Lorsque je posais le pied sur la dernière marche qui descend dans la tombe de Toutankhamon, je me tournais vers l’espace où frémissait une âme. Je la sentais. Je la vis. Elle était là. Elle était là dans son habit d’éternel printemps. Elle était proche de la momie du grand petit roi. Tenue à l’écart par le cercueil de verre c’était, cependant, comme si elle lui tenait la main, comme si elle avait posé ses doigts sur les mains noires, comme si elle avait caressé son front. C’était comme une mère veillant son enfant, comme une aimante, une éternelle amie. Son silence et son regard flottaient, elle nous regardait entrer et nous disait, tout en silence « il est là mon roi, mon fils, mon trésor, regardez le, reconnaissez-le, ne l’oubliez pas ». Et lui je le sentais confiant, tranquille, apaisé dans son sommeil sans fin. Ce fut la première fois que je vis une momie dans sa tombe. Et cela m’a plu. Je n’aime pas la profanation que représente l’exposition de ces corps dans un musée, sous les lumières, parmi le bruit qui déambule.
Il était dans sa demeure et il n’était pas seul dans ses mystères et ses secrets. Une femme veillait à l’entrée du tombeau. Florence Quentin était là. L’expérience fut étrange car au contraire de reléguer le défunt aux confins de l’histoire, elle nous permettait d’approcher un peu plus, d’en deviner l’humanité, la réalité. Tout d’un coup King Tut n’était plus un mythe mais un être de chair et de sang, qui avait vécu il y a bien longtemps et qui par on ne sait quel mystère s’immisçait dans le présent. Si l’humanité, la beauté de la vie, sa réalité c’est l’âme touchée qui s’émeut (nous pouvons le sentir chaque instant de nos jours) ici, l’émotion, le sentiment, sautaient par-dessus les étoiles et traversaient les siècles.
Faire le tour de la tombe nous ramenait sans cesse au cercueil transparent, où le noir petit homme dormait bercé par l’amour d’une femme. Il devient alors facile de lier ces beautés peintes sur les murs à la vie qui les ont pensées, dessinées, peintes. A la vie qui les a emportées, d’une manière ou d’une autre, dans un tombeau. Il ne s’agit plus de regarder les yeux ébahis un témoin du temps passés, un bel objet, une trace, mais d’y sentir, en plus, le cœur qui bat.
Cette émotion, ce cœur qui bat, nous les retrouvons dans l’ouvrage que vient d’écrire Florence Quentin, Dans l’intimité de Toutankhamon, ce que révèlent les objets de son trésor. Tant d’amour ne se permet pas de dire des bêtises, aussi la science se lie à la poésie, le savoir à l’imagination, le sérieux à la tendresse. Florence Quentin nous a habitués à ces ouvrages à la fois érudits et savants, clairs et fluides, mais tout autant d’une ligne de grâce, d’une beauté d’écriture rare. Elle y met à la fois son travail, son savoir mais tout autant son art et son cœur. Nous voilà au long de dix-huit chapitres, accroupis, à farfouiller parmi les 5398 objets, à choisir les plus intimes, les plus précieux, découvrant leur beauté, leur souffle, leur vie… C’est un merveilleux voyage dans l’espace et le temps de la Kemet antique. Nous apprenons des tas de choses sans sombrer dans un apprentissage lourd et docte. Nous imaginons, voyons les images soulevées par les objets qui bien évidemment dressent devant nous la figure du roi… les pieds dans les sandales du vent… Parler de ceux qui sont partis c’est les faire vivre encore, alors King Tut peut se lever, où qu’il se trouve de l’autre côté, de tous les Pharaons, du haut de ses 17 ans, il rayonne.
Vous avez bien compris, vous pouvez descendre dans la tombe de Toutankhamon, ou lire le livre de Florence, vous ne serez pas sujet à malédiction… à condition de le faire le cœur léger – comme une plume de Maat…