redonner vie au moribond et je ne peux une fois de plus que faire référence au conte relaté par Clarissa Pinkola Estes dans Femmes qui courent avec les loups 9, d’une vieille femme qui par son chant redonne vie à un loup mort. Sans oublier que c’est le symbole de la grande déesse – la truie – qui mène l’oncle auprès de son neveu et se nourrit des putréfactions de la chair moribonde, comme les grandes déesses antiques étaient douées de ce pouvoir d’engloutir (la mort) pour régurgiter (la vie).

Les mythes nous transmettent alors la réalité spirituelle (et psychique) du besoin de l’énergie féminine pour accéder à la renaissance.

On note, sans équivoque, la situation d’abandon total et de paix tranquille (de foi ?) qui accompagne la posture douloureuse. Ni Odin, ni Osiris, ni Lleu ne se débattent, ils se laissent en quelque sorte couver et c’est un rite de chant et d’offrande – d’amour – qui délie le sort. Isis comme Gwyddyon agissent avec douceur et amour, ils ne combattent pas une nuit, toute de bois soit-elle, pour en libérer le prisonnier, mais ils chantent ou poussent le cri d’une hirondelle.tamagushi1

Le rôle de l’arbre et des offrandes est tout aussi identifiable dans le mythe japonais de La Caverne céleste. La déesse Amaterasu s’est réfugiée dans une grotte après avoir été blessée par un de ses frères et elle ne veut plus en sortir, ce qui plonge le monde dans l’obscurité et la stérilité. Afin de la faire sortir les Kamis 11 organisent un ensemble de gestes rituels dont celui de préparer un arbre Sakaki (arbre toujours vert) et dont le sens veut dire à la fois « montée » et « splendeur, gloire, prospérité. » Ils attachent des joyaux sur les branches supérieures, le miroir sacré sur les branches du milieu et en bas de soyeuses étoffes blanches et bleues. Alors un Kami récite les Noritos, c’est-à-dire : « prononcer les paroles puissantes rituelles 12 » dont « la valeur magique […] est en rapport direct avec le koto-dama, la science de la puissance spirituelle du verbe 13. »

Ici il ne s’agit pas de faire renaître à partir d’un arbre, mais de faire sortir une déesse d’une grotte, cependant le rôle du bois est aussi manifestLES ARBRES VENERES (2)e dans sa puissance magique et opérationnelle. La caractéristique des trois niveaux n’est pas sans rappeler la descente en trois étape de notre héros gallois, comme les Noritos ne sont pas sans rappeler la poésie d’Odin, les cris d’Isis et les Englyns de Gwyddyon.

Voilà un Archétype manifesté à travers différents mythes, qui eux – même ont engendré différentes pratiques depuis la nuit des temps. Chaque époque et chaque culture a donné forme à cette aspiration de manifestation et nous pouvons lire ainsi les rubans accrochés aux arbres des peuples animistes, comme les offrandes accrochées sur les Tamagushis 14 japonais. Nous pouvons aussi y penser lorsque nous décorons nos arbres de Noël mais tout aussi bien lorsque nous nous sentons brulés, saignants, blessés ….. à poser les tissages sur les trois étages de nos souffrances, et faire silence afin d’entendre le Chant magique de l’âme ……

1) Dominique Camus, L’Univers des guérisseurs traditionnels, Ouest France, 2010, p 97.
2) Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel,2012, p 36.
3) Ibid
4) Hávamál, poème didactique de l’Edda poétique
5) Poésie celtique
6) Pierre Yves Lambert, Les Quatre branches du Mabinogi, Gallimard, 1993.
7) Michel Cazenave, « Entretien », Revue Phréatique n° 72.
8) Ibid
9) Clarissa Pinkola Estès, Femmes qui courent avec les loups, Le Livre de Poche, 1995.
10) J. M. Martin, Le Shintoïsme ancien, Jean Maisonneuvre, 1988.
11) Dieux et déesses japonais
12) J. M. Martin, Le Shintoïsme ancien, Jean Maisonneuvre, 1988
13) Ibid
14) Tamagushi veut dire brochette, brochettes sur lesquelles on embroche des joyaux, des présents, des offrandes. Le mot Tamagushi veut dire relier l’âme (entre le Kami et l’être humain et l’être humain et le Kami).

La Grande Déesse

image001Lorsque nous nous penchons avec attention sur les grandes figures qui émanent du divin féminin dans les mythologies de la vieille Europe, et du monde, nous ne pouvons être que subjugués par les correspondances que nous pouvons identifier avec les conclusions de Marija Gimbutas.  Les détracteurs de son œuvre sont assez nombreux et c’est vrai que parfois nous restons un peu perplexes devant ses propositions qui vont à l’encontre de biens d’autres points de vue. Cependant lorsque les mythes corroborent les objets il nous faut repenser les choses. La majorité des grandes figures que Marija Gimbutas identifie sont les mêmes que ceux qui ressortent majoritairement des mythes, à savoir : la déesse oiseau et la déesse serpent, l’onde, les yeux, la protectrice des arts, le bélier, le filet, le deux, le trois, la vulve, l’ours, la terre mère, la colonne de vie, le bateau, le taureau, l’abeille et le papillon, la brosse et le peigne … Sans rentrer dans le détails, l’étude mériterait un ouvrage entier, nous pouvons survoler rapidement ces figures et constater les corrélations.

La déesse oiseau

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Le lien du Féminin sacré et de l’oiseau est une évidence tout autour de la terre. Isis et le milan, Nekhbet et le vautour, Morrigane et le corbeau ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Les cygnes et les petits oiseaux accompagnent toujours la Femme dans sa course divine. Les canards, les oies, les grues, mais aussi les faucons, les éperviers, sans oublier la chouette qu’est Blodeuwedd la femme « visage de fleurs » dans les Mabinogion de la tradition celtique. Ce lien omniprésent de l’oiseau et de la Déesse signe son appartenance céleste.

La déesse serpent

Tout aussi rependue est la femme serpent. Cela va des statuettes de déesses tenant des serpents dans leurs mains à celles de Marie dont les pieds ont parfois hérité de serpents, en passant par Ouadjet l’égyptienne. Mélusine est une figure familière de nos vieilles campagnes, la Vouivre tout autant. Nous ne pouvons oublier la Morrigane qui sous la forme d’une anguille serpentine se faufile entre les pieds du Héros celte Cuchulain. La déesse accompagnée du serpent c’est aussi Hygie, Cybèle ou encore Isis lorsqu’elle lui fait mordre le talon de . Ce serpent si aisément rattaché à la Grande Dame atteste de sa manifestation terrestre et magique.dc3a9esse-mc3a8re-serpent-de-cnossos

Les yeux

Les yeux sont peut-être moins évidents à identifier dans la mythologie et la statuaire que nous connaissons, cependant nous avons l’exemple du Uræus, ce serpent sacré sur le front des pharaons qui  peut prendre l’apparence d’une femme ou d’une lionne dangereuse et se trouve exactement à la place du « troisième œil ». Tout aussi vrais sont les trois yeux de la prophétesse  dans les textes mythologiques de l’Irlande ou encore les yeux de la chouette irlandaise Blodeuwedd qui brillent dans la nuit de son exil.

La protectrice des arts

Elles sont célèbres ces gardiennes des arts comme Athéna chez les Grecs ou Brigid l’irlandaise. A travers leur patronage des artisans et des artistes elles continuent leurs œuvres pour aboutir à leur manifestation sous forme de Muses inspiratrices des poètes et des créateurs.

Le bélier, l’ours, le taureau

Le bélier est la monture de la déesse indienne Kuvera gardienne du Nord et des trésors. C’est le bélier que nous retrouvons sur de très nombreux chenets gaulois. Nous pouvons trouver étrange de trouver liés à la déesse des animaux comme le bélier, le bouc, l’ours dont la déesse gauloise Arduina est une célèbre représentante et le taureau. Cependant lorsque nous identifions cette Femme comme la Vache Céleste – et elles sont nombreuses, comme Boan « la vache blanche », la femme « Bison blanc » des amérindiens ou encore Ahet la vache égyptienne mère du soleil – alors il devient évident que ce taureau, ce bélier sont leurs fruits les plus éminents.

Le filet

Si le filet apparait dans les matières étudiées par Marija, nous le retrouvons souvent dans les mains des déesses fileuses et tisserandes. La majorité des déesses mythologiques sont patronnes du fil, que ce soit Amaterasu la déesse soleil japonaise qui file les habits des dieux dans sa salle de tissage, ou encore Brigid. Sans compter le célèbre « manteau » des déesses comme en porte Brigid lorsqu’elle crée le monde, celui d’Airmed la celte dans lequel elle range les plantes médicinales, ou encore celui d’Epona dont a hérité Saint Martin et Marie.

Le deux et le trois

Le trois rattaché aux Déesses est une évidence, de par les nombreuses représentations de trois matrones ou les trois muses, ou les triples Brigid, triple Macha, triple Morrigane en Irlande. Le deux semble moins évident, cependant à l’étude des mythes nous nous trouvons souvent devant la double manifestation du Féminin, céleste et terrestre (Aphrodite, Etaine), Mère et fille (Demeter et Koré), sœurs (Isis et Nephtys). Le deux signe aussi la carte La Papesse dans le Tarot divinatoire.

La vulve

Nous voici avec les célèbres Bobau, Uzumé, Isis qui montrent leur pubis, avec les Shella Na Gig de Grande Bretagne. Ce signe est par évidence lié à la Déesse. S’il est souvent le « signe » de sa sexualité et de sa fécondité, il va plus loin et génère le tressaillement archaïque de la Vie.

220px-La_Dame_de_Saint-SerninLa Terre-Mère

Cette facette féminine ne peut pas nous échapper tant il est encore omniprésent dans la psyché collective. Ce sont les Mères premières, Nerthus chez les nordiques,  Aditi en Inde,  Gaïa en Grèce, Dana en pays Celtes …les Déesses noires, de la Black Ana aux Vierges noires. Elles sont les mères de dieux, mais aussi les mères des hommes comme Banba fut le nom de la première femme qui s’empara de l’Irlande.

La colonne de vie

Plus étrange, mais pourtant tout aussi identifiable par quelques signes particuliers, la colonne suit la Dame dans ses pérégrinations. Sorte d’Animus magique il pointe sa réalité à travers la pierre noire archaïque du bétyle de Cybèle, dans les « statuts menhir » des déesses premières, comme dans la présence silencieuse entre les mains d’Athéna sous la forme d’une lance, lance que nous retrouvons sur le dos de Morrigane dans la Razzia des vaches de Cooley.

L’abeille et le papillon

L’abeille se retrouve parfois rattachée à Déméter et dans de nombreuses traditions, le papillon est le symbole de la femme. C’est ainsi que se présente Psyché, avec des ailes de papillon, comme Etaine la déesse irlandaise qui est à un instant de son histoire un papillon. Itzpapalotl chez les Aztèques signifie « Papillon d’obsidienne » ou « Papillon à griffes ». Sous cet angle il est le papillon sorcier tel que le décrit Marija Gimburas quand elle identifie le papillon dans le folklore comme une des nombreuses manifestations sous forme d’insecte de la déesse, et de continuer sur le rôle démoniaque de sorcière qu’il peut représenter.

La brosse et le peigne

Il est aisé d’identifier un peigne, ou une brosse, dans les lignes gravées des plus anciennes poteries et statues, et lorsque nous le retrouvons si souvent dans les contes et les mythes nous ne pouvons plus douter de sa fonction majeure au sein du Féminin sacré. Le peigne est souvent dans les mains des héroïnes, Etaine et plusieurs femmes celtes se peignent près des sources, comme les sirènes peignent leurs longs cheveux assises sur les rochers maritimes. Les déesses japonaises sont parées de peignes magiques qui se transforment suivant leur volonté.

L’onde

Marija Gimbutas identifie l’onde comme signe de la Déesse. Nous connaissons parfaiteceramiquement son lien avec les sources et les fontaines, les rivières et les fleuves. Bien sûr je pense à Boan qui fit naître la rivière Boyne en Irlande, mais nous ne pouvons oublier Sequana aux sources de la Seine, les rites de lustration pratiqués aux célébrations de Brigid au 1er février dans l’Irlande anciennes,  le lien du Nil avec Isis

Le bateau

La déesse gauloise Sequana apparaît sur une barque, et qui ne connait pas Morgane, cet avatar de La Morrigane, guidant la barque et son précieux voyageur, Arthur, vers l’île d’Avalon, l’île des femmes ? Isis se glisse sur le bateau, son manteau devenant même la voile, lorsqu’elle se transpose en Grèce. Le bateau n’est pas

Discovered in 1937, this bronze figure of the goddess Sequana, riding a duck-shaped barge, may have graced a temple built in Roman times at the source of the Seine River, where sick pilgrims journeyed in search of cures. The statue is some eighteen inches high.

l’image la plus évidente, mais il est toujours là et défie le temps …

Le poisson

Le poisson comme le bateau n’est pas la manifestation la plus remarquée dans la mythologie, cependant il n’est pas absent, ne serait-ce qu’à travers les femmes – sirènes et les iconographies de Mélusine qui font souvent de sa queue de serpent une queue de poisson.

Ces nombreuses similitudes ne peuvent être le fruit du hasard. Elles nous amènent à considérer ce Féminin comme une grande manifestation de vie – mort –régénération et renouveau. En quelque sorte, comme je l’analyse dans mon ouvrage La Femme dans la société celte  et dans mon étude sur la Femme Solaire, la fertilité, la sexualité, la maternité ne sont que des fonctions parmi d’autres, des manifestations de son pouvoir de métamorphose et de régénération. La Déesse des origines n’est pas seulement une Grande Mère, mais avant tout une Grande Déesse, qui n’est, comme le dit Marija Gibutas, ni une Vénus de beauté, ni l’épouse des dieux, mais l’incarnation du pouvoir de régénération et de transformation. Cela propose une amplification de ce Féminin sacré que nous cantonnons trop souvent à des forces de fertilité de la terre ou des jeux érotiques. En quelque sorte la Déesse est bien plus que cela, ou plus exactement elle est cela et bien plus encore. A travers ces projections attestées depuis la nuit des temps nous ne pouvons que contacter – en Soi – la gamme bien plus riche et nourricière de cette Déesse qui « s’agit » en chacun de nous.

Edith Hamilton, La Mythologie, Poche Marabout, 1997

Ella Young, Récits de la mythologie celtique, Triades, 1996

Esther Harding, Les mystères de la femme, Payot, 2001

J. Guyonvarc’h, Textes mythologiques irlandais, Ogam Celticum, 1980

Florence Quentin, Isis l’Eternelle, Albin Michel, 2012

Jean Markale, Mélusine, Albin Michel, 1993

Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004

Marija Gimbutas, Le langage de la Déesse, Des femmes, 2005

Pierre Yves Lambert, Les Quatre branches du Mabinogi, Gallimard, 1993

Sylvie Verchère Merle, La Femme dans la société celte, Le Cygne, 2014

Véronique Guibert de la Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande ancienne, Armeline, 2003
© Sylvie Verchère Merle 2015