Archétype dans la Grotte

Me voici dans la Grotte d’Arcy sur Cure, dans la salle dite « le calvaire ». Je sais que cette grotte a été fréquentée des milliers d’années avant notre ère et ce qui explose à mon regard représente l’image d’une croix plantée. Il me semble même y deviner la forme d’une femme agenouillée à ses pieds. Propulsée dans une spirale d’espace-temps, je me sens égarée. Où suis-je et quand surtout ? Moi je vois cette croix, parce que je connais la croix à la mère pleurante à ses pieds. Mais je sais aussi que ceux, là, il y a plus de 30 000 ans ne pouvaient pas les y voir : ils n’existaient pas encore. Lorsque levant mes yeux j’y vois une femme levant ses bras de plumes, un oiseau, une femme oiseau dont l’œuf git à ses pieds, je suis perdue….

Il est sûr que Cro-Magnon a fréquenté cette grotte, en a fait un sanctuaire. Les nombreuses peintures, l’ocre rouge posée, en attestent.

Je reste éberluée sous cet aigle en vol, au-dessus de ma tête. Il a fallu se glisser, s’allonger sous le voute menue. Comment peindre une telle beauté, allongé.e sur le dos avec si peu d’espace entre soi et le ciel de pierre ? Si peu d’outils et pour lumière, une petite lampe à huile, même une torche ne tient pas en cet endroit.

Dans la première salle j’ai bien vu du plafond de stalagmites, ces centaines de seins goutant le lait de la terre. Une Artémis d’Ephèse tournoie dans ma tête.

Et cette Dame nue que l’eau sur la roche a façonnée, que les humains ont recouvert de rouge et entourée de Vulves ? Que lui a-t-on fait, depuis, pour lui enfiler une robe et profaner sa vulve ?  

Alors que je clapote sur mes pieds fatigués, j’entends le murmure de l’eau sur la pierre, elle suinte de partout avec délicatesse. C’est tellement féminin…tellement sensuellement féminin… tellement utérin….

Ces formes et ses peintures ont-elles inspiré les Païens de l’Antiquité ? Les Chrétiens ?  Je suis dans un vertige. Je tangue, je suis ivre de respirer le murmure du lieu. Les images se bousculent. Kaleidoscoque aux mille facettes. Maat se dresse aussi ici, l’Isis des premiers temps. Sous mes yeux subjugués se dessinent les mythes, tout ceux de l’origine. Pas de guerriers, pas de tueries, mais des seins et des vulves, des bêtes, de l’eau encore de l’eau, de la terre, de la pierre germée. Emergence. Mise au monde.  Boan glisse sa jupe d’eau entre les failles qu’elle dessine. Elle dessine le Monde. L’humain dans sa piété et sa reconnaissance a rajouté l’image de ses peuples de chair sur les murs, émergeant de Son corps en mouvement,

Comment ont-ils transmis ces images ? Ont-ils tant transmis le mystère du Ventre que les descendants en ont redit l’histoire ?

N’avions-nous pas fermé les accès aux cavernes profondes, englouties dans l’oubli ? La spéléologie ne date que du XVIIIe siècle. Nous avions accès aux abris de roche, mais de tels lieux, si profondément ancrés ? N’avions-nous pas oublié les peintures couvertes de couche de calcite ? L’étude de l’art pariétal commence au XIXe siècle.

Ce schéma qui sans cesse se dessine, se redéfinit à travers le prisme de nos croyances et de nos schémas intérieurs, nos choix de vie, du choix de nos valeurs, comment peut-il se poser sur un socle éternel, rejaillissant sans cesse ?

Peut-être quelques histoires, quelques mythes de bouche à bouche, se modifiant au fil du temps, sans doute, certainement. Mais comment s’est transmise l’image ? Comment avons-nous façonné nos images, remodelées à nos valeurs. Comment avons-nous pu à la fois faire un identique, cette femme trônant dans sa grotte fertile tout en la modifiant, l’enchainant aux dogmes de nos temps ?

Comment cela peut-il se faire si ce n’est un schéma naturel issu de notre confrontation à la Nature, sous tendus que nous sommes par un modèle de base que Jung  appelle Archétype ?

Lien vers la Grotte d’Arcy sur Cure

Parution : Le Japon Religieux

Vient de paraître aux Editions du Serpent

Le Japon Religieux

Face à face avec le Shintô

Sylvie Verchère

Le Japon nous fascine. Pays lointain où le soleil se lève, il exerce sur nous une attirance mystérieuse. Lorsque j’y pose les pieds, je n’ai de cesse de tenter de percer ce mystère et chaque fois je me trouve face à face avec le Shintô, la religion traditionnelle du pays. Immanent de la nature, le Shintô est une pratique ancestrale, venue du fond des temps. Pour nous qui sommes éloignés des chemins sacralisant la nature, il peut être une surprise exquise, une révélation profonde, un rappel de notre appartenance au Cosmos. Les Kami nous regardent, si nous savons attirer leur attention. Le soleil se reflète dans les miroirs posés au creux des temples, nichés dans les profondeurs des sanctuaires. Les arbres nous protègent, entourés de leurs shimenawa tressés. Je vous invite à suivre ce chemin, celui que j’ai suivi dans mes pèlerinages. De la Caverne Céleste au Kagura du soir, je vous propose d’en explorer le sens et la beauté.

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Le théâtre, le rite, la guérison

Le théâtre grec est un acte religieux né des hymnes en l’honneur de Dionysos. Il a un rôle de mimesis. Dans sa poétique Aristote emploie ce terme pour décrire l’imitation, la représentation du réel. Il donne au théâtre un sens médical, catharsis, c’est à dire « purification des passions par le moyen de représentations dramatiques ». Rejouer, revivre l’évènement afin d’en faire jaillir un nouveau sens.

Les représentations de ce type, le théâtre, ne datent pas de l’époque classique grecque. Combien de représentations dans le grand bâtiment en forme d’amphithéâtre sur le site dit WF16 dans le sud de la Jordanie et datant d’environ 9800-8200 AE[1]? Combien de mises en scène par les peuples du néolithique dans les cultures de Vinča, Cucuteni, avec leur figurines miniatures[2] ? Combien des gestes refaits avec leurs masques sur leur tête[3] ? Combien de danses du Serpent chez les hopis pour rejouer le mythe ? Enfin combien de pièces de théâtre les Grecs ont-ils joué, représentant à l’origine les sagas sacrées[4] ? Combien de Kagura se font encore au Japon ? Combien de fois furent proposées, aux âmes présentes, les scènes d’origine, le mythe d’origine, comme pour provoquer un éternel retour – aux sources[5] ? Comme pour engendrer la Catharsis de l’âme[6] ?

Tout renouveau des forces vitales est évoqué par la répétition rituelle de l’acte originaire. Et vaut pour guérison. Nous avons ça dans le mythe d’Eros et de Psyché, lorsque les corvées  de Psyché achevées Aphrodite n’étant plus en colère, peut retourner jouer son rôle au « théâtre » de l’Olympe.

Si nous rejoignons James Hillman et sa vision du polythéisme de l’âme, nous concevons que nous sommes amené.e.s à jouer sur le théâtre de la vie le mythe qui est le nôtre, comme Jung parle du mythe de sa vie. C’est en quelque sorte notre « destin », nous mettant parfois en grande souffrance car l’Archétype en lui – même porte sa pathologie. Rejouer le mythe, c’est intégrer le fait que nous ne jouons pas notre seule et propre vie mais que nous interférons avec l’Archétype. En parlant de Psyché Erich Nemann écrit: « As a human being and an individual, she takes what “properly ”  belongs to the archetypes[7].. » (« En tant qu’être humain individuel, elle prend ce qui “proprement” appartient aux archétypes »). Il ne s’agit pas de notre seule vie personnelle, indépendante du cosmos, elle est incluse dans le grand tout.

Dans un article sur la Catharsis, Jean-Michel Vives propose de traduire mimésis par représentation à partir des traductions qu’en ont fait Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot[8] , « la catharsis devient alors un processus lié à la représentation[9]. » La dimension apportée par cette traduction est de mimer, refaire, rejouer, mais en précisant devant un public. En quelque sorte on ne rejoue pas pour soi, mais devant et avec un autre, un témoin participatif par le regard et l’écoute. L’auteur nous dit aussi que « La Katharsis est l’action correspondant à « nettoyer, purifier, purger ». Il a d’abord le sens religieux de « purification », et renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies (fête de purification et d’expiation)» , Il convenait de purifier la cité en expulsant des criminels, puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos[10]La représentation comme un miroir renvoie à celui qui en est le témoin l’écho de sa propre expérience intérieure, il s’en suit un effet de sympathia et d’analogie et la possible modification de notre perception du réel (cf Alice Miller).

D’après les sources les affects sur lesquels porterait la catharsis seraient la pitié et la crainte, mais l’auteur rajoute que l’interprétation classique en donne un sens plus large « en donnant à voir le résultat funeste des “mauvaises” passions, le spectacle tragique purgerait – ou guérirait – le spectateur de ces mêmes passions (quelles qu’elles soient, et non plus seulement la terreur et la pitié) [11]. »

Ce sont ces mêmes mécanismes que nous retrouvons dans certaines thérapies. Devant un témoin oculaire et auditif, le patient rejoue la scène originale de son drame. Il montre et fait entendre, se permettant ainsi de devenir lui -même son propre spectateur et le  re – acteur du scénario. Il s’agit de l’apparition dans le champ de la conscience de certains affects qui n’ont pu être ressentis au moment de leur actualité et qui, se trouvant coincés en raison de leur liaison avec le souvenir d’un traumatisme psychique, exercent un effet pathogène.

Quand les enjeux inconscients se dévoilent, quand les différentes couches d’un conflit sont séparées, les choses ne sont plus les mêmes pour le sujet.29

Si la catharsis vaut autant pour la tragédie que pour l’expérience analytique, c’est parce qu’elle nous permet de nous épurer de l’horreur que nous pouvons expérimenter en nous approchant de la limite et de la modification que permet le langage.

La « décharge » de certaines « humeurs » dont la concentration excessive constitut la cause d’un trouble pathologique engendre un sentiment de libération et de joie. Il faut donc supposer que la catharsis réside dans cette faculté paradoxale et mystérieuse, qui serait propre au spectacle tragique, de transformer des sentiments désagréables en plaisir… Et cette mystérieuse transformation des affects négatifs, par l’art mimétique en plaisir, intéresse Aristote pour qui la catharsis substitue du plaisir à la peine. Il ne s’agit pas là d’une explication mais d’une nécessité : le poète doit procurer un plaisir qui provient de la pitié et de la frayeur et cela en les passant au tamis de la représentation.


[1] Steven Mithen, Amy Richardson, Bill Finlayson, 2023. Publié par Cambridge University Press pour le compte d’Antiquity Publications Ltd.

[2] Marija Gimbutas a trouvé de nombreuses figurines lors de ses fouilles de la vieille Europe, avec d’autres objets de même taille, des tables, des chaises, des autels, comme des théâtres miniatures.

[3] Toujours dans la vieille Europe il fut trouvé des figurines tenant leur masque animalier à la main.

[4] Avant de proposer des mises en scène politique la Grèce ne présentait que des pièces mythiques, rejouant les sagas des dieux et des déesses

[5] Voir Mircea Eliade Le Mythe de l’Eternel Retour

[6] La catharsis est un terme grec d’origine médicale et religieuse qui signifie aussi bien « purgation » que « purification ». Aristote l’utilise dans sa Poétique pour désigner l’effet de « purification » produit sur les spectateurs par une représentation dramatique. Ce terme est utilisé par toute méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène.

[7] Erich Neumann, Amor and Psyche, Routledge, 2007, Kindle, emplacement 1529.

[8] Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Aristote. Poétique. Introduction p. 17-19 et note 3 du chapitre 6, p. 187-193.

[9] Jean-Michel Vives, La catharsis, d’Aristote à Lacan en passant par Freud. Une approche théâtrale des enjeux éthiques de la psychanalyseRecherches en psychanalyse, vol. 9, no. 1, 2010, p 25.

[10] Ibid., p 24.

[11] Ibid p 23.

Parution de  » Autour de Marija »

Vous pouvez trouver l’ouvrage d’Erik Rodenborg « Autour de Marija » en suivant le lien ci-dessous.
Une étude de plus de 200 pages, analysant les thèses des détracteurs et des partisans de Marija Gimbutas. Un long travail de recherche. Une passionnante épopée. Que nous révèle l’archéologie, l’histoire, la symbolique des peuples anciens, à travers leurs Vénus, leurs figurines de femmes, leurs temples, les mégalithes… ? Cet ouvrage vous propose des réponses et vous permet des questions, dévoile un monde autre, une perception et une conception autre du monde, le monde de nos ancêtres.

Lien vers l’ouvrage

A paraître : « Autour de Marija » Erik Rodenborg

Oyez, oyez, braves gens, damoiselles et damoiseaux ! Troubadours, faites rugir les trompettes, les tambours ! Et ensuite faites silence pour écouter cette histoire d’avant !

A paraitre fin janvier, « Autour de Marija », d’Erik Rodenborg, historien des religions, aux Editions associatives du Serpent. Traduction de Sylvie Verchère, Lucie Hermant et Kalysta Chaiba (Université d’Islande)

En 2017 le célèbre archéologue Colin Renfew validait les thèses de Marija Gimbutas : oui il y a bien eu une déferlante « Kurgane » (Yamnaya) sur les terres d’Europe, renversant les anciennes cultures pacifiques. Il fallut bien du temps et du travail pour en arriver là. Dans les années 1970, Érik Rodenborg, historien des religions, s’attelait à l’ouvrage d’étude et proposait un texte d’une valeur inestimable, paru sur Internet en 2002, en Suédois. C’est ce texte, traduit, qui vous est proposé ici. De nombreux points de vue sont analysés, les études des plus éminents spécialistes sont comparées. Nous voyageons de la Bretagne à la Roumanie, de la Serbie à la Crète, de Malte à l’Ile de Pâques. Nous explorons plusieurs thématiques (Le concept de Grande Déesse, le caractère pacifique des peuples de la Vieille Europe, le matrilinéaire, le matrifocal, les points de vue sur les différents artefacts, les figurines féminines, l’architecture des maisons et des temples, les mégalithes…). Érik Rodenborg dans ce large spectre d’analyses nous dévoile tout un recoupement et nous livre avec beaucoup d’intelligence et de bienveillance, ce pan de préhistoire, qui est aussi notre histoire.

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Merci à Didier Verchère et Jean Guy Bret pour leur aide précieuse

Contre le développement personnel, Thierry Jobard

Je me jetais sur cet ouvrage sans trop savoir qu’y trouver : une charge agressive contre toutes les pratiques modernes du « DP », une attaque en règle de certaines des pratiques qui sont les miennes ? Intéressant ! Ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Phrase après phrase j’ai dit « oui », « ha mais oui ! », « c’est pas faux », « en effet », « ha c’est intéressant », « pourquoi pas », « bon là c’est un peu extrême ou caricatural mais…»… je l’ai lu d’une seule traite, c’est dire si je fus captivée.

Je pouvais suivre le chemin mental de l’auteur, la fluidité de sa pensée. Trop souvent les écrits rabâchent inlassablement la même idée, ici ça « coule comme de l’eau ». « Quel joli cerveau » ai-je pensé. Le fond n’est pas en reste. Il ne s’agit pas ici d’une accusation sans fondement de pratiquants ciblés du DP, mais une tentative de lecture du « phénomène » étayée et argumentée et c’est un point de vue que nous ne devrions pas occulter. J’ai bien observé ces injonctions au « développement personnel » ces « tu dois, il faut », ces paradigmes certifiant le bonheur « personnel » qui ressemblent bien trop à de nouveaux dogmes.

Moi, dont l’activité principale consiste à accompagner, je rejoins assez souvent l’auteur : je tiens compte de l’inconscient qui n’est pas à la botte de mon bon vouloir, je pense que « ça pense donc je suis ». Les choses ne sont pas « si » simples que de vouloir, ni si complètement saisissables, maitrisables.

Ce livre casse un peu la baraque. Oui-da. Mais il possède avant tout un très grand avantage, celui de contrebalancer, équilibrer nos tendances unilatérales, nos certitudes, nos croyances trop ancrées, extrêmes, extrémistes. Il possède un effet thérapeutique si j’ose dire, ouvre un possible « réfléchir par soi-même » (sic) et surtout nous rappelle que nous héritons d’une histoire, d’une pensée collective, d’un contexte. Il nous remet les pieds sur terre, nous ramène au concret, au vécu. Il nous décrit faisant partie d’un « système » tel qu’il pourrait être décrit par Bateson. Bref il nous rappelle que dans l’espace-temps nous ne sommes pas seuls, pour le meilleur et pour le pire : un développement inter personnel.