Pan et Dionysos, retrouver le chemin des dieux

Le mode de perception et de contrôle du monde patriarcal engendrent la phase clé de sa conception : la prise de pouvoir, le rapport de force. Le mode masculin est sorti de son essence première qui est de façonner, de mettre en forme, de percer, de pénétrer tout en restant complice, aimant.

Entré dans ce système le féminin lui-même se meut dans cette essence et joue tout autant les jeux de pouvoirs et les rapports de force. Le Féminin sous-jacent, dans sa nature profonde, blessé, contraint et refoulé s’est transformé en bête terrifiante, en guerrière sanguinaire, en sorcière lubrique ou castratrice. C’est-à-dire que son propre masculin, son animus, est devenu un phallocrate. Il n’est plus le compagnon joyeux créatif de la vie qui est son origine. L’analyse que fait Silvia Di Lorenzo dans son livre La femme et son ombre, du glissement des mouvements féministes vers une guerre de pouvoir, en est révélateur. En quelque sorte il s’agit de s’approprier le pouvoir au détriment de l’autre plutôt que de retrouver les complicités de jeux créatifs et au service de la vie.

La majorité des dieux, dans les mythes et les croyances nous montrent ces masculins poussés à l’extrême de leur force et orientés vers le pouvoir, jusqu’à la guerre, donner la mort pour posséder.  C’est une image précise de la « perversion » des valeurs au détriment de la force précieuse et majeure du masculin. Ces dieux sont des colonisateurs, des guerriers, des violeurs. A charge pour eux d’en supporter le poids et la souffrance qui sous-tend à la déformation de leur nature profonde.

Les dieux archaïques et ceux qui sont unis, complices et forts de leur Nature apparaissent ça et là, quelques bribes. Nous pourrions nous attarder sur les anciens dieux Lune, ceux qui sont dans un rapport d’union et d’amour, qui ne font pas la guerre mais construisent des jardins. Les cornus qui percent la nuit pour porter la lumière, qui font et qui défont, qui rythment pour engendrer la vie.

D’autres dieux, plus proches de nous, gardent encore les traces de cette essence divine. Pan lorsqu’il est encore Conseiller sage et bienveillant. Pétri de nature sauvage il n’a pas oublié son appartenance et sa complicité au féminin. C’est lui qui conseille Psyché, lui dit de continuer sur le chemin de l’amour d’Eros au lieu de se suicider dans la rivière. Il n’est pas encore cette image déchue d’un vieillard lubrique que nous lui connaissons. Il ne dissocie pas le charnel de l’âme, l’instinct de la sacralisation. Le corps doit être sauf pour agir l’âme et ce qui la contient, le cœur. Il est cet animus ultime de la femme déployée qui ne la coupe ni de son corps, ni de son aspiration à la complétude. Merlin en est, sans aucun doute, l’héritier direct. Lui qui parle aux animaux, et par quelques entourloupes disloque la tour d’Uther dans une tentative de restauration des lois naturelles.

Plus encore, plus précis, Dionysos est celui qui n’a jamais renié son essence masculine véritable. C’est le dieu qui nous propose la prise de conscience que si nous ne respectons pas Ses lois nous perdrons la tête. Il nous prévient du danger. Ce dieu nous dit qu’un féminin, en soi, non respecté, se transforme en infanticide, en castratrice. Le sort réservé à Penthé en témoigne.  

Dionysos porte en lui à la fois les énergies incarnées, la chair, la joie et le plaisir. Les fleurs, le vin et l’ivresse. Il garde leur essence sacrée. Les « détails », les « sentimentalités » féminines ne sont pas pour lui des sensibleries niaises. Lorsque Chloris crée la rose c’est lui qui lui donne son parfum. Cette sensibilité au monde cosmique, environnant et « incarné » fait partie de son cortège. En faire une réalité spirituelle est son pouvoir divin. Dionysos s’unit sans cesse à son anima, il rend fous ceux qui ne le font pas. C’est un dieu cornu, un taureau, un bélier qui produit la poussée magistrale d’un mâle fécondant la matrice féminine spirituelle dans un orgasme sans fin. C’est avec Son insondable mystère qu’il porte haut et fort les magies de son être.  Il est le dieu qui passe sans équivoque de la mère à l’épouse.  Les représentations de Dionysos et Ariane ne montrent jamais un dieu aux ordres de sa femme, ne montrent jamais, non plus, un dieu avec une parèdre assujétie. Pas de rapport de pouvoir, d’esclave et de maître. Elles montrent un duo, un couple alangui et complice, relié par la magie de l’amour[1]. Sur leur couche il n’y a que des roses et des coupes de vins, des regards et des gestes de reliance[2].


Retrouver le chemin de ces dieux là, nous demande un effort magistral, une cassure, un sacrifice, celui de se trouver au banc d’une société qui ne voit plus que poindre les ondes des compétitions et des guerres de pouvoir. C’est se trouver blessé d’un écart de posture, mais se trouver vivant.

[1] Maria Daraki, Dionysos et la déesse Terre

[2] Alain Danielou, Shiva et Dionysos

Le visage d’Animus

Anima_Animus-e1419334357930Animus, comme Anima sont des Figures intérieures totalement inconscientes. La psychosynthèse nome Subpersonnalités  ces figures intérieures, comme des personnages vivant en nous, agissant parfois, souvent, à notre place, à l’insu de notre plein gré, normal puisqu’elles sont inconscientes. Nous pouvons concevoir que nous ne sommes pas les mêmes personnes avec les collègues de travail, les amis, la famille, parfois même nous sommes des personnes tellement différentes que l’un de ces protagonistes ne peut imaginer ce que nous sommes dans un autre contexte. Tel responsable d’entreprise, connu pour sa rectitude, son exigence et son autorité peut être sous le toit familial un tout petit enfant obéissant, silencieux, d’accord pour tout. Nous ne choisissons pas d’être comme ci ou comme ça, se sont les différentes facettes de notre personnalité qui s’expriment pour nous. La psychosynthèse nous apprend à en identifier les plus importantes, à nous désidentifier ensuite. Nous ne sommes pas que cela et d’ailleurs serions-nous cela ou bien est-ce un héritage de notre enfance, de notre culture, de nos croyances, de notre éducation ? A prendre de la distance avec ces Subpersonnalités nous finissons par nous retrouver au Centre d’un regard sur les parties de notre être dont nous devenons enfin le « chef d’orchestre », celui qui donne le La, sans plus être manipulé, possédé par ces Figures intérieures.

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En psychosynthèse nous avons l’habitude, pour mieux les distancier et les observer de leur donner des noms : le Juge, la pleureuse, la pauvre petite fille, la chieuse, le dictateur, le Sage, la Sorcière, moi j’en ai une que j’appelle « la connasse » …. A nous d’identifier l’instant où ils vont nous mettre en situation impossible ou nous aider à naviguer dans les méandres vitaux, sans jamais cesser de garder la possible distance qui nous garantit la liberté. Je peux choisir l’instant où je fais « ma connasse » quant elle ne portera préjudice ni à l’un, ni à l’autre et surtout pas à moi-même.

En psychologie analytique, Jung a identifié certaines de ces figures, communes à l’ensemble humain : la Persona, l’Ombre, Anima et Animus. Cela n’est pas contradictoire avec la Psychosynthèse mais bien plutôt complémentaire dans la mesure où l’Ombre si elle est commune à tous, comme nous avons tous deux pieds et deux mains, ne sera jamais tout à fait la même pour tous. Certains porteront l’Ombre cruelle, d’autres soumise, comme certains chaussent du 38 et d’autres du 45…

Iage Bog millyet.com.trCombiner ces deux approches est très pratique pour mieux appréhender cette figure majeure et particulière qu’est Animus et qui pose beaucoup de questions. Pour faire simple disons qu’Animus est une instance masculine inconsciente, vivante et autonome dans la psyché. Eloignée de la conscience, entachée de l’Ombre, proche de l’inconscient collectif nous ne pouvons pas la saisir en conscience directement, nous devons comprendre le langage de l’âme et dialoguer avec pour prendre le contact. Jung décrit ces Figures réellement comme des entités, comme des êtres intérieurs, différents de ce que notre conscience peut imaginer. Et c’est un fait que par sa nature inconsciente nous ne pouvons le rencontrer d’un seul élan de volonté ou de désir. Entrer en dialogue avec cet Autre monde est aussi compliqué et demande autant d’apprentissage et de codes que de rentrer en contact avec des étrangers, de langues, de mœurs. Encore faut-il aller à sa rencontre et quand il s’agit d’aller à la rencontre de Soi-même, seul le miroir nous montre le chemin. Le miroir, le reflet, ce renvoi, cette projection dont Marie Louise von Franz a même fait le titre d’un de ses plus grands ouvrages : Reflets de l’âme. Ce miroir qui abonde dans les contes et les mythes. Dans ce miroir nous pourrons « voir » bien sûr ce que nous savons déjà de la Persona, celle que nous montrons alentour, mais aussi les ombres et les lumières invisibles au premier abord.Reflet miroir

Le meilleur moyen d’aller à la rencontre d’Animus est d’observer les introjections que nous avons faites, comment elles se manifestent en projection. En termes plus clair : à quoi ressemble, qui est vraiment le père, le verbe de la mère ? Quels sont les points communs entre les hommes de notre vie ? Comment désirons-nous ? Comment actons-nous ? Comment nous jugeons-nous ? Comment jugeons-nous ?

A quoi ressemble les hommes dans nos rêves nocturnes ?

James Hillman présente la confrontation à la projection de l’Animus, une histoire d’amour, comme la clé première du chemin de l’évolution de soi-même. (Voir La Beauté de Psyché)

Il arrive un instant où nous nous trouvons confrontée à une sorte de demi-dieu, un héros, un démon, voire un psychopathe. De prise de conscience en dialogue, de compréhension en métamorphose, le chemin sera long jusqu’à la guérison qui de sa souffrance intérieure portera à la transformation vers le passeur, le Roi, le messager, le complice et l’amoureux….

Cet « animal », cet Animus, et Jung le décrit parfaitement bien dans sa force numineuse, est un Archétype relié à l’Âme du Monde. Cela veut dire que le voyage peut nous amener aux tréfonds de l’inconscient collectif là où toutes les femmes sont une, là où préside Animus collectif, et en particulier celui qui maltraite le féminin depuis plusieurs milliers d’années.

Ce que l’on fait à une femme, on le fait à toutes les femmes…

En prenant soin de Soi, en prenant le chemin qui mène vers Animus incarné de notre âme, c’est aussi vers un face à face avec Animus du Cosmos que nous nous dirigeons.

C’est assez simple, si depuis 2000 ans les femmes ont intégré qu’elles sont inférieures et faites pour souffrir, c’est un Animus mortifère qui préside à leurs naissances et souffle par le verbe maternel, la posture paternelle : « c’est ainsi que les choses sont ! » Il ne suffira pas de changer le verbe et la posture qui n’agissent que sur la conscience temporelle, et bien souvent satisfaite d’elle-même, il faut aussi se pencher en dedans, pour « com prendre », je ne peux pas dire pardonner, mais apaiser, oui certes entendre, consoler, apaiser.

Red Pill Logic

C’est parler aux fantômes, libérer les âmes encloses et prisonnières, ce sont les cryptes psychiques qui nous enlisent. Nous ne sommes jamais seuls, des lignées d’humanité nous accompagnent, nous nourrissent, nous inspirent, pour le meilleur ou pour le pire.

Lorsque la confrontation a eu lieu, la com-préhension double, l’acceptation réelle et l’amour véritable, c’est l’expansion de notre conscience qui éclaire un peu plus les ombres inconscientes, nous nous connaissons bien mieux et plus profondément, c’est le parcours, le chemin, ce que Jung comme Assagioli ont nommé l’Individuation, la conquête du Soi.

Jung

 

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