Archétypes, féminins

imagesNous voyons fleurir, ci et là, des listes d’Archétypes du féminin. Le paysage commence à ressembler à une véritable jungle qui va de la Terre-Mère à la Sainte, de la Guerrière à la Prêtresse et  de ma Sorcière Bien-aimée à la Reine des fleurs. Osons faire un petit détour sur les Archétypes féminins tel que les a proposés Jung et ses successeurs pour enfin reprendre avec précision la définition d’un Archétype.

Jung nous parle un peu de l’Animus et un peu de la Déesse-Mère. Il parle un peu de la face lunaire du féminin mais laisse ce travail à Esther Harding dont l’ouvrage Les Mystères de la femme est devenu une référence. Pour plus de concision référons-nous à Rolande Biès, qui se reposant sur les thèses de Jung, définit pour la femme quatre archétypes majeurs : La Mère-Épouse, l’Hétaïre, l’Amazone et la Médiale

Voici les descriptions qu’elle en donne :

« La Mère : son esprit étant dirigé vers l’avenir, elle nourrira, éduquera, soignera, encouragera ses enfants. Son aspect négatif sera l’étouffement, l’appropriation de l’enfant, la difficulté de la défusion. Souvent possessive, la mère est celle qui n’aime guère voir s’égailler les poussins[1]. »

 « L’Hétaïre s’attache à la psychologie de l’époux. Elle exige une relation dans la profondeur, voir dans le domaine spirituel. Elle ignore en elle l’aspect maternel ou le sacrifie sans peine ; mais elle peut aussi faire courir au couple qu’elle a devant elle et où elle va s’introduire le risque du divorce. Celui-ci obtenu, – non sans réticence de la part du mari, lequel est d’ailleurs fidèle moins par fidélité que par paresse -, le couple une fois brisé, elle ne veut plus de cet homme-là : « On ne pouvait vraiment par avoir confiance en lui ! » [2] »

 « L’Amazone joue les indépendantes. Ce qui lui est facilité par des études lui permettant de gagner sa vie sans rien devoir à personne. La liberté financière est un acquis important, ajouté à la contraception ; – les deux facettes de la profonde révolution de notre époque. La liberté financière rend la femme libre de l’homme ; et la contraception la rend plus consciente, tout en renforçant l’inconscient, donc le doute et l’incertitude de son comportement, que l’avortement viendra accroître avec « la mauvaise conscience » : aucune femme n’en sort indemne. L’Amazone est une rivale pour l’homme. Elle n’en a pas moins de l’ambition pour lui, qui cherche davantage a être reconnu par la société qu’à réussir l’amour du couple. Chez elle, l’Animus est exigeant d’elle-même ; elle demande peu à l’homme, car elle n’ignore pas que celui-ci prend – conquiert – plus qu’il ne donne[3]. »

« La Médiale : sa fonction Intuition prime les trois autres, qui peuvent s’estomper d’autant plus aisément que l’Intuition aspire fortement au spirituel. Elle plonge dans l’inconscient collectif, où vivent tous les possibles ; elle pressent, exprime ce qui flotte dans l' »air du temps » et qui se manifestera plus tard[4]. »

Pouvons-nous, vraiment, souscrire à ces figures, telles qu’elles sont proposées ? Encensées, comme Athéna, la Femme patriarcale, peut l’être, elles projettent une aura numineuse et mystérieuse, mais ce rayonnement rejette dans l’ombre la complétude de leur réalité.

La figure de la mère se limite-t-elle à nourrir, éduquer, soigner et encourager ? Le père ne peut-il pas, lui aussi, pourvoir à ces besoins ? Ce qui n’est pas dit de la mère c’est ce qui fait sa réelle caractéristique et que ne peut pas faire le masculin : une mère met au monde ! Une mère accouche, elle écarte les jambes et dans la sueur, le sang et les larmes, elle donne la vie. La mère qui nous est présentée par Rolande Biès est la mère « vierge » qui n’a pas de sexe pour accoucher, pas de sexe pour copuler, celle de nos Pères, celle de notre culture. Il est dit que l’enfant divin est né, mais qui parle des contractions de sa mère, de son souffle haché, de son sang ? Qui parle de cet anus que frôle l’enfant à sa première heure ? C’est pourtant une réalité, une vérité première, que la mère est d’abord et surtout celle qui pousse et qui geint, qui défèque et saigne en mettant au monde. Elle est celle dont la magie du corps permet cette ouverture du col de l’utérus et de la vulve : La Vénus de Göbekli Tepe, les jambes écartées, la vulve béante. Pourquoi réserver au féminin de pouvoir tenir dans ses bras l’enfant chéri ? Le protéger, le regarder grandir, l’accompagner dans sa course vivante ? L’acte de mettre au monde est relégué à un acte mécanique, sans aucune valeur « sacrée », on n’en parle pas ! Pourtant c’est bien la fonction majeure du féminin Mère ! Amputée de sa fonction première le féminin se retrouve relégué à nourrir, éduquer, soigner, consoler, spoliant par là même le père de ces mêmes possibles.

Oui La Mère est une figure archétypique du Féminin, mais avant tout dans sa posture de parturiente, dans son acte « créateur ». Elle couve mais elle s’ouvre aussi, elle se déchire. Chaque mère humaine vit cette expérience, l’archétype la traverse. Le corps féminin connait cette expérience depuis la nuit des temps et l’âme peut aussi, lors de  naissance psychique, en vivre les étapes.

De manière littérale, ἑταίρα / hetaíra signifie « bonne amie ». Dans la Grèce antique, ces scene-erotique-entre-un-jeune-homme-et-une-prostituee-grecquebonnes amies tenaient compagnie aux hommes, souvent de manière sexuelle tout en étant totalement indépendantes. Littéralement, l’hétaïre est une « prostituée d’un rang social élevé ! » une courtisane, une call-girl, une « pute » ! La grande force de la pute nous est présentée dans sa grande indépendance (de l’homme). Vraiment ? La pute des bas quartiers comme l’hétaïre de la jet société, si elle n’est pas « assujettie » à un époux, est-elle vraiment libre d’elle-même, de son corps, qui de fait appartient à tous les hommes, dont elle dépend pour vivre ? La toile de Léonor Fini, le Carcan, illustre parfaitement ce clivage imposé au féminin, pute ou soumise, pute ou mère sans sexe. Cette prétendue liberté nous est ici proposée comme une calamité, cette femme brise les ménages et se joue de l’homme comme d’un kleenex. L’Amazone n’est pas très différente si ce n’est qu’elle est moins manipulatrice et plus « guerrière ». De toutes les façons, pour la femme l’amour n’est possible que par le mariage et la maternité, hors du pacte point de salut.

téléchargement (1)Le seul autre possible d’une réalisation du féminin hormis mère, hétaïre et amazone consiste à devenir une « Médiale ». Mère, pute ou « none », de ces femmes qui vivent leurs extases érotiques à travers l’union extatique avec Dieu, ou son représentant le Christ, et pour Lacan « il ne fait aucun doute que Sainte Thérèse d’Avila jouit[5]. »

La femme n’est-elle, en définitive, qu’une mère, une pute ou une religieuse ? Où se trouve la femme vivante, en possession de tous ses moyens, y compris sexuels ? Son courage, sa force ? Où se trouvent les caractéristiques d’Artémis la justicière, Isis la magicienne, Aphrodite l’excitée ?  Nous n’avons ici même pas trace de Muse, de celle qui inspire, pas non plus de féminin complice, alter-égo. Si nous leur devons d’avoir débroussaillé le chemin fertile qui mène à nos sources archétypales, nous devons bien admettre que ces Figures proposées sont liées à leur temps, à leur époque.

Dans une vidéo de Baglis TV, Csilla Kemenczei nous présente une vision plus moderne, mais surtout plus réaliste, des archétypes du Féminin. « Dans son état primordial de Terre mère matricielle, la femme représente la toute-puissance indifférenciée. Ceci est le premier regard de la femme vis-à-vis de son propre mystère, un regard qui l’oblige à traverser sa nuit intérieure et explorer ses fondements ultimes. De la découverte de cette puissance indifférenciée émerge alors une conscience qui est incarnée par la Déesse Mère. C’est l’instant où la conscience rencontre la nature et la déesse sort des viscères de la terre. Entité supérieure, la déesse mère est aussi une muse qui possède les clés des mondes visibles et invisibles. Elle est à la fois révélatrice et double, créatrice et destructrice. En devenant femme et épouse, elle sera amenée à transformer cette dualité en dualisme. Elle devra alors garder la flamme vivace et enseigner l’Amour à l’homme dans l’union de leur couple[6]… »

Mais nos vies et nos expériences de femmes doivent rajouter à cela, ce qui fait de nous, aussi, des Justicières (Artémis), des Amoureuses (Aphrodite), des Magiciennes (Isis), tout aussi bien que des Malheureuses (Blodeuwedd), des Bafouées (Écho) … La liste devient longue…

Plutôt que de nous perdre dans la lignée sans fin des Archétypes, revenons à leur source et à leur sens premier.

220px-Empedocles_in_Thomas_Stanley_History_of_PhilosophyUne première mention de l’archétype est faite par Empédocle, Ve AEC qui professait l’existence de deux soleils dont « l’un archétype, feu qui remplit constamment l’un des deux hémisphères du monde et se reflète au sommet de cet hémisphère ; l’autre, le soleil apparent, est ce reflet même, invisible dans l’autre hémisphère […] Pour parler plus brièvement, le soleil est un reflet du feu entourant la terre[7]. » Il est déjà question d’un modèle et de son reflet. De son côté Platon désignait, sous les termes de « forme » (εἶδος) ou « idée » (ἰδέα), des réalités idéales, indépendantes de l’intellect, modèles de toutes choses, et dont les composantes du monde réel ne seraient que le reflet, seul intelligible. Platon distingue d’une part l’Idée, « qui reste identique à soi-même en tant qu’Idée, qui ne naît ni ne meurt, ni ne reçoit rien venu d’ailleurs, ni non plus ne se rend nulle part, qui n’est accessible ni à la vue ni à un autre sens et que donc l’intellection a pour rôle d’examiner », et d’autre part le « simulacre » (εἴδωλον) « qui a même nom et qui est semblable, mais qui est sensible, qui naît, qui est toujours en mouvement, qui surgit en quelque lieu pour en disparaître ensuite et qui est accessible à l’opinion accompagnée de sensation. » Plus tard Clément d’Alexandrie affirme dans le deuxième livre des Stromates (II, 8), que « l’homme est à l’image de son archétype ». Dans son Principia philosophiae, Descartes écrit qu’il est « impossible que nous ayons l’idée ou l’image de quoi que ce soit, s’il n’y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne […] toutes les perfections qui nous sont […] représentées ». Il considère deux  états des choses, l’un ectypal ou naturel, l’autre archétypal et éternel. «  Le premier se caractériserait par le fait qu’il aurait été “créé dans le temps”, alors que le second existerait “de toute éternité dans l’esprit de Dieu” ».

Jung se réfère souvent à Schopenhauer pour qui les « formes originales » sont téléchargementdénommées « prototypes ». Il se réfère aussi à Adolf Bastian, fondateur de l’école allemande d’ethnologie qui estimait que, «comme les chiens aboient partout et comme les coucous poussent en tout lieu le même cri, les hommes ont tous les mêmes conceptions originelles, susceptibles de développements historiques particuliers, en fonction de l’environnement. « Selon sa théorie, développée en 1895 au long des deux volumes intitulés Ethnische Elementargedanken in der Lehre vom Menschen, il conviendrait de distinguer les Volkergedanken (« idées populaires ») des Elementargedanken (« idées élémentaires »). Les Volkergedanken, incluant les contes, mythes, proverbes et autres éléments de la littérature orale seraient caractéristiques d’une culture donnée, et autant de manifestations particulières des Elementargedanken qui, par contre, se trouveraient dans toutes les cultures et toutes les mythologies du monde, préfigurant donc les “archétypes” jungiens. Pour Bastian, il s’agirait là d’images universelles, transculturelles et transhistoriques, dont chaque individu porterait un stock inné, ce qui fait que, dit-il, “ces pensées élémentaires apparaissent sous diverses formes en Inde, à Babylone, et même par exemple, dans les contes des mers du sud”[8]. »

Ce tour très rapide de la notion d’archétype nous permet de constater qu’effectivement Jung n’a rien inventé, ni découvert. Mais, et c’est ce qui fait la différence, il a « observé » les manifestations archétypales. Observer les manifestations et non pas les archétypes eux-mêmes, car suivant les descriptions que  nous venons de lire et celles données par Jung, l’archétype en lui-même ne peut pas s’appréhender. Il est hors champ, inaccessible à la conscience. Ce que nous pouvons voir c’est sa manifestation, dans les rêves, « car on trouve dans beaucoup de rêves, des images et des associations analogues aux idées, aux mythes et aux rites des primitifs. Ces images oniriques sont été appelées par Freud des “résidus archaïques”. L’expression suggère qu’elles sont des éléments psychiques datant de temps lointains qui survivent dans l’esprit humain[9]. » Nous pouvons les observer aussi dans les contextes et les situations…

La différence majeure entre Jung et ses proches prédécesseurs tient aussi à la nature donnée à l’archétype. Jusque-là il est question d’  « idée », avec Jung nous entrons dans un tout autre domaine, un domaine qui va au-delà de l’idée et de la pensée. Jung rattache les archétypes aux instincts : « Il me faut ici préciser les rapports entre les archétypes et les instincts. Ce que nous appelons « instinct » est une pulsion physiologique, perçue par les sens. Mais ces instincts se manifestent aussi par des fantasmes, et souvent ils révèlent leur présence uniquement par des images symboliques.[…] Ce sont des éléments dynamiques, qui se manifestent par des impulsions tout aussi spontanément que les instincts[10]. » L’instinct comme une pulsion perçue par les sens. Nous connaissons les pyramide_de_maslow_en_couleurinstincts identifiés dans la base de la pyramide de Maslow, de devoir se nourrir, s’abreuver, se reproduire, et tout autant de se défendre, de rechercher la sécurité. Cela ne fait aucun doute pour  nous qui les vivons dans notre chair. Mais ce que  nous vivons aussi dans notre chair, de sensation, de sentiments, de pulsions, de désir… sont tout autant instinctifs, du domaine de l’âme, et c’est là que se situent les manifestations archétypiques. Cette âme qui n’est pas la matière, mais une « qualité » de la matière, et Jung de rajouter : «  la psyché, si vous la considérez comme un phénomène ayant sa place dans les organismes vivants, est une qualité de la matière[11]. » Dans les niveaux supérieurs de la pyramide de Maslow, les besoins d’appartenance, d’estime de soi et de réalisation de soi, sont des instincts dans lesquels se meuvent les manifestations archétypiques. L’idée, la pensée, ne sont que des symptômes, des aboutissements, des cheminements de l’archétype en marche. Les pulsions d’aller vers, de réaliser, d’incarner, de guérir, d’affronter, se trouvent liées à cet instinct psychique et représentent une expérience, avant tout bouleversante : « L’expérience archétypique est une expérience intense et bouleversante. Il nous est facile de parler aussi tranquillement des archétypes, mais se trouver réellement confronté à eux est une tout autre affaire. La différence est la même qu’entre le fait de parler d’un lion et celui de devoir l’affronter. Affronter un lion constitue une expérience intense et effrayante, qui peut marquer durablement la personnalité.[12] »

Il est aisé de reconnaître l’instinct de survie,  celui de se reproduire, de se défendre, ils se manifestent par des faits concrets et physiques, la faim, la soif, le désir, le rejet…Peut-être les amibes ne sont faites que d’instincts : les amibes ont-elles une âme qui les animent ? Nous sommes animés par le besoin d’amour, le besoin d’aimer, de haïr, qu’au fond de nos détresses nous en appelons au Sauveur. Qu’au plus fort de nos pleurs nous appelons « maman ! ». Ces animations répondent à des pattern, car tout en étant subjectifs ils sont les mêmes, dans leurs structures, pour tous les êtres humains. A la suite de Jung, Michel Cazenave écrit au sujet de l’archétype, c’est : « une structure vide servant de matrice virtuelle génératrice de certains types d’images, d’idées, d’émotions ou de comportements », et précise que les archétypes seraient « des invariants de l’âme, des organisateurs inconscients qui ne s’appréhendent que par leurs manifestations […] On les retrouve partout et en tout temps dans les mythes, les contes, les productions imaginaires, les délires des psychotiques ou dans les rêves. […] Les archétypes sont indissociables de la notion d’inconscient collectif dont ils constituent la structure[13]. » . Ce que  nous pouvons observer c’est leurs ressentis, leurs « histoires » dans les trames mythologiques et les croyances religieuses. Jung expliquera à Ernest Jones que « Ce sont des images innées de l’instinct et non de l’intelligence[14]. »

Mais, et c’est ce qui nous importe ici, un Archétype n’est pas le simple modèle d’une Image, « Un archétype est un drame en raccourci. Il commence de telle et telle manière, se développe avec telle et telle complication et aboutit à une résolution de telle et telle sorte[15]. » Un archétype possède un effet suggestif, ainsi en parle Jung : « Prenons, par exemple, l’archétype du gué d’une rivière. C’est une situation complexe. Vous avez à traverser une rivière à gué. Vous êtes dans l’eau et il y a un piège ou un animal aquatique, un crocodile ou quelque chose comme ça. C’est dangereux et il va se passer quelque chose. Le problème est de savoir comment vous en sortir. Voilà la situation. Cela constitue un archétype. Et cet archétype a un effet suggestif sur vous[16]. » Il rajoute : « Un archétype s’inscrit toujours dans une trame factice, avec des représentations à double emploi. L’archétype s’inscrit dans une trame de représentations apparentées entre elles, conduisant toujours à d’autres images archétypiques et se chevauchant constamment les unes les autres, et dont l’ensemble forme le singulier tapis de la vie[17]. »

Nos vies de sont pas que des Images projetées, introjectées, elles sont aussi comme nos rêves nous montrent, des trames, des contextes, des drama, des lyses, les mythes ne parlent que de ça. Ainsi donc il ne suffira pas de s’attacher à une Image, si numineuse soit-elle, si éplorée soit-elle, encore nous faudra-t-il en suivre le parcours, la danse ou le chemin des larmes…

BjT-jLbGKP_xPAZe5SA7SwP2pFY@500x280

[1] Une et multiple, la femme selon C.G. Jung par Rolande Biès (PDF à télécharger sur le site cgjung.net)

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/lidee-culture/sainte-therese-davila-jouit-elle

[6] https://www.baglis.tv/ame/psychologie-mythes/387-le-feminin-de-la-femme.html

[7] Jean-Loïc. Le Quellec, Jung et les archétypes : Un mythe contemporain, Sciences Humaines, Kindle, emplacement 818.

[8] Ibid., emplacement 1264-1275.

[9] C.G Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, Folio, 1964, p. 72.

[10] C.G. Jung, L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964 p 69 et 76.

[11] Ernest Jones, Entretiens avec Carl Gustav Jung, Payot, Kindle, emplacement 577.

[12] C.G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, Albin Michel, 1998 p 120.

[13] Michel Cazenave ct in Jean-Loïc. Le Quellec, Jung et les archétypes: Un mythe contemporain, Sciences Humaines, Kindle, emplacement 225.

[14] Ernest Jones, Entretiens avec Carl Gustav Jung, Payot, Kindle, emplacement 311.

[15] Ibid., emplacement 169.

[16] Ibid., emplacement 354.

[17] C.G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, Albin Michel, 1998 p 220.

La guérison par le mythe

225px-Ilya_Repin_-_Sadko_-_Google_Art_ProjectNous savons, depuis les travaux de C. G. Jung que les mythes sont des Images archétypiques. En quelque sorte ils sont les rêves des peuples. Cependant ils sont aussi l’Imaginal de chaque être humain. De cette manière nous pouvons les suivre dans les grands mythes de l’humanité, la psyché collective et tout autant dans la psyché personnelle.

Ces schèmes archétypaux s’identifient dans les rêves si nous savons prendre suffisamment de recul et ne pas vouloir absolument « voir » les Images telles qu’elles sont représentées dans l’iconographie classique. En effet, la manifestation de l’Archétype prend la forme la plus parlante pour nous, moulée à notre temps et à la culture dans laquelle nous baignons, à moins qu’elle n’y trouve son image proche dans quel cas elle va puiser dans l’inconscient collectif l’image la plus juste. Les Dieux et les Déesses des Grecs ou des Égyptiens sont habillés comme des Grecs et des Égyptiens et même les mythes chrétiens nous montrent des Figures vêtues tels que le furent les peuples de leur temps. Il peut donc sembler surprenant que nos dieux actuels soient couvert d’une toge quand ils devraient porter jeans et pull-over. C’est bien ce qu’ils font souvent dans nos rêves. Baubo peut prendre les traits de la voisine, comme Lugh apparaître comme le mécanicien du coin. Ce sont leurs gestes et le schéma mythique dans lequel ils se meuvent qui nous laisse deviner le mythe, l’archétype sous-jacent.fa9819b26e0cbbd4bba500aeeea69de709cbb102_keljob-reve

Les Images que nous en avons ne sont pas les archétypes mais leur manifestation, qui elle, est mouvante. Ils sont de l’ordre de l’Imaginal que nous ne devons pas confondre avec l’imaginaire. L’imaginaire est cette douce (ou violente) rêverie issue de notre imagination, induite pas nos peurs ou nos désirs. L’imaginaire peut être à l’Imaginal ce que la sensiblerie est à la sensibilité. L’imaginaire comme la sensiblerie sont les vivacités de l’âme rattachées à l’ombre et n’ont pas leur souche aux archétypes, ils flottent. L’Imaginal est, par contre, ce que nous pouvons voir de notre âme entière, reliée à la souche archétypique, multiple. L’Imaginal ne se laisse pas contrôler, il nous propose ce qui émerge de l’âme et que nous croisons dans nos rêves ou peuvent venir à nous dans les rêves éveillés. Ils correspondent rarement à ce que nous attendons, espérons. Surgit des profondeurs de l’inconscient, ils sont par essence « inconscients » et ne peuvent pas répondre à ce que nous connaissons en conscience. Je peux très bien « désirer » telle ou telle Figure, ce n’est pas Elle qui va se manifester, ce qui va se manifester c’est ce que je dois rencontrer et que je ne connais pas encore.

Le-reve-de-GiordanoPartir à la rencontre de ces Figures intérieures nous offre l’opportunité de rencontrer cette part de nous-même, qui s’agit en nous mais que nous ne connaissons pas.

Identifiant la Figure et le schème mythique nous prenons alors conscience de ce qui se projette dans notre vie, quel est le « drame » qui s’y joue. Par amplification, c’est-à-dire en parcourant les mythes de même nature, nous mettons des mots sur l’origine de la maladie et sur les manières dont nous pouvons « évoluer », libérer et « transcender ».

Jung a bien parlé de cette quête qui consiste à trouver quel est notre propre mythe, si tant est que nous n’ayons qu’un seul mythe à porter. James Hillman a été bien plus loin en qualifiant l’âme de polythéiste et en  identifiant, parmi les nombreux cas qu’il a traité, que chaque archétype possède aussi sa part pathologique, porte en lui sa propre maladie, que nous seuls sommes en mesure de guérir.

Ainsi ce n’est pas en inventant notre histoire avec toutes les forces de notre intellect, que nous trouverons les clés de notre délivrance, mais en observant les Images, en les accueillant comme notre réalité, en les rattachant à la grande danse des archétypes, comme le dirait Marie Louise von Franz, que nous pouvons guérir.317px-Le_Reve-Puvis_de_Chavannes-Orsay

Ne nous trompons pas, ce n’est pas parce que nous avons l’impression d’aller bien et de porter le divin en soi que nous n’avons rien à guérir. Nous ne pouvons d’un côté avancer que nous allons très bien que nous avons réglé tous nos problèmes intérieurs, et de l’autre affirmer que nous sommes tous liés, interconnectés. Interconnectés hors du temps et de l’espace, et la physique quantique approuve, cela veut dire que nous portons en nous, quelque part, les souffrances et les maladies du monde, du Cosmos. Interconnectés, cela veut dire que nous portons notre histoire familiale avec toutes ses joies mais aussi ses blessures, ses secrets, l’histoire de notre peuple et l’histoire entière de l’humanité. C’est en ce sens que nous pouvons espérer changer le monde, en nous changeant nous-même, en proposant la rédemption au cœur de notre âme pour que le suc gavé de notre joie inonde les radicelles qui nous lient indéfiniment à l’Âme du Monde.

(L’Âme du Monde, Manon Rousseau)Ame du monde Manon ROusseau

La sagesse : un hymne à la joie

Le sage, le savant, se promène le visage lisse et silencieux. Droit – e sur le tronc de sa colonne vertébrale, sa bouche reste close. Son regard semble perdu au loin d’un horizon inatteignable pour le commun des mortels.  Il peut aussi se figurer sous la forme d’un meditation-1être assis en tailleur, mais le silence et le regard lointain, ou parfois les yeux clos, sont toujours là. Tout son être semble dire « je sais  et je n’ai plus rien à apprendre ». Il serait intéressant de savoir d’où nous vient cette croyance de la posture qui signifie la sagesse, car si nous observons les processus d’individuation, si nous observons les mythes, cette figure du sage n’apparait pas, bien au contraire.

Lors des processus d’individuation, tel qu’il peut être observé dans les rêves, la psyché passe par le noir, puis le blanc, enfin le rouge. Le chemin est terrifiant, difficile et demande beaucoup de courage, de mouvement. D’ailleurs, le vécu, s’il est « vrai », ne se cantonne pas à l’observation, il se vit aussi avec la chair, les émotions et le sentiment. Marie Louise von Franz explicite clairement qu’un rêve éveillé est un rêve éveillé si l’on peut lire les réactions émotionnelles sur le corps du rêveur, s’il est entièrement impliqué, de tout son être, dans ce qu’il « vit ». S’il s’agit de rêves nocturnes, nous nous réveillonsalchimy4 enthousiastes, éblouis ou terrifiés. Il s’agit en quelque sorte de vivre avec son âme, donc ressentir dans son âme, dans son cœur et – dans sa chair. A ce moment-là nous savons, donc nous sommes « sages », mais nous savons que nous apprenons et que le savoir, le  « ça voir », est un chemin, non un aboutissement. D’autre part, ce processus du passage du noir, au blanc, au rouge, savamment  imagé par les alchimistes[1], et émergé des rêves[2], qui signale un processus en cours, démontre effectivement des phases de solitude, d’éloignement du monde extérieur pour mieux se recentrer sur le monde intérieur.  Le passage au noir, au blanc, sont des expériences que l’on vit seul face à face avec la multitude de son âme. Cependant l’œuvre au rouge est bien différente, elle ramène et confronte le nouveau Moi en construction au monde extérieur[3]. Elle semble comme un réajustement de l’être au monde qui est le sien, ici et maintenant. Ce rouge qui signe la vitalité est aussi la couleur de la passion et du sang, ne peut se passer de la chair, de la confrontation avec l’autre, les autres. Il ne s’agit pas d’être bataillant aux Daïmons de notre Ombre ou perdu en haut de la Montagne, mais de retenter la danse d’Eros (le lien) et du Logos (le verbe). Ainsi ceux arrivés  à l’œuvre au rouge ne seront ni silencieux, ni distants, ni isolés, ils seront partie intégrante du cosmos, du monde et de l’humanité.

Sans aucune surprise il en est de même dans la mythologie.

— « Il me semble qu’à cause de ma retraite Plaine du Ciel doit être sombre, ainsi que la province centrale de Plaine de Roseaux, toutes deux plongées dans les ténèbres. Pourquoi dès lors autant de joie ? Et comment Céleste alarmante peut-elle être si gaie ? Comment les 800 Supérieurs assemblés peuvent–ils rire ainsi aux éclats[4] ? ». »

Aucun mythe, à ma connaissance, ne se termine par « et heureux, rempli de savoir, il se retira seul, sur la montagne, regardant le monde dans un silence de pierre ». Lorsque la solitude (la distance), apparait c’est toujours un passage difficile, un isolement passager, de recueillement ou de clarification, ou encore un bannissement douloureux. Ce dont parlent les mythes – ce que font les dieux – c’est de chutes, de batailles, de confrontations, de mouvements incessants. Lorsqu’ils finissent mal c’est l’isolement, l’éloignement et  très souvent la mort. Lorsqu’ils finissent bien ce sont les retrouvailles, les festivités, l’union, le Hiérogamos[5], la joie !

Etaine embrassa Eochy et lui dit :

— « J’ai comblé cette année de joie pour toute une longue vie et ce soir tu as entendu la musique des Cieux. Et des échos de cette musique resteront toujours dans les cordes de la harpe des chanteurs d’Irlande. Et toi, tu ne seras jamais oublié aussi longtemps que le vent soufflera et que l’eau coulera, car Etaine, qui est aimée de Midir, Etaine t’aime[6] ».

L’étape attendue est une explosion de joie. Ainsi sur le chemin de l’apprentissage nous pouvons soit mourir, soit expérimenter la joie. Le dieu ou la déesse vainqueur expérimente la joie. L’Archétype incarné, acté dans ses attentes se manifeste dans la joie. Dieu et déesse, Animus et Anima : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». b_5273_roi_et_reine_alchimieL’alchimie ne pointe-t-elle pas sur le mariage intérieur du Roi et de la Reine ?

Nous pouvons tous, à un moment de notre vie, expérimenter la joie. Nous pouvons aussi  mesurer combien elle ne dépend pas de notre bon vouloir, de notre volonté, mais d’une émergence incontrôlable surgit des profondeurs de notre âme. Nous ne pouvons pas faire semblant d’être joyeux,  c’est la chimie d’un processus en cours. Instants bénis où l’on a envie de rire, de chanter, de danser, de donner la main, de serrer sur son cœur, l’autre, les autres, tout autant que les fleurs, les arbres, les étoiles.  Ces instants là nous nous sentons forts, entiers, complets, remplis, et tout être joyeux rayonne tout autour. N’est-ce pas le signe que « quelque chose » en nous s’est uni ? N’est-ce pas là le signe d’un Hierogamos intérieur qui s’incarne, que les opposés de sont mis à danser ensemble, que les clivages sont dépassés ? Que l’Ombre s’est clarifiée et a trouvé sa place d’épouse, que la lumière émerge et se glisse dans les méandres de la matière dense ? Nous pouvons alors incarner en conscience ces instants de félicité fugitive ou mieux encore avoir le courage de travailler le noir, et le blanc, puis incarner dans le rouge la joie, parfois explosive mais toujours à l’affut, sous-jacente. Cet état de grâce réenchante le monde, on ne peut que sourire et tendre la main, pour avancer toujours et apprendre encore.

Sortis des ornières qui limitent notre vision, nous pouvons voir alors le sage sourire ettéléchargement (1) rire, taper du pied, pendre les mains, écouter sans relâche, dodeliner de la tête, s’enthousiasmer[7]. C’est alors qu’il peut sembler « fou », danser comme un cabri, à rire comme un enfant, et son rire envoûte notre âme tel un Logos hystéricos, ses mots de joie percent la brume de notre âme par l’épée flamboyante, Logos spermaticos. L’émotion et le verbe sont au rendez – vous, voilà l’union sacrée des dieux et des déesses, de la conscience et de l’inconscient, du masculin et du féminin.

[1] Carl Gustav Jung, Mysterium coniunctionis

[2] Voir le site d’Ariaga : http://www.jung-reve-alchimie.fr/ariaga-ecrits-jung/reves-et-alchimie/

[3] Bertrand de la Vaissière, Le travail des rêves, E. Du Dauphin.

[4] Kojiki, La caverne céleste, déesse Amaterasu

[5] Mariage sacré

[6] La Courtise d’Etaine

[7] Le mot enthousiasme (du grec ancien : ἐνθουσιασμός enthousiasmós) signifiait à l’origine inspiration ou possession par le divin ou par la présence d’un dieu ; le terme sous-entend une communication divine.

Images hypnagogiques

 

maury0006Il me parait étrange de trouver sur la Toile tout un ensemble d’explications sur les images hypnagogiques, les faisant parfois passer pour des « troubles ». De la même manière je suis tout aussi surprise de trouver des matières d’analyse de rêves qui ne les mentionnent pas. Le lien entre les deux, tant sur leur nature que sur le sens symbolique dont elles sont porteuses me parait pourtant particulièrement intéressant. Freud parle de ces images (Freud, l’Interprétation des rêves)

« On a noté à juste titre que l’une des principales particularités de la vie de rêve survient dès l’instant d’endormissement et doit être tenue pour un phénomène qui introduit le sommeil. Ce qui est caractéristique de l’état de veille, selon Schleirmacher, c’est que l’activité de pensée s’accomplit en concept et non pas en images. Or le rêve pense principalement en images, et l’on peut observer qu’avec l’approche du sommeil, dans la mesure même où les activités volontaires s’avèrent plus difficiles, surgissent des représentations non voulues qui toutes appartiennent à la classe des images. »[1]

Elles émergent durant la phase d’endormissement, à l’instant où nous sommes entre la

alexandre-louis-leloir
Peinture : Alexandre Louis Leloir

veille et le sommeil, accessibles déjà aux espaces oniriques et cependant encore conscients. Mais nous pouvons les comparer aux « visions » qui apparaissent parfois en plein état de veille lorsque pour une raison ou une autre le niveau de conscience est abaissé. Parfois un simple état de rêverie suffit à les provoquer, en marchant dans la rue, après un orgasme … Enfin je ne suis pas sûre que le verbe « provoquer » soit opportun tant j’ai toujours le sentiment que la seule chose qui les provoque c’est leur énergie propre, elles  s’agissent toute seule, comme un rayon de soleil passe à travers les brumes certains matin, comme le vent qui souffle, sauf qu’à ce moment-là nous sommes suffisamment « endormis » pour les voir et encore assez conscients pour les observer. Par là même nous ne devrions pas être plus inquiets de ce phénomène que nous ne le sommes des rêves. De nombreuses personnes ont des images hypnagogiques à condition que l’état nécessaire ne soit pas provoqué artificiellement (somnifères, psychotropes …). Elles ne sont pas le signe d’une pathologie particulière, même si parfois elles peuvent être aussi effrayantes qu’un cauchemar. Elles ont cependant des caractéristiques particulières qu’il est intéressant de noter.

tableau-de-henry-meynell-rheam
Peinture : Henry Meynell  Rheam

Elles semblent arriver, comme tomber de quelque part, parfois avec beaucoup de force, jusqu’à nous engloutir avec une sensation qui peut être angoissante. Elles commencent à se présenter devant les yeux intérieurs, fuguasses, disparaître, ou bien s’installer, se développer jusqu’à devenir angoissantes tant il parait alors difficile de s’en « sortir ». Elles peuvent aller de la simple forme en mouvement (nuage noir frappant la tête) à l’image parfaite d’un élément.

Quoiqu’il en soi, elles sont le signe d’une grande activité dans la psyché et d’un élément qui tend à se manifester, qui va se manifester. Sur ce point je serai assez catégorique, tant j’ai pu observer d’exemples, non pas du rôle prémonitoire, mais de la manifestation encore symbolique de quelque chose qui est en train de se mettre en place dans la vie.  Contrairement aux rêves qui proposent un ensemble d’Images dans un contexte et une situation, l’Image hypnagogique n’est souvent faite que d’un seul thème, très clair, et c’est ce qui rend sa lecture facile. Voici quelques exemples : brume dans la montagne, fleurs qui poussent, végétaux qui se développent, femme qui danse, baiser échangé ou bien, main qui frappe, serpent, visages grimaçant …. Si l’on pratique l’analyse des rêves, nous pouvons observer comme les Images hypnagogiques trouvent une place cohérente dans un ensemble, pointant un thème fort, important et particulier, donnant une précision. Pour ces raisons, nous comprenons tout l’intérêt que représentent ces Images et le soin que nous devrions porter à les observer, les accueillir, les noter et les comprendre dans la grande manifestation psychique de notre vie onirique.

leon-de-smet
Peinture : Léon de Smet

Les choses me semblent un peu différentes en ce qui concerne les Images hypnopompiques, celles qui sont encore là au réveil. L’impact de leur énergie ayant eu le temps, durant le sommeil, de nous imprégner de leur force persuasive, la conscience peut facilement s’effrayer. Le phénomène semble plus rare mais sa force peut souvent aller jusqu’à la perception hallucinatoire. J’ai le souvenir d’un réveil où j’entendais courir mon petit fils dans ma chambre, surprise qu’il fut debout déjà à cette heure et de voir un vieillard fatigué assis sur le bord de mon lit. Il me fallut plusieurs secondes pour émerger et constater qu’il n’y avait personne d’autre que moi. Je me souviens aussi d’un réveil halluciné par la présence devant moi d’un nain qui se plaignait que personne ne le voyait pendant qu’une femme faisait la vaisselle dans le couloir. La scène était tellement vraie que je me levais d’un bond, paniquée.

Délivrée de la superstition qui les range dans le carcan des diableries, je leur porte une attention particulière, un soin particulier, comme nous le faisons pour les manifestations de nos besoins vitaux. Elles font partie de ces petites choses qui nous aide à aller à la rencontre de nous –même dans la plus grande authenticité.

[1] Freud, L’interprétation du rêve

 

Lorsque les dieux traversent les rêves

deesse_kishijotenLe terme Archétype est rentré dans le langage courant et nous sommes nombreux à l’utiliser car, à ce jour, aucun autre ne réussit à mieux évoquer ce que l’on veut exprimer. Nous identifions les manifestations archétypales dans des schémas de vie, tel des instincts psychiques et les rattachons sans trop de difficulté aux mythologies, aux dieux dans les mythologies. C’est plus difficile de les identifier dans les rêves. Jung fut un des premiers à évoquer ces figures numineuses traversant nos rêves. Le premier exemple qu’il donne est celui du rêve d’une femme laissant apparaître le Dieu Père archaïque, qui la berçait. C’est à partir de cet exemple qu’il commença à les observer avec plus d’attention.

Ils sont présents, et très vivants dès que le conscient laisse un peu de place. Les apercevoir dans les rêves n’est pas toujours facile pour deux raisons.

La première, si je nous compare aux mondes de l’antiquité qui vivait « avec », est que nous sommes incultes en ce qui concerne la mythologie. Cette inconscience de l’agissement du mythe en soi serait d’après Jung à l’origine de certaines névroses : « Parmi les maladies dits névrotiques d’aujourd’hui, un bon nombre, à des époques plus anciennes, ne seraient pas devenus névrosés, c’est-à-dire n’auraient pas été dissociés en eux-mêmes, s’ils avaient vécu en des temps et dans un milieu où l’homme était encore relié par le mythe au monde des ancêtres et par conséquent à la nature vécue et non pas seulement vue du dehors ; la désunion avec eux-mêmes leur aurait été épargnée. » (Jung, Ma vie, P 170). En ces temps chaque acte, chaque manifestation en soi, étaient reliés à une énergie spirituelle que le mythe décrivait, offrant ainsi un sens possible. Pour nous qui ne savons aborder les mythes qu’avec l’intellect, il ne suffit pas de connaitre toutes les aventures des dieux de l’Olympe, il est nécessaire de pouvoir croiser les schémas avec d’autres sources mythologiques, et c’est ce que Jung appela l’amplification. C’est ce croisement qui donnera des clés de lectures ou mieux encore fera écho en soi. Nous devons nous débrouiller avec ce que nous savons et tenter d’en saisir toute la quintessence, nous qui ne voyons plus dans le monde du mythe nous devons faire l’effort de repartir à leur rencontre. Et la difficulté tient aussi au fait qu’il ne nous reste pratiquement jamais un mythe entier dans tout son contexte et ses circonvolutions, nous avons des bribes, des bouts, des tranches là où l’ensemble porte lui aussi un sens.Femme-bison-blanc

La deuxième raison c’est que contrairement à ce que nous attendons, la figure archétypale n’apparaît pas souvent exactement telle qu’elle est représentée dans les mythes anciens, la statutaire et l’iconographie. La figure elle – même, les objets, les gestes et les actes sont souvent comme actualisés à notre époque (et c’est bien le propre de l’archétype de se réactualiser). Là où nous pourrions attendre de voir une Déesse ailée, brillante de mille feux peut se présenter une jolie personne couverte d’ampoules électriques. La manifestation peut prendre de multiples formes et c’est sans aucun doute une des raisons pour lesquelles à l’origine les Dieux n’ont pas de forme définie, elle peut changer, comme elle change suivant la culture où elle s’exprime, le lieu, l’époque.

Serapis 1bCela dit, il arrive qu’une figure mythologique apparaisse dans le rêve avec ses attributs, même si nous ne les connaissons pas et c’est bien ce qui est troublant, et valide les thèses jungiennes. Par exemple, il y a plus de 10 ans je rêvais que je regardais au ras du sol (le dessus était dans la brume) et je voyais des pieds dans des sandalettes en cuir (comme celles des Romains) qui couraient paniqués dans tous les sens car des piliers de pierres fracassés leur tombaient dessus. Effrayée à mon tour, j’ai levé mon regard au-dessus des nuages. Je vis un grand personnage, c’était un homme avec une barbe. Il avait sur la tête quelque chose qui ressemblait aux grands peignes que portaient les espagnoles sous leur mantille, et, il mange une tartine de confiture… C’est ainsi que je vis mon rêve avec un barbu coiffé comme une femme espagnole … Jusqu’à ce qu’un ami spécialiste de la mythologie grecque et égyptienne me dise interloqué : « mais c’est Sérapis ! et ce que tu as vu c’est la destruction de son temple en 391 qui marque un tournant important dans le passage de l’ère païenne à l’ère chrétienne. Alors j’ai cherché les images de ce dieu et plus de détails sur cet épisode de l’histoire avant de pouvoir faire les rapprochements avec ma propre histoire intérieure. Je ne connaissais pas ce dieu auparavant, mais il était bien là, vivant, de l’autre côté, clairement reconnaissable. Un autre exemple de figure mythologique aisément identifiable : « … devant moi passe une femme, jolie, souriante, d’ailleurs elle me regarde avec un grand sourire. Elle est assise sur un cheval. Je ne vois pas ses vêtements, je suis epona3captivée par son sourire … ».  La rêveuse peu portée sur la mythologie ne connaissait pas Epona, mais moi je la connais bien et je l’ai tout de suite reconnue dans cette « femme assise » (pas à cheval, l’expression est différente) sur un cheval.  Le cheval n’est pas actualisé, il n’est pas remplacé par une moto ou une voiture comme c’est souvent le cas dans nos rêves de rêveurs du XXIe siècle.

Car le plus souvent la figure se « moule » dans des formes qui sont celles de notre quotidien. Voici deux exemples qui sauront mieux que des explications vous exprimer ce que je veux dire.

Rêve 1 :

steatiteBauboLarge« Je marche sur une route avec une amie, et nous allons acheter des cigarettes. En chemin elle me dit, “ j’ai envie de faire pipi ”, elle s’arrête sur le côté gauche de la route, lève ses jupes et debout, face à moi me montre son sexe… ». Comme la figure s’est glissée sous les traits  d‘une amie, il est très difficile de lire la figure mythique sous son geste, et pourtant c’est exactement ce que fit Baubo la grecque ou Uzumé la japonaise, soulever sa jupe et montrer son sexe.

Rêve 2 :

killapep« Je vois un serpent vert, il me fait très peur, il est gros et menaçant. Mais la minette de la maison arrive et “ croque” la tête du serpent, je peux entendre le bruit, c’est horrible. Les dents du chat perforent le crâne. Le serpent va se coucher…. » . Qui ne connait pas dans la mythologie égyptienne le combat de Bastet et Apophis, ni aucun des mythes qui s’en rapproche, ne peut pas lire ce rêve sous l’angle archétypal. De prime abord ce que l’on y voit c’est le chat de la maison et un méchant serpent. C’est en ce sens qu’il est très important, comme le rappelle Jung sans cesse, de regarder le rêve comme quelque chose d’extérieur, y revenir, tourner autour, sans le juger, sans l’interpréter d’emblée, laisser monter les images qu’il propose et qu’il évoque. Cette approche est tout aussi bien préconisée par James Hillman qui devant un serpent noir, observera tout ce qui le concerne sans y poser d’emblée des associations subjectives.

Il y a donc des Images qui hantent les mythes et les rêves, mais si nous nous contentons de les observer et les lister comme on compile un savoir, nous ne serions qu’instruits. Ce qui nous intéresse c’est de laisser se faire l’écho en soi, de donner la parole à cet Autre en soi, c’est de lâcher prise avec cette énergie qui vit à travers nous et avec nous.  La psychologie Archétypale propose ce regard vers le mythe dans sa manifestation personnelle et sa mise en œuvre. Jung, déjà, posait la question de savoir « quel est mon propre mythe ? », ce mythe qui peut changer en cours de vie. Par le rêve nous pouvons approcher celui ou ceux qui se meuvent à travers notre âme, par la connaissance du mythe qui se manifeste nous pouvons approcher la métanoïa attendue et dont nous ne sommes pas forcément conscients sans le secours du mythe, sans le secours de ceux qui l’ont rêvé, imaginé, avant. Je veux dire, par exemple, que le rêve de Bastet et Apophis déclencha une grande délivrance lorsque la rêveuse prit conscience de son existence dans une des mythologies les plus vieilles du monde. Il démontrait qu’à l’époque l’âme humaine était déjà confrontée à ce genre d’affres. La rêveuse exprima le sentiment de se sentir moins seule et ressentit son appartenance à la grande famille des humains. Depuis l’antiquité, la nuit des temps, en transmettantanubis3t le mythe, les âmes les plus anciennes offraient ce message, en quelque sorte un message de com – passion. Mais ce ne fut pas tout, l’histoire que dévoile le mythe permit à la rêveuse d’apaiser son angoisse devant le « sens » de ce rêve qui lui échappait. En connaissant « l’histoire », elle comprit que Le Chat de son âme avait mutilé, (rendu inoffensif) le grand Serpent des forces de l’obscur insondable, tel que le rapporte le mythe …

Je voudrais terminer sur un rêve qui ne se contente pas de voir une figure mythique traverser, mais déroule tout le schéma du mythe, du conte :

« Une femme vit dans un pays qui la malmène et d’ailleurs où toutes les femmes sont maltraitées. Son quotidien est morne et elle est toujours sur le qui-vive. Un prince (avec couronne en or !) vient lui dire qu’ils se connaissent et ont eu un enfant ensemble. Mais l’enfant a disparu (et le prince aussi d’ailleurs). Une main découpe délicatement le manteau accroché sur le dos de sa mère. Celle – ci se laisse faire car elle sait que cela aidera sa fille … Un groupe d’hommes poursuivent la femme du rêve. Elle sait ce qu’ils veulent et tente de les fuir. Ils la suivent à travers les rues sombres et même dans la forêt où elle se réfugie. C’est le moment que choisit le Prince à la couronne d’or pour « l’aspirer » dans une autre dimension, autre dimension dans laquelle il lui dit qu’il vient de la sortir du coma et qu’elle vivait dans un monde imaginaire. La vraie vie c’était maintenant, avec lui. »

Sans entrer dans le détails il n’est pas difficile de reconnaître la trame mythologique de Rhiannon la Galloise dont le fils disparut et qui dut subir le joug, avant d’être libérée une fois le secret révélé (la vérité révélée) ou encore plus proche de nous, la Belle au bois dormant ou Blanche Neige « sorties du coma » par le Prince Charmant …..

Faites de beaux rêves 😉

Jung – toute l’oeuvre

James Hillman : Le polythéisme de l’âme, Pan et le cauchemar. 

Boule rouge …

m2_20150526-162215-38942

[…]

Dans la caverne du Moyen-Âge, l’homme croyait devoir sacrifier son animal.

Au nom de la spiritualité, de sa sainte trinité patriarcale, il tuait ce qu’il y avait de plus naturel en lui.

« Ne fais pas ça, homme ! » supplia la femme – Mais en vain.

Le couteau sacerdotal se transforma en boucherie, inquisition, croisades… et si elle ne voulait pas qu’on la brûle vive sur le bûcher des sorcières, elle n’avait qu’à s’enfuir, la femme, en dehors de cet abattoir obscur et crépusculaire.

La femme disparaît de la caverne, bleuâtre, elle se volatile… Fondu enchaîné.

[…]

Alors se réveille la lionne en elle, qui veille sur les doutes qui la rongent.

Apparaissent en sortant des brumes le grand visage de la femme qui doute…et, en bas, la boule rouge qui tourne comme dans le moulin d’un ruisseau.

BOULE ROUGE

Placée au niveau du cœur de la femme.
ensemble, doutes et lionne… la femme se compléta. Elle devint ronde et entière.

Fondu enchaîné.

[…]

… le Saint Esprit préféra redescendre du ciel pour rejoindre ses trois sœurs sur terre, elle se posa donc sur l’arbre-femme et l’inspira à animer le cycle éternel de la Vie, de la Mort et de la Renaissance.

Pages : 198, 199, 200 et 201 Imagination active, Imagination musicale –  G Tauber / La Fontaine de Pierre – 2015

J’ai lu : Ame et crise cardiaque : Dans le labyrinthe de la guérison

ame et crise cardiaqueStephen B. Parker
Traduction Carnets de rêves

Version Kindle sur Amazon —–>>> en ligne (4 € 54)

Le récit en images et en mots, d’un parcours de guérison après une crise cardiaque.

Présentation de l’éditeur
Quand le cœur s’arrête, c’est un monde qui bascule. Le travail de Steve Parker témoigne d’une autre vie possible quand la mort a approché le cœur et qu’il a survécu. À travers son remarquable témoignage et ses étonnantes peintures, nous sommes invités à observer la transformation d’une vie qui se fraie un chemin vers le renouveau.
— Robbie Bosnak, Traks in the Wilderness of Dreams
L’histoire de Steve Parker m’a littéralement renvoyée à moi-même. Il décrit d’une merveilleuse façon le parcours à travers le labyrinthe émotionnel que j’ai dû traverser après ma propre crise cardiaque. Toutes les familles qui traversent de semblables moments tireront un énorme bénéfice en découvrant ce processus de guérison émotionnelle suite à un événement traumatisant.
— Carolyn Thomas, Heart Sisters
Le récit du rêve qui a précédé la crise cardiaque est une ressource importante pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la santé ; l’approche du Dr Parker sur l’utilisation des images des rêves dans l’accélération du processus de guérison, nous est d’une aide précieuse.
Hautement recommandé.
— Patricia Garfield, Ph.D., The Healing Power of Dreams

Pendant que les éternels best-sellers surchargent les étagères des librairies et autres « centres culturels » quelques petits bijoux tentent de se frayer un chemin jusqu’à nous. Et il faut avoir la « chance » de tomber dessus. La chance, oui. Voilà un ouvrage comme il y en a peu, voire même pas du tout. Il pourrait sembler n’être que le parcours d’un homme « avec » sa maladie, mais il y a aussi tout le chemin intérieur qu’il fait dans le même temps, le dialogue avec son âme. Il n’est pas question de recopiage, de leçon bien apprise, de thèse mirobolante ; il est question d’une expérience vécue, en toute humilité, d’un témoignage en toute humanité. C’est ce qui fait de ce livre un livre majeur. Il n’est pas besoin d’avoir soi-même traversé les affres d’une crise cardiaque pour en mesurer toute la saveur, l’ouvrage expose le lien et le tissage que l’on peut observer entre la psyché et le corps quel que soit « l’épreuve », et nous de nous observer autrement.

Ce livre m’a fait un bien fou, j’y ai trouvé ce que je cherchais désespérément ailleurs, le partage de l’expérience et j’en éprouve une grande gratitude. J’aime quand les hommes osent dire « j’ai peur », ils en deviennent humains. J’aime quand les Hommes osent exprimer les émois de leur âme quand le corps pousse des cris, car c’est la vérité, nous ne souffrons pas que de nos plaies sanguinolentes, nos fractures osseuses et nos dérèglements hormonaux. Notre âme nous donne les Images qui accompagnent ces maux et qui sont autant de jalons vers la connaissance profonde de nous – même.

Le texte est bien structuré, nous pouvons suivre pas à pas l’avancée vers la guérison. Il est agrémenté des dessins et des rêves de l’auteur nous permettant ainsi de le suivre sur plusieurs niveaux de réalité. Un seul grand regret, que nous ne puissions pas, pour le moment, le trouver sur papier, car il n’est proposé qu’en version kindle …. J’espère que vous aurez la chance de tomber sur cet article, qui vous donnera la chance d’aller le cueillir, même sous ce seul format, comme un de ces cadeaux de la vie, imprévu, riche, généreux.